ÉTUDES
DANS LES ÉCRITURES
VOLUME
IV - LE
JOUR DE LA VENGEANCE
« LA BATAILLE D'HARMAGUEDON »
ÉTUDE
IV
BABYLONE ACCUSÉE DEVANT LE TRIBUNAL SUPRÊME
Les pouvoirs civils, sociaux et ecclésiastiques de Babylone, de la chrétienté,
sont dans la balance actuellement. — Accusation contre les pouvoirs
civils. — Accusation contre le système social actuel. — Accusation
contre les pouvoirs ecclésiastiques. — Même maintenant, au milieu de
son allégresse, la main de sa condamnation trace sa sentence qu'on peut
lire distinctement, bien que l'épreuve n'ait pas encore atteint son dénouement
final.
« Le Dieu fort, Dieu, l'Éternel, a parlé, et a appelé la terre,
du soleil levant jusqu'au soleil couchant. Il appellera les cieux d'en
haut [les pouvoirs élevés ou dirigeants], et la terre [les masses
populaires], pour juger [ceux qui prétendaient être] son peuple [la chrétienté]
».
« Écoute, O mon peuple, et je parlerai ; Israël [Israël nominal
spirituel — Babylone, la chrétienté], et je témoignerai au milieu de
toi... Mais Dieu dit au méchant : Qu'as-tu à faire, de redire mes
statuts, et de prendre mon alliance dans ta bouche, toi qui hais la
correction, et qui as jeté mes paroles derrière toi ? Si tu as vu un
voleur, tu t'es plu avec lui, et ta portion est avec les adultères. Tu
livres ta bouche au mal, et ta langue trame la tromperie. Tu t'assieds, tu
parles contre ton frère [les vrais saints, la classe du froment] ; tu
diffames le fils de ta mère. Tu as fait ces choses-là, et j'ai gardé le
silence ; tu as estimé que j'étais véritablement comme toi ; MAIS JE
T'EN REPRENDRAI, ET JE TE LES METTRAI DEVANT LES YEUX.
« Considérez donc cela, vous qui oubliez Dieu, de peur que je ne déchire,
et qu'il n'y ait personne qui délivre ». — Ps. 50 : 1, 4, 7,
16-22.
Comme conséquence logique du remarquable accroissement de la connaissance
accordée providentiellement sur tous les sujets dans ce « jour de préparation
» du règne millénaire de Christ, les pouvoirs civils et ecclésiastiques
de la chrétienté, Babylone, sont maintenant dans la balance de la
Justice, aux yeux du monde entier. L'heure du jugement étant venue, le
juge est à son siège et les témoins (le public en général) sont présents
; à cette étape de la mise à l'épreuve, il est permis aux « pouvoirs
existants » d'entendre les accusations et ensuite de se défendre.
Leur cause est jugée au grand jour, et le monde entier suit les débats
avec un intérêt intense et fiévreux.
L'objet de cette mise à l'épreuve n'est pas de convaincre le grand Juge
de la position réelle de ces pouvoirs, car nous sommes déjà avertis de
leur condamnation par sa « sûre parole prophétique », et déjà les
hommes peuvent lire sur la muraille de leur salle de festin l’écriture
de la mystérieuse mais fatale main « MÉNÉ, MÉNÉ, TÉKEL, UPHARSIN !
». La présente épreuve comporte la discussion des droits et des torts,
des doctrines, des autorités, etc., pour manifester à tous les hommes,
le vrai caractère de Babylone, de façon que, bien qu'ils aient été
pendant longtemps trompés par ses vaines prétentions, ils puissent éventuellement,
grâce à cette procédure de jugement, discerner pleinement la justice de
Dieu dans son renversement définitif. Dans cette mise à l'épreuve, les
prétentions de Babylone à une sainteté supérieure, à une autorité
divine et au droit de gouverner le monde, aussi bien que ses nombreuses prétentions
doctrinales exorbitantes et contradictoires, sont toutes mises en
question.
Évidemment honteux et confus devant une telle multitude de témoins, les
pouvoirs civils et ecclésiastiques, par leurs représentants, les
dirigeants et le clergé, s'efforcent de se justifier. Jamais, dans toutes
les annales de l'histoire, un tel état de choses n'a existé. Jamais
auparavant des ecclésiastiques, des hommes d'État et des dirigeants
civils ne furent pressés de questions, soumis à des interrogations
contradictoires et critiqués comme ils le sont maintenant à la barre du
jugement public par lequel l'esprit du Seigneur qui scrute les cœurs agit
sur eux à leur grande confusion. Malgré leur détermination et leurs
efforts pour se soustraire aux questions et à l'interrogation
contradictoire auxquels les soumet l'esprit de nos jours, ils sont obligés
de les subir et le jugement continue.
BABYLONE PESÉE DANS LA BALANCEp. 77 § 2
Tandis que les masses mettent hardiment aujourd'hui les pouvoirs civils et
ecclésiastiques de la chrétienté au défi de prouver qu'ils ont, selon
leurs prétentions, l'autorité divine de gouverner, ni ces masses,
ni ces dirigeants ne comprennent que Dieu a accordé, ou plutôt permis un
bail de pouvoir (*) [Vol.
II, p. 77,§ 2] à des gouvernants tels que l'humanité en général
a pu en choisir ou en tolérer, bons ou mauvais, jusqu'à la fin des «
Temps des Gentils ». Ils ne comprennent pas que, durant ce temps, Dieu a
permis au monde de diriger dans une grande mesure ses propres affaires et
de se gouverner selon sa propre voie, dans le but qu'en agissant ainsi les
hommes puissent apprendre que dans leur condition déchue, ils sont
incapables de se gouverner eux-mêmes et qu'ils ne gagnent pas à essayer
soit de se passer de Dieu ou à se passer les uns des autres. — Rom. 13
: 1.
Les gouvernants et les classes dirigeantes du monde, ne comprenant pas ces
choses, mais profitant des occasions favorables et abusant des masses
moins fortunées qui, par ignorance ou volontairement les ont soutenus au
pouvoir, ont essayé d'imposer aux masses illettrées l'absurde doctrine
de la désignation par Dieu et du « droit divin des rois » —
civils et ecclésiastiques. Des siècles durant, l'ignorance et la
superstition ont été imposées et encouragées parmi les masses par ces
pouvoirs civils et ecclésiastiques à seule fin de perpétuer cette
doctrine qui convient si bien à leur politique.
Ce n'est que récemment que la connaissance et l'instruction se sont
propagées, et ceci grâce à des circonstances providentielles et non aux
efforts des rois et du clergé. La presse à imprimer et les moyens de
transport à vapeur ont été les principaux agents de leur progrès.
Avant ces interventions divines, les masses des hommes, étant dans une
grande mesure isolées les unes des autres, étaient incapables
d'apprendre quelque chose en dehors de leurs propres expériences. Mais
ces moyens ont été les instruments d'une augmentation prodigieuse des
voyages et des relations sociales et commerciales, si bien que tous les
hommes, quel que soit leur rang ou leur position, peuvent bénéficier des
expériences des autres à travers le monde entier.
Le grand public est maintenant devenu celui qui lit, qui voyage, qui réfléchit,
mais il est en train de devenir rapidement le public mécontent et
criailleur, n'ayant plus guère de respect pour les rois et les potentats
qui ont ensemble maintenu l'ancien ordre des choses sous lequel il
s'irrite maintenant d'une manière incessante. Il y a seulement trois cent
cinquante ans qu'un décret du Parlement anglais fut rendu en faveur des
illettrés parmi ses membres, en ces termes : « A tout Lord du Parlement
et à tout Pair du Royaume ayant place ou voix au Parlement, sur sa requête
ou sa prière, réclamant le bénéfice du présent acte, bien qu'il ne
sache pas lire ». Des vingt-six Barons qui signèrent la Grande
Charte, on dit que trois seulement écrivirent leurs noms, tandis que les
vingt-trois autres firent une croix.
Discernant que la tendance de l'instruction générale des masses
populaires était de les conduire à juger les pouvoirs dirigeants au lieu
de contribuer à leur stabilité, le ministre russe de l'Intérieur
proposa, pour enrayer l'extension du nihilisme, de mettre fin à
l'enseignement supérieur de tous les membres des classes pauvres, En
1887, il publia un décret d'où nous extrayons le passage suivant :
« Les gymnases, les Écoles supérieures et les Universités refuseront désormais
de recevoir comme élèves ou comme étudiants les enfants de domestiques,
de paysans, de commerçants, de boutiquiers, de fermiers, et ceux de
condition semblable, dont les descendants ne devraient pas être élevés
hors du cercle auquel ils appartiennent, car ainsi qu'une longue expérience
l'a montré, ils sont amenés à devenir mécontents de leur sort, et
irrités contre les inégalités inévitables des positions sociales
existantes ».
Mais il est trop tard, à présent, pour qu'une politique comme celle-là
réussisse, même en Russie, C'est cette politique que la Papauté a
poursuivie alors qu'elle était toute puissante. Pourtant, cette
institution rusée se rend compte maintenant que ce serait un échec qui
amènerait à, coup sûr une réaction contre la puissance qui essaierait
pareille politique. La lumière a lui sur l'intelligence des masses, et
l'on ne peut reléguer celles-ci à leurs ténèbres antérieures. Avec
l'augmentation graduelle de la connaissance, on a exigé des formes républicaines
de gouvernement, et la forme monarchique a été, de toute nécessité,
grandement modifiée par suite de leur exemple et des revendications du
peuple.
A l'aube du nouveau jour, les hommes commencent à comprendre que, sous la
protection de fausses prétentions, soutenues par le peuple dans son
ignorance première, les classes dirigeantes ont tiré égoïstement
profit des droits et privilèges naturels du reste de l'humanité. Alors,
considérant et pesant les prétentions de ceux qui sont au pouvoir, ils
tirent rapidement leurs propres conclusions, sans égard aux pauvres
apologies qu'on leur présente. Mais eux-mêmes n'étant pas poussés par
de plus nobles principes de justice et de vérité que les classes
dirigeantes, le jugement des masses est tout aussi éloigné du droit et
de la justice que celui des dirigeants, les uns et les autres ne voyant
qu'un côté de la question. Leur disposition croissante est d'ignorer
inconsidérément toute loi et tout ordre plutôt que d'examiner calmement
et sans passion les prétentions de justice sous toutes ses faces à la
lumière de la Parole de Dieu.
Pendant que Babylone, la chrétienté — l'organisation actuelle et
l'ordre actuel de la société tels qu'ils sont représentés par ses
hommes d'État et son clergé — est maintenant pesée dans la balance de
l'opinion publique, on comprend que ses prétentions monstrueuses sont
absurdes et sans fondement ; les lourdes accusations qui sont portées
contre elles — celles d'égoïsme et de transgression de la règle d'or
de Christ, dont elle revendique le nom et l'autorité — ont déjà fait
pencher la balance à tel point que, même maintenant, le monde a peu de
patience pour entendre les preuves supplémentaires du caractère vraiment
antichrétien de Babylone.
Ses représentants appellent l'attention du monde sur la gloire de leurs
royaumes, le triomphe de leurs armes, la splendeur de leurs villes et de
leurs palais, sur la valeur et la force de leurs institutions, politiques
et religieuses. Ils s'efforcent de faire renaître l'esprit des temps passés
de patriotisme étroit et de superstition qui poussait les gens à se
courber pleins de soumission et d'adoration devant ceux qui détenaient
l'autorité et le pouvoir, qui les faisait crier de toutes leurs forces :
« Vive le roi ! » et considérer avec vénération ceux qui prétendaient
être des représentants de Dieu.
Mais ces jours-là sont passés : ce qui reste de l'ignorance et de la
superstition d'antan disparaît rapidement, en même temps que les
sentiments de patriotisme étroit et d'aveugle révérence religieuse pour
faire place à l'indépendance, à la suspicion et au défi qui promettent,
avant peu, de conduire à la lutte mondiale, à l'anarchie. Les peuples
des divers navires d'État parlent avec colère et menaces aux capitaines
et aux pilotes, et en arrivent presque à se mutiner. Ils déclarent que
la présente politique de ceux qui sont au pouvoir consiste à les attirer
sur les marchés d'esclaves de l'avenir, de faire trafic de tous leurs
droits naturels et de les réduire à l'esclavage de leurs pères.
Beaucoup insistent avec une véhémence croissante, pour qu'on destitue
les capitaines et les pilotes actuels, et qu'on laisse aller les navires
à la dérive, pendant qu'eux se disputent entre eux pour avoir le dessus.
Mais contre cette clameur sauvage et dangereuse, les capitaines et les
pilotes, les rois et les hommes d'État, s'opposent et maintiennent leur
position de puissance, en criant pendant tout ce temps-là au peuple : «
A bas les mains ! vous allez entraîner le vaisseau contre les rochers ! ».
Puis les instructeurs religieux s'avancent et conseillent au peuple de se
soumettre, et cherchant à faire valoir leur propre autorité comme venant
de Dieu, ils se mettent de connivence avec les pouvoirs civils pour
maintenir le peuple sous la contrainte. Mais eux aussi commencent à
s'apercevoir que leur pouvoir disparaît et ils cherchent quelque moyen
pour le renforcer. Ainsi parlent-ils d'union et de coopération entre eux,
et nous les entendons discuter avec l'État pour obtenir plus d'assistance
de lui, promettant en retour de soutenir de leur pouvoir (déclinant) les
institutions civiles. Pendant tout ce temps, une tempête se lève, et
tandis que les masses populaires, incapables de comprendre le danger,
continuent à se plaindre à grands cris, le cœur de ceux qui sont au
gouvernail des navires d'État défaille
de frayeur à la vue de ce qui doit sûrement arriver.
Les pouvoirs ecclésiastiques, en particulier, sentent qu'il est de leur
devoir de rendre des comptes afin de sauver les apparences, et si
possible, contenir ainsi le courant révolutionnaire du sentiment public
contre eux. Mais en essayant de s'excuser des maigres bons résultats de
leur puissance des siècles passés, ils ne font qu'ajouter à leur propre
confusion, à leur perplexité, et éveillent l'attention des autres sur
le réel état de choses actuel. On peut voir constamment de telles
apologies dans les colonnes de journaux profanes et religieux. Cependant,
en contraste frappant avec ces apologies, paraissent librement et sans
crainte, les critiques du monde à l'adresse, à la fois des pouvoirs
civils et des pouvoirs ecclésiastiques de la chrétienté. En voici
quelques exemples extraits de rapports de presse :
ACCUSATION DES POUVOIRS CIVILS PAR LE MONDE
« Parmi toutes les curieuses croyances de la race humaine, il n'en est
pas de plus étrange que celle qui fait que le Dieu Tout-Puissant choisit
avec soin quelques-uns des membres les plus ordinaires du genre humain,
souvent maladifs, stupides et vicieux, pour régner sur de grandes
communautés, sous sa protection spéciale, comme représentants de Dieu
sur la terre ». — New York Evening Post.
Il y a quelques années, un autre journal déclarait, sous le titre « Une
pauvre compagnie de rois » :
« On dit avec quelque vraisemblance que le roi Milan de Serbie est fou.
Le roi de Württemberg est un lunatique partial. Le dernier roi de Bavière
s'est suicidé alors qu'il était fou, et le dirigeant actuel de ce pays
est un idiot. Le Tsar de Russie remplit cette fonction parce que son frère,
l'héritier naturel, fut jugé mentalement incapable, et le Tsar actuel
est affligé de mélancolie depuis le moment de son couronnement ; il a
fait appel aux soins des spécialistes psychiatres d'Allemagne et de
France. Le roi d'Espagne est une victime de la scrofule et n'atteindra
probablement pas l'âge d'homme. L'empereur d'Allemagne a, dans une
oreille, un abcès incurable qui affectera éventuellement son cerveau. Le
roi du Danemark a légué un sang empoisonné à une demi-douzaine de
dynasties. Le sultan de Turquie est affligé de dépression mentale. Il
n'y a pas un trône en Europe où les péchés des pères ne sont pas
visiblement descendus sur les enfants, et dans une génération ou deux,
il n'y aura plus ni Bourbon, ni Habsbourg, ni Romanoff, ni Guelf, pour
irriter et gouverner le monde. Le sang bleu de cette espèce ne vaudra pas
cher dans les années 1900. Il s'élimine de lui-même des problèmes de
l'avenir ».
Un autre journaliste de la presse quotidienne calcule comme suit ce que coûte
la royauté :
« A l'accession de la reine Victoria au trône, il fut entendu qu'elle
recevrait 385 000 £ par an, avec la possibilité de toucher de nouvelles
pensions s'élevant à 1 200 £ par an, c'est-à-dire l'équivalent d'une
annuité de 19 871 £. Ceci fait un total complet de 404 871 £ par an
pour la Reine seule, dont 60 000 £ pour sa bourse personnelle, c'est-à-dire
simplement son argent de poche. Le duché de Lancaster qui demeure
toujours sous l'administration de la couronne, verse également 50 000 £
par an dans la bourse personnelle. Ainsi la Reine a 110 000 £ à dépenser
par an, car les autres dépenses de sa maison sont couvertes sous d'autres
chapitres de la Liste civile. Lorsqu'on annonce qu'un don charitable de 50
£ ou de 100 £ est fait par la Reine, on ne doit pas supposer qu'il sort
de la cassette personnelle, car il y a un article séparé de 13 200 £
pour les actions royales d'aumônes, de charité et de bienfaisance. Parmi
les charges de la maison royale, vingt sont classées comme étant d'ordre
politique, avec un montant total d'appointements de 21 582 £ par an, la règle
étant qu'un homme touche le salaire et qu'un autre fait le travail. La
branche médicale comprend vingt-cinq personnes, depuis des docteurs éminents
jusqu'aux pharmaciens tous ayant à maintenir le corps royal en bonne santé,
tandis que trente-six aumôniers ordinaires et neuf prêtres ordinaires
servent l'âme royale. Le ministère de Lord Chamberlain comprend une
liste fastidieuse de charges, parmi lesquelles, tous mélangés confusément
avec le régisseur de théâtre, le poète lauréat et le conservateur des
tableaux de peinture, il y a le patron de barque, le gardeur de cygnes, et
le conservateur des joyaux dans la Tour. La charge la plus curieuse sous
le chapitre de la Chasse royale est celle de grand fauconnier héréditaire,
tenue par le duc de St-Albans aux appointements de 1 200 £ par an, Il est
probable que le duc ne connaît pas la différence qui existe entre un
faucon et un pingouin, et qu'il n'a jamais eu l'intention de la trouver.
Depuis son accession au trône, la Reine Victoria a supprimé beaucoup
d'emplois inutiles, faisant ainsi des économies appréciables qui sont
venues grossir sa volumineuse cassette personnelle.
Ayant ainsi pourvu généreusement la Reine, la nation britannique devait
donner quelque chose à son mari. Le Prince Albert reçut par un vote spécial
30 000 £ par an, en outre des 6 000 £ par an comme feld-maréchal, 2 933
£ par an comme colonel de deux régiments, 1120 £ par an comme
gouverneur du château de Windsor et 1 500 £ comme garde-forestier de
Windsor et des parcs de la résidence. Dans l'ensemble, le mari de la
Reine a coûté à la nation 790 000 £ durant ses vingt et un ans de vie
conjugale, et a élevé une grande famille sur le compte de la nation.
Ensuite vient l'Impératrice Augusta d'Allemagne, qui touche 8 000 £ par
an, en plus d'une dot de 40 000 £ et de 5 000 £ pour les préparatifs de
noces. Pourtant, cette allocation libérale n'est pas suffisante pour
payer son voyage en Angleterre afin de voir sa mère, car à chaque fois,
on lui paie 40 £ pour la traversée. Lorsque le Prince de Galles a
atteint sa majorité, il a reçu une bagatelle de 601 721 £ comme cadeau
d'anniversaire, c'est-à-dire le montant des revenus accumulés du Duché
de Cornouailles jusqu'à cette époque. Depuis lors, il a reçu une
moyenne de 61 232 £ par an du Duché. La nation a également dépensé 44
651 £ pour les réparations faites à la Maison Marlborough, la résidence
urbaine du Prince depuis 1871 ; elle lui paie 1350 £ par an comme colonel
du Dixième Hussards, lui donne 23 450 £ pour régler ses dépenses de
mariage, alloue 10 000 £ par an à sa femme, et elle lui a donné à lui
60 000 £ comme argent de poche lors de sa visite dans l'Inde en 1875. En
tout, il a tiré 2 452 200 £ (plus de 12 000 000 de dollars) dans la
poche de John Bull jusqu'à il y a dix ans, et depuis il continue à
toucher régulièrement.
« Voyons maintenant les fils et les filles plus jeunes. La Princesse
Alice a reçu 30 000 £ lors de son mariage, en 1862, et une rente de 6
000 £ jusqu'à sa mort en 1878. Le Due d'Édimbourg a reçu 15 000 £ par
an à sa majorité, en 1866, et en outre 10 000 £ par an à son mariage,
en 1874, en plus des 6 883 £ pour ses dépenses de mariage et les frais
de réparations à sa demeure. C'est ce qu'il reçoit pour ne rien faire
d'autre que d'être un Prince. En travaillant comme capitaine, et plus
tard dans la Marine comme amiral, il a gagné 15 000 £. Lors de son
mariage avec le Prince Christian de Schleswig-Holstein, en 1866, la
Princesse Helena a reçu une dot de 30 000 £ et un don annuel et pour la
vie de 7 000 £, tandis que son mari reçoit 500 £ par an comme GardeForestier
du parc résidentiel de Windsor. La Princesse Louisa a reçu les mêmes
faveurs que sa sœur Helena. Le Duc de
Connaught a commencé sa vie en 1871 en recevant de la nation 15 000 £
par an, et à son mariage, en 1879, cette pension s'éleva à 25 000 £.
Il exerce maintenant le commandement de l'armée de Bombay avec 6 600 £
par an, avec des émoluments considérables. Le Duc d'Albanie a reçu, en
1874, 15 000 £ par an, somme qui fut élevée à 25 000 £ lors de son
mariage, en 1882, et sa veuve reçoit 6 000 £ par an. Le malheureux Duc
fut le génie de la famille, et s'il avait été un citoyen ordinaire avec
des chances moyennes, il eût pu gagner une vie confortable comme avocat,
car c'était un orateur. A son mariage, la Princesse Béatrice reçut la
dot habituelle de 30 000 £ et une rente annuelle de 6 000 £. Ainsi la
nation, depuis l'accession de la Reine au trône, jusqu'à la fin de 1886,
a payé 4 766 083 £ pour le
luxe d'un prince consort, cinq princesses et quatre princes, sans compter
les frais spéciaux de poche, les résidences gratuites et l'exemption
d'impôts.
« Mais ceci n'est pas tout. La nation doit soutenir non seulement
les descendants de la Reine mais aussi ses cousins et cousines, ses oncles
et ses tantes. Je ne vais indiquer que les sommes totales reçues par ces
royaux pensionnés depuis 1837. Léopold, roi des Belges, a reçu,
simplement parce qu'il avait épousé la tante de la Reine, 50 000 £ par
an jusqu'à sa mort, soit un total de 1 400 000 £ durant le règne actuel.
Toutefois, il avait un certain sens d'honnêteté, car lorsqu'il devint le
roi des Belges, en 1834, il fit verser sa pension à des fondés de
pouvoir, ne se réservant que des rentes annuelles pour ses domestiques et
l'entretien de sa Maison de Claremont, et lorsqu'il mourut la somme totale
fut reversée à l'Échiquier. Il n'en a pas été de même pour le roi du
Hanovre, oncle de la Reine. Il prit tout ce qu'il put toucher, savoir 21
000 £, ce ,qui, de 1837 à 1851, donne un total de 294 000 £. La Reine
Adélaïde, veuve de Guillaume IV, toucha 100 000 £ par an pendant douze
ans, soit 1 200 000 £ en tout. La mère de la Reine, la Duchesse de Kent,
reçut 30 000 £ par an, depuis le couronnement de sa fille jusqu'à sa
mort, soit un total de 720 000 £. Le Duc de Sussex, un autre oncle, reçut
18 000 £ par an pendant six ans, soit un total de 108 000 £. Le Duc de
Cambridge, oncle n° 7, absorba 24 000 £ par an, soit en tout 312 000 £,
tandis que sa veuve, qui vit encore, a reçu 6 000 £ par an depuis la
mort de son mari, soit un total de 222 000 £. La Princesse Augusta, autre
tante, eut en tout 18 000 £ environ. La landgravine de Hesse, tante n°
3, s'assura environ 35 000 £. La Duchesse de Gloucester, tante n° 4,
s'en alla avec 14 000 £ par an, soit pendant vingt ans, un total de 280
000 £ en tout. La Princesse Sophia, une autre tante encore, reçut 167
000 £, et la dernière tante, la Princesse Sophia de Gloucester, nièce
de Georges III, reçut 7 000 £ par an pendant sept ans, soit 49 000 £.
Ensuite, le Duc de Mecklenburg-Strelitz, le cousin de la Reine, fut payé
1 788 £ par an, pendant vingt-trois ans du règne, soit 42 124 £.
« Le Duc de Cambridge, comme commandant en chef de l'armée britannique,
avec des pensions, des soldes de commandant en chef, de colonel de
plusieurs régiments et de garde-forestier de plusieurs parcs dont il fit
en grande partie des réserves privées de gibier, reçut 625 000 £ du trésor
public. Sa sœur, la Duchesse de Mecklenburg-Strelitz, a reçu 132 000 £,
et sa seconde sœur, « la grosse Mary», Duchesse de Teck, a pris 153 000
£. Ceci fait un énorme total de 4 357 124 £ que la nation a payé pour
soutenir les oncles, tantes, cousins et cousines de la Reine durant son règne.
« Outre les sommes données sur la Liste civile de la Reine, le montant
de l'achat des quatre yachts royaux et celui de leur entretien sont
compris dans les budgets de la Marine, bien que ce soit-là légitimement
des dépenses de la royauté. Le prix d'achat fut de 275 528 £, et le
total des frais d'entretien, des soldes, des pensions et de l'entretien
des équipages pendant dix ans s'éleva à 346 560 £, soit un total de
622,088 £ pour ce seul chapitre.
« En résumé, les nombreux oncles, tantes, cousins et cousines de la
Reine, ont coûté 4 357 124 £, son mari, ses fils et ses filles 4 766
083 £ ; elle-même et sa maison 19 838 679 £, et ses yachts 622 088 £.
Cela fait un total de 29 583 974 £ [près de 150 millions de dollars] que
la nation britannique a dépensé pour la monarchie durant le présent règne
[jusqu'en 1888]. Le jeu en vaut-il la chandelle ? C'est là un prix
exorbitant pour avoir la stabilité, car cela signifie que le peuple est
imposé à la limite de sa capacité pour garder dans l'oisiveté un grand
nombre de personnes qui feraient plus de bien au pays si elles gagnaient
honnêtement leur vie ».
Le couronnement spectaculaire du Tsar de Russie fut un exemple manifeste
de l'extravagance royale, destinée, comme le sont tous les panaches
magnifiques de la royauté, à impressionner les masses avec l'idée que
leurs maîtres sont tellement au-dessus d'eux en gloire et en dignité
qu'ils méritent leur adoration comme des êtres supérieurs, et leur obéissance
la plus abjecte et la plus servile. On dit que ce grand faste royal coûta,
en cette occasion 25 000 000 de dollars.
A propos de cette extravagance, si en contraste avec les conditions
lamentables des millions de paysans dont la misère fut portée à la
connaissance du monde entier lors de la famine de 1893, nous extrayons des
commentaires du journal anglais The Spectator, ce qui suit :
«
Il est difficile d'étudier, à propos des préparatifs en vue du
couronnement russe, les comptes rendus qu'on croirait devoir être imprimés
en or sur de la soie pourpre, sans avoir une sensation de dégoût, et
plus spécialement si, en même temps, nous lisons les descriptions faites
des Arméniens que les Russes ont refusé de protéger, bien qu'ils en
eussent le pouvoir. Nous pouvons, avec un effort, évoquer la merveilleuse
scène se déployant dans Moscou, avec son architecture asiatique et ses
coupoles étincelantes, ses rues regorgeant d'uniformes européens
somptueux et de vêtements asiatiques plus somptueux encore, de princes
blancs en rouge, de princes jaunes en bleu, de princes bruns en drap d'or,
les maîtres des tribus venus de l'ExtrêmeOrient, le dictateur de
Chine, le général japonais brun devant qui s'est prosterné ce dictateur,
côte à côte avec des membres de toutes les familles régnantes d'Europe,
et des représentants de toutes les églises connues, sauf celle des
Mormons, et de tous les peuples qui obéissent au Tsar ; il y en a,
croyons-nous, quatre-vingts d'entre eux ; il se trouve également des représentants
de chaque armée de l'Occident, tous se déplaçant au milieu de régiments
infinis en nombre et en variétés d'uniformes, et à travers des millions
d'humbles gens — à demi-Asiatiques, à demi-Européens — remplis d'émotion
et de dévotion pour leur seigneur terrestre. Nous pouvons, par
anticipation, entendre les hurlements des foules interminables, les chœurs
de la multitude des moines, les salves d'artillerie qui sont répétées
de place en place jusqu'à ce que, à travers toute la partie
septentrionale du monde, de Riga à Vladivostock, tous les hommes
entendent au même moment que le Tsar s'est placé la couronne sur la tête.
L'Anglais étudie tout cela
comme il étudierait un poème de Moore, et il trouve que c'est à la fois
fastueux et écœurant. N'est-ce pas là trop grandiose pour la grandeur ?
Cela ne tient-il pas plutôt de l'opéra que de la vie ? N'est-ce pas là
quelque chose comme un crime, dans un Empire comme la Russie avec ses
millions sur millions de gens qui souffrent, dans la dépense gigantesque
qui produit ces effets de pourpre ? Cinq millions de livres sterling pour
un cérémonial ! Existe-t-il un principe sur lequel on puisse justifier
une telle dépense, même d'une manière spécieuse ? N'est-ce pas là le
gaspillage d'un Belshatsar, l'étalage d'un orgueil presque démentiel, un
déversement de trésor comme un flot ainsi qu'en déversent parfois des
rois orientaux, uniquement pour susciter une émotion dans un esprit plus
que rassasié ? Rien ne pourrait décider un Anglais à voter pareille
somme pour un tel objet, et l'Angleterre pourrait économiser l'argent au
moins dix fois plus vite que la Russie.
«
Cependant, on peut craindre que ceux qui gouvernent la Russie soient sages
dans leur génération, et que cette dépense d'énergie et de trésor
leur assure un résultat qui, à leur point de vue, est un profit
acceptable. Le but, l'objet, est de rendre plus profonde l'impression des
Russes que la position du Tsar est en quelque sorte surnaturelle, que ses
ressources sont illimitées comme l'est sa puissance, qu'il occupe une
certaine position spéciale apparentée au divin, que son couronnement est
une consécration si solennelle et d'une telle signification pour le genre
humain, qu'aucun faste extérieur pour la rendre visible ne peut être
excessif, que le genre humain peut être appelé à le contempler sans le
dénigrer, que le calme momentané de paix qui a été répandu avec tant
de soin à travers le monde septentrional est causé, non par ordre, mais
par l'attente d'un événement d'importance. Et les Russes au pouvoir
croient que le résultat est atteint, et que l'impression faite par le
couronnement égale à travers l'Empire l'impression d'une victoire qui coûterait
autant d'argent et beaucoup plus de larmes. Ils répètent le cérémonial
à chaque succession au trône avec une splendeur et une grandeur de
dessein toujours croissantes, correspondant à la position croissante de
la Russie, caractérisée maintenant selon eux, par le funeste
affaiblissement du Japon, par la soumission de la Chine, et par la
servilité rampante du maître de Constantinople. Ils croient même que le
couronnement augmente le prestige de leur maître en Europe, que la
grandeur de son Empire, la multitude de ses soldats, la possession dont il
dispose de toutes les ressources de la civilisation aussi bien que de
toutes celles d'une Puissance barbare, tout cela impressionné bien mieux
l'esprit collectif de l'Occident, et augmente l'aversion qui s'y trouve à
affronter la grande Puissance du Nord. A Berlin, pensent-ils,
ils tremblent davantage à l'idée d'une invasion, à Paris le
souvenir de l'Alliance fait
davantage exulter les hommes, à Londres, on s'interroge plus longuement
alors que ses hommes d'État méditent, car ils méditent toujours, sur la
manière dont on pourrait, la prochaine fois arrêter la marche du glacier
ou l'éviter. Quelqu'un peut-il affirmer avec assurance qu'ils ont complètement
tort, ou que pour un an la diplomatie russe ne sera pas plus hardie à la
suite de la fête nationale, que la résistance de ceux qui résistent ne
sera pas plus timide parce qu'ils ont vu, du moins avec leur vue mentale,
une scène qu'on pourrait peut-être, si l'on voulait être bref, mieux décrire
comme étant la revue d'un Empire faite à l'intérieur des murailles de
sa capitale, ou un défilé de l'Europe septentrionale et de l'Asie en
honneur de son commandant en chef ?
«
On peut se tromper, mais du moins sommes-nous sûrs que des scènes comme
celle qui se déroule à ce couronnement constitue un des périls du
monde. Elles doivent tendre à démoraliser le plus puissant de ses hommes.
Du Tsar actuel, personne ne sait rien, excepté dit quelqu'un qui a été
mis, d'une façon inattendue, en contact étroit avec lui, qu'il est un
homme très profondément émotif ; il doit l'être, cependant, davantage
que le commun peuple, si lui, un descendant d'Alexandre 1er qui signa le Traité de Tilsit, peut se sentir pendant des jours
le centre de cette scène de couronnement, il peut, en fait, être adoré
comme s'il régnait à Ninive, sans songer de songes ; les rêves de roi
sont habituellement des rêves de domination. Il y a, ainsi le
comprenons-nous, une intoxication de rang social comme il y a une
intoxication de pouvoir, et l'homme sur qui tous les yeux sont fixés, et
devant qui tous les princes semblent petits, doit être en vérité d'un
tempérament modéré si, par moments, il ne s'enfle pas avec la
conviction qu'il est le premier parmi tous les humains. Les maîtres de la
Russie peuvent encore trouver que, si en élevant si haut leurs Tsars, ils
ont affermi la loyauté et augmenté l'obéissance, ils ont fait disparaître
la puissance de l'empire sur soi, qui est la défense nécessaire de
l'esprit (« mind ») ».
Cependant,
il est abondamment prouvé que ces maîtres de royaumes prétendus chrétiens
sont dans leur ensemble dépourvus de vrais sentiments chrétiens et même
de sympathie humaine, par le fait que, tout en gaspillant la richesse (comme
on gaspille l'eau) pour soutenir la royauté et sa vaine pompe et son vain
étalage, et que des millions de soldats et de marins ainsi qu'un armement
des plus prodigieux sont sous leurs ordres, ces gouvernants entendaient
sans broncher les cris des pauvres chrétiens arméniens que les Turcs
torturaient et tuaient par dizaines de milliers. Évidemment, les
merveilleuses armées ne sont pas organisées pour l'amour de l’humanité,
mais simplement pour servir les intérêts égoïstes des dirigeants
politiques et financiers du monde, c'est-à-dire pour s'emparer de
territoires, pour protéger les intérêts des porteurs de bons ou
d'obligations, et pour se sauter à la gorge les uns des autres, excités
d'une haine sanguinaire, chaque fois qu'une bonne occasion se présente
d'agrandir leurs empires ou d'accroître leurs richesses.
En
contraste frappant avec cette royale extravagance qui prévaut, dans une
certaine mesure, dans tout pays où une famille royale est maintenue, on
trouve l'endettement considérable des pays européens.
« L'Économiste français a publié un article détaillé
écrit par M. René Stourm, sur la dette publique en France. On estime le
plus fréquemment à 6 400 000 000 de $ le capital de la dette. Les
estimations les plus modérées le réduisent de quelques millions. M.
Paul Leroy-Beaulieu le chiffre à 6 343 573 630 $. Le résultat du calcul
de M. René Stourm est un total de 5 900 800 000 $ avec, cependant, la
restriction qu'il a omis 432 000 000 de $ de rentes viagères que d'autres
économistes ont traitées comme faisant partie du capital de la dette. La
charge annuelle pour l'intérêt et le fonds d'amortissement, sur la dette
entière, y compris les rentes viagères, s'élève à 258 167 083 $. De
la dette consolidée, 2 900 000 000 $ sont de la rente perpétuelle 3 %, 1
357 600 000 $ sont de la rente perpétuelle 4,50 %,
et 967 906 200 $ sont des bons amortissables de diverses espèces.
Des rentes à diverses compagnies et sociétés pour une valeur de 477 400
000 $, et 200 000 000 $ de
dette flottante fournissent la balance du total de M. Stourm. Ceci est de
loin la charge la plus lourde qui soit supportée par une nation sur le
globe. La dette qui s'en approche le plus est celle de la Russie qui est
fixée à 3 605 600 000 $. L'Angleterre vient ensuite avec 3 565 800 000
dollars, puis l'Italie avec 2 226 200 000 $. La dette de l'Autriche est de
1 857 600 000 $, et celle de la Hongrie de 635 600 000 $. L'Espagne doit 1
208 400 000 $,et la Prusse 962 800 000 $. Tels sont les chiffres donnés
par M. Stourm. Aucune de ces nations, sauf l'Angleterre et la Prusse, ne
dispose de revenus suffisants pour garantir un équilibre permanent du
budget, mais la France est la plus lourdement chargée de toutes, et la
croissance de sa dette a été la plus rapide dans le passé récent et la
plus menaçante de l'avenir.
« En conclusion, M. Stourm dit : « Nous nous abstenons de rester
sur les réflexions affligeantes qu'inspire le résultat de notre travail.
Quel que soit l'aspect sous lequel nous considérions ces 29 milliards et
demi, que ce soit avec les dettes des autres pays ou avec notre propre
dette des dix ou vingt dernières années, ils apparaissent comme un
sommet d'une altitude inconnue, surpassant la limite que n'importe quel
peuple du monde, à n'importe quelle époque, a supposé inaccessible. La
Tour Eiffel sera leur vraie contrepartie nous dominons nos voisins et
notre propre histoire de la hauteur de notre dette... devant laquelle il
est temps que notre pays ressente une frayeur patriotique ».
The London Telegraph a publié un jour
le résumé suivant de la perspective financière nationale :
« Le manque d'argent plane comme un
nuage sombre et presque universel au‑dessus des nations d'Europe.
Les temps sont très mauvais pour les Puissances sans exception, mais plus
mauvais encore pour les petites. Il y a difficilement une nation sur le
continent [l'Europe moins l'Angleterre —Trad.] dont le bilan pour l'année
écoulée ne présente pas une sombre perspective, tandis que nombre de
bilans sont de simples confessions de faillite. Des rapports sérieux sur
les conditions des divers États révèlent, dans les ministères
respectifs des finances, une lutte pour joindre les deux bouts qui n'avait
jamais été aussi générale. L'état de choses est en vérité presque
mondial, car si nous regardons au-dehors de notre propre continent, les États-Unis
d'une part, et l'Inde et le Japon avec leurs voisins, d'autre part, ont
senti le tenaillement qui prévaut...
« La Grande République est trop vaste
et a trop de ressources pour mourir de ses maladies financières, même si
elle est très malade. La Grande-Bretagne, aussi, a un déficit à
affronter dans le prochain budget, et elle doit supporter des pertes
lourdes et peut-être irréparables par l'action insensée de la grève du
charbon. La France, comme nous-mêmes et comme l'Amérique, est l'un des
pays qu'on ne saurait imaginer insolvable, tant son sol est riche et son
peuple laborieux. Cependant, son revenu manifeste de fréquents déficits
; sa dette nationale a pris des proportions stupéfiantes, et le fardeau
de son armée et de sa marine écrase presque l'industrie du pays.
L'Allemagne également doit être inscrite dans la catégorie des nations
trop bien fondées et trop fortes pour souffrir autre chose qu'une éclipse
temporaire. Pourtant, durant l'année écoulée on a calculé qu'elle
avait perdu 25 000 000 £, ce qui représente environ la moitié de l'épargne
nationale. Beaucoup de cette perte provient des investissements allemands
dans des fonds au Portugal, en Grèce, en Amérique du Sud, au Mexique, en
Italie et en Serbie, en même temps que l'Allemagne a ressenti rudement la
confusion dans le marché de l'argent. Le fardeau de sa paix armée pèse
d'un poids écrasant sur son peuple. Parmi les Puissances que nous
groupons ensemble comme étant naturellement solvables, il est frappant de
trouver que l'Autriche-Hongrie a le meilleur et le plus satisfaisant
compte rendu financier à donner…
« Lorsque nous nous détournons de ce
groupe important et que nous jetons le regard sur l'Italie, nous y
trouvons un exemple de « grande Puissance » presque réduite à la
mendicité par sa grandeur. Année après année, ses revenus baissent et
ses dépenses augmentent. Il y a six ans, la valeur du commerce extérieur
de l'Italie s'élevait à 2 600 000 000 F ; elle est tombée maintenant à
2 100 000 000. Elle doit payer 30 000 000 £ comme intérêt de sa dette
publique, outre une prime pour l'or nécessaire. Ses obligations (ou ses
bons — Trad.) ne se vendent pas sur le marché son émission prodigieuse
de billets de banque a élevé l'argent et l'or à des prix arbitraires.
Sa population est plongée dans un état de pauvreté et d'impuissance
presque inimaginable ici, et lorsque ses nouveaux ministres inventent de
nouveaux impôts, des émeutes sanglantes éclatent.
« Quant à la Russie, ses déclarations
financières sont voilées d'un tel mystère que personne ne peut en
parler avec confiance ; mais il y a peu de raison de douter que seule
l'immensité de l'empire du Tsar l'empêche de faire faillite. La
population a été pressurée jusqu'à ce que la dernière goutte de
vitalité laborieuse ait été extraite. Le Ministre des Finances le plus
téméraire et le plus impitoyable ose rarement donner un autre derni-tour
à la vis d'imposition.
« Une autorité, modérée et sérieuse
du pays, écrit dans les termes suivants au sujet de la situation en
Russie :
« Chaque copeck que le paysan réussit
à gagner est dépensé, non pas pour mettre ses affaires en ordre, mais
pour payer ses arriérés d'impôt... L'argent payé par la population
paysanne sous forme d'impôt, s'élève à un montant entre les deux tiers
aux trois quarts du revenu du pays, y compris leur propre travail supplémentaire
comme ouvriers de ferme. Le bon crédit apparent du gouvernement est
soutenu par des moyens artificiels. Des observateurs sérieux s'attendent
à une débâcle semblable dans les piliers social et financier de
l'empire. Ici, aussi, le poids stupéfiant de la paix armée de l'Europe
aide largement à paralyser le commerce et l'agriculture. L'exemple du
Portugal n'entre pas dans notre champ d'observation, car bien que le
royaume jadis célèbre soit un débiteur, sa position malheureuse n'est
certainement pas due à l'ambition militaire ou à des dépenses fébriles.
Cependant, la Grèce, bien qu'insignifiante parmi les Puissances, avec sa
population de deux millions d'habitants, offre un exemple aveuglant de la
ruine à laquelle l'extravagance financière et des desseins démesurés réduisent
une nation. La malédiction de la petite Grèce a été sa « grande idée
», et récemment, nous l'avons vue amenée à esquiver le poids de sa
dette publique par un acte de malhonnêteté absolue qui ne fut restreint
en partie qu'en raison des protestations de l'Europe. L'argent qu'elle a
gaspillé pour son « Armée et sa Marine » aurait pu aussi bien être
jeté à la mer. La politique est devenue pour elle une maladie qui
infecte ses meilleurs et ses plus capables hommes publics. Avec un commun
peuple trop instruit pour travailler, des étudiants de l'université plus
nombreux que des maçons, des dettes publiques et des dettes privées que
personne n'a l'intention de payer, un simulacre d'Armée et de Marine qui
engloutit les fonds, la malhonnêteté devenue un principe en politique,
et des plans secrets qui doivent signifier ou bien plus de prêts ou bien
un marché malhonnête et dangereux avec la Russie, telles sont les caractéristiques
de la Grèce contemporaine.
« En considérant donc tout le
Continent sans exception, on ne peut nier que l'état de choses touchant
le bien-être du peuple et les bilans nationaux est extrêmement peu
satisfaisant. Bien entendu, l'une des raisons principales et manifestes en
est cette paix armée qui pèse comme un cauchemar sur l'Europe, et a
transformé tout le Continent en un camp permanent. Voyez seulement
l'Allemagne ! Cet Empire sensé et raisonnable ! Le budget militaire s'y
est élevé de 17 500 000 £ en 1880 à 28 500 000 £ en 1893.
L'accroissement paru dans la Nouvelle Loi de Défense militaire ajoute 3
000 000 £ par an à la masse colossale de l'armement défensif de
l'Allemagne.
« La France a usé ses forces au point
même d'en arriver également à un écroulement en voulant être de la
force de sa rivale. Il est inutile de dire la terrible part que prennent
dans la présente détresse populaire de l'Europe ces assurances de
guerre. Non seulement elles soustraient des bénéfices et des salaires
les sommes considérables qui servent à acheter de la poudre et des
projectiles, et à construire des casernes, mais elles enlèvent à
l'industrie dès leur force virile des millions de jeunes travailleurs qui
sont également perdus pendant la même période à leurs familles et pour
le renforcement des populations. Le monde n'a pas encore inventé une
meilleure Chambre de compensation pour les chèques internationaux que
l'effrayant et coûteux Temple de la Guerre ».
Pourtant, malgré le lourd endettement
et l'embarras financier des nations, des statisticiens capables estiment
raisonnablement que les dépenses actuelles de l’Europe pour les divers
budgets de l'armée et de la marine, l'entretien des garnisons et la perte
de travail industriel occasionnée par le retrait d'hommes de l'industrie
productive, peuvent s'élever à 1 500 000 000 $ par an, sans parler des
pertes considérables de vies humaines ; dans les vingt-cinq dernières
années du siècle écoulé (de 1855 à 1880) on estime ces pertes à 2
188 000, et ce, dans des conditions horribles qu'on ne peut décrire. M.
Charles Dickens a très sincèrement observé que :
« Nous parlons d'un ton de triomphe,
et avec une certaine fougue d'« une charge magnifique ! », d' «
une charge splendide ! », et pourtant bien peu de gens se font une idée
des détails affreux qu'évoquent ces deux mots légers. La « charge
splendide » est une charge fougueuse d'hommes montés sur de
vigoureux chevaux, poussés à leur plus grande allure, renversant et écrasant
des masses d'hommes à pied qui leur sont opposées. L'esprit du lecteur
ne va pas plus loin ; satisfait de l'information que la ligne ennemie a été
« rompue » et « dispersée », il n'imagine pas les détails.
Lorsque la « splendide charge » a accompli son œuvre et s'est éloignée,
on croirait se trouver devant le spectacle d'un accident de chemin de fer.
Il y a au grand complet des dos brisés en deux, des bras tordus
totalement arrachés, des hommes empalés sur leur propre baïonnette, des
jambes fracassées comme des morceaux de bois à brûler, des têtes
partagées comme des pommes, d'autres têtes broyées en molle gelée par
les sabots ferrés des chevaux, des visages piétinés qui n'ont plus rien
d'humain. Voilà ce qui se cache derrière une « splendide charge ».
Voici ce qui s'ensuit, comme une chose naturelle, lorsque « nos
compagnons les chargèrent d'une façon magnifique », et « les
mirent en pièces avec furie ».
« Représentez-vous » dit un
autre auteur, « les millions de gens qui peinent sur toute l'étendue de
l’Europe, se pressant jour après jour à leur travail, travaillant sans
cesse depuis la pointe du jour jusqu'à la nuit humide, à cultiver le
sol, à produire des tissus, à échanger des marchandises, dans les
mines, les usines, les forges, les docks, les ateliers, les magasins ; sur
les chemins de fer, les fleuves, les lacs, les océans ; en pénétrant
les entrailles de la terre, en dominant la résistance de la matière, en
maîtrisant les éléments naturels, et en les faisant servir à la
convenance de l'homme et à son bien-être, et en créant par tout cela,
une masse de richesses qui pourrait apporter l'abondance et le confort
dans chacun de leurs foyers. Et ensuite, imaginez la main du pouvoir
arrivant et, chaque année, raflant quelque six cents millions de l'argent
si laborieusement gagné pour le mettre dans l'abîme des dépenses
militaires ».
Voici, bien au point également, un
extrait de Harrisburg Telegram :
« Il en coûte quelque chose aux
nations « chrétiennes » d'Europe pour expliquer leur notion de « paix
sur la terre et bonne volonté aux hommes ». Autrement dit, il leur en coûte
quelque chose de se tenir tous prêts à se volatiliser les uns les autres.
Des statistiques publiées à Berlin montrent la somme des dépenses
militaires des grandes puissances durant les trois années 1888, 1889,
1890. Voici ces dépenses données en chiffres ronds : France : 1 270 000
000 $ ; Russie : 813 000 000 $ ; Grande-Bretagne : 613 000 000 $ ;
Allemagne : 607 000 000 $ ; Autriche-Hongrie : 338 000 000 $ ; Italie
313 500 000 $. Ces six puissances ont dépensé ensemble 3 954 500 000 $
à des fins militaires pour trois années, soit en moyenne 1 318 100 000 $
par an. Le total des trois années excède considérablement la dette
nationale de la Grande-Bretagne, et elle est presque suffisante pour payer
plus de trois fois les intérêts de la dette des États-Unis. La dépense
correspondante des États-Unis a été d'environ 145 000 000 $ sans
compter les pensions. Si nous voulions ajouter ces dernières, notre dépense
totale s'élèverait à environ 390 000 000 $ ».
«
D'après les estimations de statisticiens français et allemands, 2 500
000 hommes ont péri dans les guerres des trente dernières années,
tandis que pas moins de 13 000 000 000 $ ont été dépensés pour mener
ces guerres. Le Dr Engel, statisticien allemand, donne les chiffres
suivants comme le coût approximatif des principales guerres des trente
dernières années : guerre de Crimée : 2 000 000 000 $ ; guerre
italienne de 1859 : 300 000 000 $ ; guerre prusso-danoise de 1864 35
000 000 $ ; guerre de Sécession (Nord) : 5 100 000 000 $ ; Sud : 2 300
000 000 $ ; guerre prusso-autrichienne de 1866 : 330 600 000 $ ; guerre
franco-allemande de 1870 : 2 600 000 000 $ ; guerre russo-turque : 125 000
000 $ ; guerres sud-africaines : 8 770 000 $ ; guerre africaine :
13 250 000 $ ; guerre serbo-bulgare : 176 000 000 $.
« Toutes ces guerres furent meurtrières
à l'extrême. La guerre de Crimée, au cours de laquelle peu de combats
eurent lieu, coûta la vie à 750 000 hommes, soit 50 000 de moins
seulement que le nombre de ceux qui furent tués ou moururent à la suite
de leurs blessures au cours de la Guerre de Sécession, Nord et Sud. Les
expéditions au Mexique et en Chine coûtèrent 200 000 000 $ et 85 000
vies. Il y eut 250 000 tués et mortellement blessés durant la guerre
russo-turque, et 45 000 dans la guerre italienne de 1859 et autant dans la
guerre entre la Prusse et l'Autriche ».
Dans une lettre adressée à Passy, Député
de Paris, feu Hon. John Bright, membre du Parlement britannique, déclarait
:
« A présent, toutes les ressources de
l'Europe sont englouties par les exigences militaires.
Les intérêts du peuple sont sacrifiés aux fantaisies les plus misérables
et les plus coupables de la politique étrangère. Les vrais intérêts
des masses sont foulés aux pieds par déférence aux fausses notions de
gloire et d'honneur national. Je ne peux m'empêcher de penser que
l'Europe est en marche vers quelque grande catastrophe d'un poids écrasant.
Le système militaire ne peut pas être indéfiniment supporté avec
patience, et il est possible que les populations, conduites au désespoir,
puissent avant longtemps balayer les royautés et les prétendus hommes d'état
qui gouvernent en leur nom ».
Ainsi le jugement des pouvoirs civils
leur est-il contraire. Non seulement la presse s'exprime de cette manière
tout haut, mais partout les gens parlent et protestent bruyamment contre
les pouvoirs en place. L'agitation est universelle et devient de plus en
plus dangereuse chaque année.
LE MONDE ACCUSE AUSSI
L‘ORGANISATION SOCIALE ACTUELLE
L'organisation sociale actuelle de la
chrétienté est aussi soumise à un jugement : son système monétaire,
ses institutions et plans financiers, et, naissant de tout cela, sa
politique égoïste des affaires et ses distinctions sociales basées
essentiellement sur la fortune avec tout ce que cela implique d'injustice
et de souffrance pour les masses ; toutes ces choses sont, dans le
jugement actuel, aussi sévèrement traitées que les organisations
civiles. Constatez les discussions interminables sur la question de
l'argent, et sur l'étalon-or, et les débats sans fin entre le travail et
le capital. Comme des vagues de la mer s'agitant sous un vent qui se lève,
écoutez les murmures concertés de voix innombrables contre
l'organisation sociale actuelle, particulièrement dans la mesure où on
la voit en contradiction avec le code moral contenu dans la Bible que la
chrétienté, en général, prétend reconnaître
et suivre.
Un fait vraiment digne d'être noté,
c'est que dans le jugement de la chrétienté, même le monde en général
se base sur la Parole de Dieu. Les païens brandissent la Bible et
déclarent hardiment : « Vous n'êtes pas aussi bons que votre livre ».
Ils montrent son Christ béni et disent : « Vous ne suivez pas votre modèle
». Et, à la fois les païens et les masses de la chrétienté se basent
sur la règle d'or et la loi d'amour pour reconnaître la valeur des
doctrines, des institutions, de la politique et de la manière générale
d'agir de la chrétienté, et toutes ensemble rendent témoignage à la véracité
des mots étranges tracés sur la muraille de la salle de festin : « Tu
as été pesé dans la balance et tu as été trouvé léger ».
Le témoignage du monde contre
l'organisation sociale actuelle s'entend partout dans tous les pays. Tous
les hommes déclarent qu'elle a fait faillite ; l'opposition devient
de plus en plus active, et répand l'alarme sur le monde entier, « ébranlant
terriblement » toute confiance dans les institutions existantes, et à
tout bout de champ paralysant l'industrie par des paniques, des grèves,
etc. Il n'y a aucune nation parmi la chrétienté dans laquelle
l'opposition à l'organisation sociale actuelle ne soit marquée, opiniâtre
et de plus en plus menaçante.
M. Carlyle déclare :
« L'existence industrielle britannique
semble devenir rapidement une prison-marécage immense d'exhalaison
pestilentielle, physiquement et moralement, un Golgotha vivant horrible d'âmes
et de corps enterrés vivants. Trente mille couturières se tuent
rapidement au travail. Trois millions de pauvres croupissent dans une
oisiveté forcée, aidant lesdites couturières à mourir. Ce ne sont là
que des détails dans le registre où s'inscrit le triste débit du désespoir
».
D'un autre journal appelé The young
man, nous extrayons l'article suivant intitulé « Le monde s'améliorent-il
? » :
« Des hommes vigoureux, avides
d'obtenir un labeur honnête, sont en train de supporter les souffrances
de la faim et de l'abandon, et dans de nombreux cas, le chagrin supplémentaire
de se rendre compte des souffrances de leur famille. D'autre part, l'extrême
richesse s'unit souvent à l'avarice et à l'immoralité, et pendant que
les pauvres meurent lentement de faim, les riches, eux, ignorent dans une
grande mesure, les besoins de leurs frères, et désirent seulement que
Lazare n'accède pas mal à propos à une situation en vue. Des milliers
de jeunes gens sont forcés de travailler comme des esclaves dans des
boutiques mal aérées et dans des magasins tristes pendant soixante-dix
ou quatre-vingts heures par semaine, sans jamais un arrêt de récréation
physique ou mentale. Dans les quartiers populaires de Londres, des femmes
cousent des chemises ou fabriquent des boites à allumettes toute la journée
pour un salaire qui ne suffit pas à louer un lit — encore moins
pour une chambre séparée — et elles sont souvent obligées de choisir
entre l'inanition et le vice. Dans les quartiers aristocratiques de
Londres, des artères entières sont le domaine des sirènes fardées, et
maquillées de la sensualité et du péché — chacune étant un blâme
permanent à la faiblesse et à la perversité de l'homme. Quant aux
jeunes gens, des milliers risquent la prison par le jeu ou la mort prématurée
par la boisson, et pourtant chaque journal respectable est rempli de longs
rapports de courses de chevaux, et le gouvernement chrétien (?) permet
l'installation d'une maison publique à chaque coin de rue. Le péché est
rendu facile, le vice à bon marché, la tromperie prévaut dans le
commerce, l'acharnement dans la politique et l'apathie dans la religion ».
Il y a quelque temps, The
Philadelphia Press publiait ce qui suit :
« Gare au danger ! Il n'y a aucun
doute que New York est divisée en deux grandes classes, celle des très
riches et celle des très pauvres. Les classes moyennes composées de gens
honorables, travailleurs, de commerce aimable, disparaissent graduellement,
soit qu'elles montent à l'échelle des richesses du monde ou qu'elles
descendent dans la pauvreté et l'embarras. Il paraît certain qu'entre
ces classes existe et grandit rapidement, sous l'encouragement
intentionnel de méchants hommes, une haine marquée, manifeste,
malveillante. Il y a ici des hommes dont vous ne savez rien qui possèdent
10 000 000 $ et 20 000 000 $. Je connais une dame, vivant dans une
magnifique demeure, dont la vie est aussi calme que devrait l'être celle
d'un ministre, qui n'a pas dépensé en cinq années, moins de 3 000 000
$, dont les donations avant sa mort n'atteindront pas moins de 7 000 000
$, qui possède chez elle des tableaux, des statues, des diamants, des
pierres précieuses, de ravissants échantillons d'or et d'argent, ainsi
que des œuvres précieuses de tous
les arts imaginables, estimées à 1 500 000 $, et il lui manque plusieurs
millions de dollars pour être aussi riche que nombre de ses voisins. il y
a ici des hommes qui, il y a vingt ans, vendaient des vêtements dans la
rue de Chatham et qui, aujourd'hui, vivent en dépensant 100 000 $ par an,
et qui portent des bijoux coûtant 25 000 $ dans des magasins aux prix
raisonnables.
« Venez avec moi n'importe quel jour, par temps de pluie ou de soleil,
dans un « car » (*) [A l'époque : tramway ou véhicule tiré par un
cheval — Trad.] de l'avenue Medison, entre dix heures et dix-sept ou
dix-huit heures ; je vous ferai trouver l'un après l'autre des « cars »
bondés de dames dont les oreilles portent des diamants estimés chacun
entre 500 et 5 000 $, sur leurs mains dégantées, rouges et duveteuses,
brillent des fortunes. Promenez-vous avec moi depuis le vieux magasin de
Stewart, au coin de la Neuvième rue et Broadway, jusqu'à la Treizième
rue et Broadway, n'importe quel jour. Je ne veux pas dire les dimanches,
les jours de congé, ou à des occasions spéciales, mais tout le temps,
et je vous montrerai, pâté de maisons par pâté de maisons, des femmes
vêtues de longs manteaux de fourrure de phoque, riches de 500 à 1000 $
chacune, portant des boucles d'oreilles et des bagues en diamant, aussi
bien qu'avec d'autres pierres précieuses, tenant à la main un élégant
portefeuille bourré d'argent. Elles représentent les nouveaux riches
dont New York est rempli.
Dans cette même rue, au même moment,
je peux vous montrer des hommes pour qui un dollar serait une fortune, et
dont les pantalons, arrachés et déshonorants dans leurs lambeaux, sont
maintenus à leur taille amaigrie par des cordes, des ficelles ou des épingles,
dont les pieds sans bas traînent sur le trottoir dans des souliers si éculés
qu'ils n'osent pas les soulever du sol, dont les visages sont tachés de
rousseur, dont les barbes sont longues et hirsutes, comme l'est leur
chevelure, tandis que leurs mains rougissantes s'effilent aux ongles comme
des griffes. Combien de temps s'écoulera avant que ces griffes ne
s'accrochent aux riches ? Ne vous trompez pas à ce sujet, le sentiment
est né, le sentiment s'accroît, et le sentiment, tôt ou tard, éclatera.
Pas plus tard qu'hier soir, j'arpentais
la Quatorzième rue, où ne restent que quelques résidences, et en face
de l'une d'elles, une voûte de verdure mène de la porte au trottoir ;
sous cette voûte, des dames vêtues de façon charmante, accompagnées de
leur escorte, s'engagèrent en sortant de leurs voitures, et se dirigèrent
vers la porte ouverte, par laquelle sortirent des flots de lumière et de
sons. Je me tins un moment avec la foule, une grande foule, et là vint
cette idée d'une révolte inévitable à moins que quelque chose soit
fait, et rapidement fait, pour dissiper le préjugé défavorable qui non
seulement existe, mais est entretenu intentionnellement contre les très
riches par les très pauvres. Vous auriez frémi d'entendre de quelle façon
les femmes parlaient. L'envie, la jalousie, la férocité haineuse, tous
les éléments nécessaires s'y trouvaient. Il ne manquait plus qu'un chef
».
Le monde offre le contraste des épouvantables conditions du système
d'exploitation de l'esclavage humain et des misères de l'immense armée
de chômeurs, et d'une autre immense armée de travailleurs mal payés,
avec le luxe et la prodigalité d'une immense richesse ; il y a, quelque
temps un journal londonien le décrivait ainsi :
« Le modeste foyer d'un
millionnaire :
« Nous apprenons de New York que M.
Cornélius Vanderbilt, le millionnaire de New York et roi des chemins de
fer, vient juste d'inaugurer son nouveau palais par un grand bal. Cette
modeste maison qui doit abriter environ dix personnes pendant six mois de
l'année, et rester fermée pendant les six autres mois, se tient au coin
de la Cinquante-septième rue et de la Cinquième Avenue et elle a coûté
à son propriétaire 1 000 000 £. A l'extérieur, elle est de style
espagnol, bâtie de pierre grise, avec des revêtements, des tourelles et
des créneaux rouges. Elle est haute de trois étages avec une mansarde
imposante. La salle de danse est la salle de danse privée la plus
spacieuse de New York, de 75 pieds de long sur 50 de large [23 m environ
sur 15,24 m], décorée de blanc et d'or dans le style Louis XIV. Le
plafond coûte une fortune, et a la forme d'un double cône, peint de
nymphes et d'amours. Autour de la corniche se trouvent des fleurs finement
modelées et portant chacune une lumière électrique, tandis qu'un
immense lustre en cristal pend du centre du plafond. Le soir du bal
d'ouverture, les murs étaient couverts de fleurs naturelles depuis le
parquet jusqu'au plafond, au prix de 1 000 £, et l'on dit que la réception
a coûté à l'hôte à 5 000 £. Attenant
à cet hôtel particulier s'étend le jardin le plus coûteux du monde eu
égard à ses dimensions, car bien qu'il n'ait seulement que l'étendue
d'une portion ordinaire de terrain, il a coûté la somme de 70 000 £ et
pour faire place à quelques parterres de fleurs, on dut abattre une
maison qui avait coûté 25 000 £ ».
Un journal de San-Francisco, Industry,
a publié le commentaire suivant sur la prodigalité de deux hommes riches
de ce pays :
« Le dîner de Wanamaker, à Paris, et
celui de Vanderbilt, à New York, qui ont coûté ensemble au moins 40 000
$ et peut-être beaucoup plus, sont parmi les signes des temps. De telles
choses présagent un changement dans ce pays. Cela, qui n'est qu'un
exemple entre cent autres cas de même étalage ostentatoire d'argent,
peut être comparé à propos à un festin de Rome avant sa chute, et au
luxe qui, en France, il y a un siècle, fut le précurseur de la révolution.
L'argent dépensé à l'étranger chaque année par les Américains, en
grande partie pour le luxe et pour pire encore, est estimé au tiers de
notre revenu national ».
De Ward Mc Allister, qui fut un
dirigeant célèbre de la société de New York, nous relevons le
renseignement très intéressant suivant, cité dans National View :
« Les dépenses annuelles moyennes pour l'existence d'une famille de
respectabilité ordinaire, comprenant le mari, la femme et trois enfants,
s'élèvent à 146 945 $, se décomposant ainsi : loyer d'une maison
urbaine : 29 000 $ ; d'une maison de campagne 14 000 $ ; dépenses
pour la maison de campagne : 6 000 $ ; gages des gens de maison : 8
016 $ ; dépenses du ménage, y compris les gages de la servante : 18 954
$ ; toilette de madame : 10 000 $ ; toilette de monsieur : 2 000 $ ;
toilette des enfants et leur argent de poche : 4 500
$ ; dépenses scolaires pour les trois enfants : 3 600 $ ;
divertissements en donnant des bals et des soirées dansantes : 7 000 $ ;
dîners de réception : 6 600 $ ; loge de théâtre : 4 500 $ ; théâtre
et soupers après le théâtre : 1200 $ ; journaux et revues : 100 $ ;
compte-courant du joaillier : 1 000 $ ; papeterie : 300 $ ; livres : 500 $
; cadeaux de mariage et cadeaux de fêtes : 1 400 $ ; sièges à
l'église : 300 $ ; cotisations au club 425 $ ; honoraires du docteur
: 800 $ ; du dentiste : 500 $ ; transport de la famille à la
campagne et retour : 250 $ ; voyage en Europe 9 000 $ ; dépenses
pour les écuries 17 000 $ ».
On rapporte ce qu'aurait dit Chauncey
M. Depew :
« Il existe aux États-Unis cinquante
hommes qui, en raison de la fortune qu'ils possèdent, peuvent se réunir
et s'entendre dans les vingt-quatre heures pour paralyser les transports
et le commerce, bloquer les branches du négoce et réduire au silence
tous les moyens de transmission. Ces cinquante personnages ont la haute
main sur la monnaie et peuvent déclencher une panique quand ils le
veulent ».
LE MONDE JUGE LES
PUISSANCES ECCLÉSIASTIQUES
Le monde Critique aussi sévèrement
les puissances ecclésiastiques que les puissances monarchiques et
aristocratiques, car il est reconnu qu'elles sont unies, ayant les mêmes
intérêts. Ce qui suit le prouvera :
Il y a quelques années, le North
American Review publiait un bref article de John Edgerton Raymond sur
« Le déclin des puissances ecclésiastiques ». Décrivant les
forces qui sont opposées à l'église, et qui, un jour, la renverseront,
l'auteur déclarait :
« L'église chrétienne est au sein
d'un grand conflit. Jamais depuis l'organisation du christianisme, il n'y
eut autant de forces liguées contre elle. Ce que certains théologiens se
plaisent à nommer la « puissance du monde » n’a jamais été aussi
forte qu'aujourd'hui. Ce ne sont plus des races barbares, des philosophes
superstitieux, des prêtres de religions mythiques qui s'opposent à l'église,
mais les personnes de la plus haute culture, les plus grands savants et
les sages les plus profonds parmi les nations éclairées. Sur toute la
ligne de son avance, elle rencontre la résistance de la « puissance
du monde » qui représente le savoir le plus élevé et les
meilleurs idéaux de l'intelligence humaine.
« Tous ses adversaires ne se trouvent
pas non plus en dehors d'elle. Derrière ses draperies somptueuses, revêtus
de ses vêtements, proclamant ses commandements, la représentant devant
le monde, nombreux sont ceux qui se tiennent prêts à rejeter son autorité
et à contester sa suprématie. Un grand nombre de ceux qui obéissent
encore à ses décrets commencent à douter, et le doute est le premier
pas vers la désobéissance et la désertion. Le monde ne saura jamais
combien d'âmes honnêtes au sein de l'église gémissent en esprit et
sont troublées, tout en gardant un sceau sur leurs lèvres et une chaîne
sur leur langue « par acquit de conscience », afin de « ne pas offenser
leurs frères ». Elles gardent le silence, non par crainte de réprimande,
car le temps est passé où parler librement amenait la persécution, et où
suggérer que l'église n'était pas infaillible vous faisait accuser
d'incrédulité ».
Il dit que l'on ne demande pas un
nouvel évangile, mais un vieil évangile ayant une nouvelle signification
:
« Partout l'on demande qu'une
proclamation plus littérale et plus fidèle soit faite des préceptes du
fondateur du Christianisme. « Le Sermon sur la montagne » est pour
beaucoup l'abrégé de la philosophie divine. « Prêchez-le ! Prêchez-le !
» s'écrient partout les réformateurs de toutes les écoles ; «
non seulement, prêchez-le, mais mettez-le en pratique ! » «
Montrez-nous, disent-ils, que vos actes sont conformes à ces préceptes,
et nous vous croirons ! Suivez Christ et nous vous suivrons ! ».
« Mais c'est bien ici que se trouve la
controverse. L'église prétend enseigner les préceptes de Christ, prêcher
son évangile. Le monde écoute, et réplique : « Vous avez perverti la vérité
! ». Et voyez le spectacle d'un monde incroyant enseignant à une église
croyante les vrais principes de sa religion à elle ! C'est là un
des signes de l'époque les plus frappants et les plus significatifs ! Et
ceci est tout à fait nouveau. Dès le commencement, le monde s'est
familiarisé avec la riposte : « Docteur, guéris toi toi-même ». Mais
ce n'est que dans les temps modernes que les hommes ont osé dire : «
Docteur, laisse-nous prescrire le remède ! ».
« Lorsque les pauvres et les nécessiteux,
les opprimés et les affligés à qui l'on enseigne d'attendre une future
récompense au ciel, ont vu de saints prêtres et des princes honorés vêtus
de pourpre et de fin lin et vivant chaque jour somptueusement, lorsqu'ils
les virent amasser des trésors sur terre au mépris de la teigne, de la
rouille et des voleurs, lorsqu'ils les virent servir, leur conscience
tranquille, Dieu et Mammon, ils commencèrent à douter de leur sincérité.
« Dès lors, ils commencèrent à
affirmer que toute la vérité n'habite pas sous un clocher d'église, que
l'église est impuissante, qu'elle ne peut empêcher le malheur, guérir
les malades, rassasier ceux qui ont faim et vêtir ceux qui sont nus,
qu'elle ne peut ressusciter les morts, ni sauver l'âme. Alors, ils
commencèrent à dire qu'une église aussi faible, aussi mondaine, ne
pouvait être une organisation divine. Et bientôt, ils commencèrent à déserter
ses autels. Ils déclarèrent « Nier l'infaillibilité de l'église,
l'efficacité de ses rites, ou la vérité de ses credo, n'est pas nier
l'efficacité de la religion. Nous ne sommes pas en guerre avec le
Christianisme, mais avec la représentation qu'en fait l'église. La révérence
pour la vérité divine est compatible avec le mépris le plus profond
pour le cléricalisme (« ecclesiasticism »). Pour la Personne sublime
qui a foulé la terre, dont le contact donnait la vie et dont le sourire
était salut, nous n'avons que vénération et amour, mais non plus désormais
pour l'organisation qui prétend le représenter.
« L'église dénonce ses accusateurs
comme étant des incroyants, et elle va son chemin amassant des trésors,
construisant des temples et des palais, faisant cause commune avec des
rois et des alliances avec des puissants, tandis que les forces qui se
coalisent contre elle, augmentent en nombre et en puissance. Elle a perdu
sa suprématie, son autorité a disparu. Elle n'est plus qu'un symbole,
une ombre, et il lui est impossible de regagner son ascendant perdu ou de
remonter sur son trône. Ses rêves de domination universelle sont une
illusion. Son sceptre a été brisé à toujours. Nous sommes déjà dans
une période transitoire. Le mouvement révolutionnaire de l'époque est
universel et irrésistible. Les trônes commencent à chanceler. Un volcan
couve sous les palais des rois, et lorsque les trônes dégringoleront,
les chaires tomberont.
« Il y a eu, dans le passé, des réveils
religieux, plus ou moins locaux et temporaires. Il doit encore y avoir un
réveil religieux qui sera mondial, un rétablissement de la foi en Dieu
et de l'amour envers l'homme ; alors seront réalisés les rêves les plus
radieux de fraternité universelle. Mais ce réveil arrivera malgré l'église
plutôt que par elle. Il viendra comme une réaction contre la tyrannie
ecclésiastique, comme une protestation contre ce qui n'est que formalisme
et simples cérémonies ».
Dans un article de The Forum,
d'octobre 1890, sur les « Problèmes sociaux et l'Église »
par l'Évêque Huntington, nous lisons son commentaire à propos d'un fait
très remarquable et très significatif :
« Lorsqu'un auditoire, immense et varié,
dans l'une des salles publiques de New York, acclama le nom de Jésus-Christ
et hua le nom de l'église, cela ne régla aucune question, ne résolut
aucun problème, ne prouva aucune proposition, n'expliqua aucun passage
biblique, mais ce fut aussi significatif que la moitié des sermons qui
sont prêchés ». Il se rapporta ensuite au fait qu'il fut un temps
où les gens écoutaient les mots « Christ et l'église » dans un
silence recueilli sinon avec une dévotion enthousiaste, puis il remarqua
: « Ce n'est que dans ces derniers jours où les travailleurs pensent,
lisent, raisonnent et réfléchissent, qu'une foule mêlée met les deux
noms à part d'une manière violente plutôt qu'irrespectueuse, honorant
l'un et repoussant l'autre ».
On trouve dans la presse d'autres
expressions significatives du jugement populaire :
« La Catholique Review et
quelques autres journaux insistent pour qu'il y ait « l'instruction
religieuse dans les prisons ». C'est bien. Nous allons plus loin que cela.
L'instruction religieuse devrait être donnée aussi ailleurs que dans les
prisons, dans les foyers par exemple, et dans les Écoles du dimanche. Oui,
nous ne voulons pas être dépassés en libéralité, nous sommes
favorables à l'instruction religieuse dans certaines églises. Vous ne
sauriez avoir trop d'une bonne chose, si vous la prenez avec modération
».
« L'aumônier d'un certain pénitencier
déclarait qu'il y a vingt ans, cinq pour cent seulement des prisonniers
avaient été autrefois des élèves d'écoles du dimanche, mais que
maintenant, la proportion était de soixante-quinze pour cent des
criminels réels ou suspectés d'être tels. Un certain pasteur mentionne
également un asile d'ivrognes où le pourcentage est de quatre-vingt pour
cent, et un autre de femmes déchues ou toutes ont fréquenté des écoles
du dimanche. Le commentaire de la presse sur ces faits était que le terme
qu'on appliquait autrefois à l'école d'être « la pépinière de l'église »
est en passe d'être une terrible satire. Que va-t-on faire ? ».
Des discussions qui eurent lieu, à
propos de l'ouverture, les dimanches, de l'exposition colombienne du
Monde, à Chicago, on a extrait ce qui suit :
« Un reste de consolation : si le pire
arrive à son point culminant, et que des foires, comme des théâtres et
des bars, sont ouverts le dimanche à Chicago, il est très réconfortant
de penser qu'aucun citoyen américain n'est obligé d'y aller. A cet égard,
personne n'est plus désavantagé que ne le furent les apôtres et les
premiers chrétiens. On ne leur permit pas de se servir d'un policier ou
des légions romaines dans le but de propager leurs opinions et d'obliger
leur prochain d'être plus pieux qu'il ne désirait l'être. Et pourtant
ce fut cette église primitive qui, sans l'aide de l'État — bien plus,
ce fut un christianisme persécuté et dans la souffrance — qui conquit
réellement le monde ».
Dans l'agitation générale des temps
actuels, beaucoup dans l'église aussi bien que dans le monde, sont
grandement perplexes et désorientés par la grande confusion. Les
sentiments de ces gens-là furent clairement rapportés il y a quelque
temps dans The New York Sun :
La question : « Où en sommes-nous ? », « Où en sommes-nous ? »
devient une question religieuse significative. Dans les séminaires, des
professeurs enseignent de leur chaire, des doctrines assez éloignées de
celles qui furent enseignées à l'origine, pour faire retourner dans leur
tombe les bienfaiteurs de jadis ; des ecclésiastiques signent des
engagements sur l'ordination, auxquels l'administrateur lui-même ne croit
pas — et ils le savent probablement. Les règlements établis, dans de
nombreux cas, sont seulement les bouées qui montrent combien les navires
des églises se sont éloignés des canaux indiqués sur les cartes. C'est
l'époque du « laisser-aller », du « chacun pour soi », etc. Personne
ne sait où tout cela finira, et ceux qui y sont les plus intéressés,
semblent s'en soucier le moins ».
Non seulement la conduite et
l'influence des églises sont ainsi sévèrement critiquées, mais le sont
également leurs doctrines les plus importantes. Notez, par exemple,
comment la doctrine blasphématoire du tourment éternel pour la grande
majorité de notre race par laquelle les hommes ont été longtemps
maintenus par la crainte, est rejetée d'une manière semblable par le
public réfléchi. Sur ce sujet, le clergé commence à voir la très
urgente nécessité de l'appuyer comme jamais auparavant, afin de
contrecarrer les sentiments croissants de libéralisme.
Il y a quelque temps, le Rév. Dr
Henson, de Chicago, discutait au grand jour ses opinions sur ce sujet ;
alors que des reporters interviewaient d'autres membres du clergé à ce
propos, la manière cavalière, cruelle, railleuse de ces derniers de
traiter un sujet sur lequel il est évident qu'ils ne connaissent rien,
mais qui, selon eux, engage les intérêts éternels de millions de leurs
compagnons humains, était vraiment digne de l'esprit de persécution du
Romanisme.
Le Rév. Dr Henson déclara : « Le hadès
de la Nouvelle Version n'est que le déguisement de l'enfer ; la mort est
la mort bien que nous l'appelions sommeil, et l'enfer est l'enfer bien que
nous l'appelions hadès ; l'enfer est une réalité, et « infernalement »
horrible. Dans l'enfer, nous aurons des corps... La résurrection du corps
implique un lieu et implique un tourment physique. Mais le tourment
physique n'est pas le pire. La peine mentale, le remords, l'anticipation
qui font l'âme se tordre de souffrance comme le ver se tord de souffrance
sur des charbons ardents sont des tourments bien pires, et c'est ce
qu'auront à souffrir les pécheurs. La soif sans eau pour se désaltérer
; la faim sans nourriture pour se rassasier ; un couteau enfoncé dans le
cœur, mais pour y être retourné sans fin, épouvantable. Tel est
l'enfer que nous devons endurer. La mort offre un soulagement du moulin
disciplinaire de la vie, mais dans l'enfer, il n'y a aucun secours ».
Quelle impression fit le sermon du «
Docteur » ? Quelqu'un peut en juger d'après les interviews suivantes des
reporters et des ministres qui parurent le lendemain matin :
« Que pensez-vous de l'enfer, et
sommes-nous tous destinés à être baptisés dans un étang de soufre
fondu et de gueuse de fer si nous n'amendons pas nos voies ? » dit un
reporter au Professeur Swing, l'un des célèbres prédicateurs de
Chicago. Ce fut alors que le Professeur Swing partit d'un grand éclat de
rire jusqu'à ce que ses joues ridées devinssent aussi roses que celles
d'une écolière. L'éminent prédicateur battit une retraite de tambour
sur le rebord d'une table ornée de marqueterie, et le verre de sa petite
lampe de bureau se mit à vibrer et sembla rire aussi. « En premier lieu »,
dit-il, « je suppose que vous vous rendez compte que ce sujet de
l'enfer et d'un châtiment futur est quelque chose que nous connaissons réellement
très peu. Eh bien ! ma méthode pour mettre en accord chaque chose dans
la Bible est de lui donner un sens spirituel. Mon idée est que le châtiment
sera classé selon les péchés, mais comme l'autre monde doit être
spirituel, de même les récompenses et les châtiments doivent être
spiritualisés ».
« Le Rév. M.V.B. Van Ausdale se mit
à rire quand il lut un rapport du sermon du Dr Henson, et dit : « Eh
bien ! il doit avoir raison. Je connais le Dr Henson depuis pas mal de
temps, et je voterais en sa faveur les yeux fermés. Tous, nous admettons
qu'il y a un enfer ou un lieu de rétribution, et il réunit toutes les
propriétés que lui assigne le Dr Henson ».
« Le Dr Ray avait lu le sermon et
pensait que le Dr Henson exprimait les mêmes vues que lui-même aurait
exprimées sur le sujet.
« Les ministres congrégationalistes,
réunis au Grand Pacific, en session régulière, toutes portes closes et
bien gardées, admirent un reporter d'Evening News lequel, après
que la réunion fut terminée, posa la question : « Avez-vous lu le
sermon prêché hier soir par le Dr P.S. Henson sur l'enfer, ou en
avez-vous entendu parler ? ».
« Un spectateur intéressé pendant la
réunion fut le Dr H.D. Porter, de Pékin (Chine). Il s'était levé tôt
ce matin, et avait lu dans les journaux le résumé du sermon du Dr
Henson. Il déclara : « Je ne connais pas le Dr Henson, mais je pense que
les sentiments qu'on lui prête sont tout à fait justes. Là-bas, en
Chine, je ne prêcherai pas l'étang de feu ni une vraie torture physique,
pas plus que je ne dirai que l'enfer est un lieu où toutes les
souffrances véritables feront place à des souffrances mentales intenses
et à une angoisse de l'esprit seulement, mais j'adopterai l'opinion à
mi-chemin, c'est-à-dire celle qui décrit l'enfer comme étant un lieu de
rétribution, combinant les souffrances physiques et mentales et
incorporant les principes généralement acceptés par les ministres
modernes ».
« Un autre étranger, le Rév. Spencer
Bonnell, de Cleveland (Ohio), fut d'accord avec le Dr Henson sur tous les
points. « Le temps vient », déclara-t-il, « où l'on devrait
avancer quelque idée universelle de l'enfer afin d'amener tous les
esprits dans un état d'équilibre ». Le Rév. H.S. Wilson avait peu
de choses à dire, mais il admit qu'il était d'accord avec le Dr Henson.
Le Rév. W.A. Moore exprima les mêmes sentiments.
« Le Rév. W. Holmes écrivit :
« Le Dr Henson est un brillant prédicateur qui comprend bien ses propres
positions et sait les exprimer clairement et d'une manière significative.
Ce résumé montre qu'il a donné au peuple, comme d'habitude, un sermon
très intéressant. Ses positions qu'on y trouve ont été d'une manière
générale bien acceptées. Concernant le corps de chair, je ne sais pas.
— Vous ne savez pas ?
— Non. Un individu doit descendre
dans la mort et ainsi s'informer personnellement pour être certain.
« Les ministres baptistes pensent que
le sermon orthodoxe du Dr Henson sur l'enfer était parfaitement au point,
et ceux qui en discutèrent à la réunion du matin le louèrent
chaudement. Un reporter d'Evening News montra le rapport du sermon
à une douzaine de ministres, mais tandis que tous déclarèrent être
d'accord avec le sermon, on en trouva quatre seulement qui voulaient en
discuter sous certaines conditions. Le Rév. C.T. Everett, éditeur du Sunday-School
Herald, déclara que les vues exprimées par le Dr Henson étaient
en général celles tenues par les ministres baptistes. « Nous enseignons
le châtiment éternel et futur pour les péchés de ce monde », dit-il,
« mais quant à l'enfer réel de feu et de soufre, c'est là une chose
sur laquelle on ne s'étend pas beaucoup. Nous croyons au châtiment et
savons qu'Il est très sévère, mais un très grand nombre d'entre nous
se rend compte qu'il est impossible de savoir de quelle manière il est
administré. Comme le dit le Dr Henson, il n'y a que des gens stupides
pour penser que l'enfer implique complètement un châtiment physique ; la
peine mentale est la pire, et ces pauvres pécheurs auront à souffrir ».
Le Dr Perrin déclara avec force que c'était presque inutile de nier que
tout ce que le Dr Henson prêche, on le trouverait dans la Bible et
parfaitement juste.
« Le Rév. M. Ambroise, un ministre de
l'ancienne mode, était grandement satisfait de ce sermon. Il croyait
chaque mot de ce qu'avait dit le Dr Henson à propos du tourment futur des
pauvres pécheurs. « L'enfer est ce en quoi la plupart des prédicateurs
croient », déclara-t-il, « et ils le prêchent aussi ».
« Le Rév. M. Wolfenden dit qu'il
n'avait pas vu le rapport du sermon, mais que s'il y avait dans ce sermon
quelque chose au sujet d'un enfer de châtiment futur, il était d'accord
avec le Docteur, et il pensait que la plupart des ministres baptistes
soutenaient les mêmes vues, bien qu'il y en eût quelques-uns qui ne
crussent pas à un enfer dans le sens orthodoxe.
« D'après ce que le reporter a
recueilli, il est raisonnable de dire que si la question devait venir en
discussion, les ministres baptistes ne seraient pas du tout les derniers
à soutenir chacun des arguments en faveur du réel, démodé et orthodoxe
enfer du Dr Henson ».
Ainsi le clergé exprime-t-il ses vues, comme si la torture éternelle de
leurs compagnons humains était un sujet de banale conséquence, qu'on
peut discuter en plaisantant avec légèreté et des rires, et proclamer
comme une vérité sans la moindre preuve ou examen de la Bible (*) [Une
brochure de 50 pages intitulée « L'Enfer
de la Bible » se prouvera utile sur ce
sujet à ceux qui étudient la Bible. Elle examine chaque texte biblique
dans lequel on trouve le mot enfer, à la lumière des textes grec
et hébraïque, et toutes les paraboles, etc supposées favoriser le
« tourment éternel »]. Le monde remarque cette arrogance présomptueuse,
et tire ses propres conclusions dans l'affaire.
Le Globe Democrat dit : «
De New York parvient la bonne nouvelle que la Société américaine de
traités propose de retirer la nourriture [spirituelle du premier âge —
Trad.] qu'elle a offerte ces cinquante dernières années, et de réviser
complètement le sens de ses obligations. Le fait est que le monde a rejeté
les plats spirituels chauffés à blanc et poivrés [avec les
enseignements du tourment éternel — Trad.] qui convenaient à la dernière
génération, et il est bien hors de la possibilité d'un très petit
nombre de graves messieurs de produire une réaction. Les églises aussi
vont d'un pas léger avec le reste du monde, prêchant la tolérance ou
l'indulgence, l'humanité, le pardon, la charité et la miséricorde. Il
est possible que tout cela soit faux, et que ces prophéties d'un genre très
sombre et très menaçant soient précisément la chose convenable que
nous devrions continuer à croire et à lire, mais alors le peuple ne le
fait pas et n'en veut pas ».
Un autre journal déclare :
« En s'opposant à l'envoi de
contributions au Bureau américain des missions à l'étranger, le Dr
Rossiter W. Raymond, a déclaré assez énergiquement : « J'en ai assez
et je suis fatigué d'aller vers le Bureau américain en souffrance pour
l'aider à soutenir des missionnaires qui croient absolument en la
damnation de tous les païens et en cette odieuse hérésie que Dieu
n'aime pas les païens. J'en ai assez de toute cette mystification, et je
ne donnerai pas un « cent » [centième partie du dollar Trad.] pour répandre
la nouvelle de la damnation. Je ne laisserai pas se répandre cette
doctrine par mon argent. Que Dieu est amour, voilà une bonne nouvelle,
mais ces hommes en font des sornettes en traînant sur les païens un char
de Juggernaut [idole du dieu hindou Krishna qu'on promenait sur un immense
char — Trad.] et en voulant que nous nourrissions les bêtes qui le
tirent. Il est de mon devoir de chrétien de ne rien donner à quiconque
veut enseigner aux païens que leurs ancêtres sont allés à l'enfer ».
Nous voyons ainsi que le présent ordre
des choses tremble dans la balance de l'opinion publique. Le temps marqué
pour son renversement étant arrivé, le grand Juge de toute la terre relève
les plateaux de la raison humaine, signale les poids de la vérité et de
la justice, et déclenchant la lumière de la connaissance croissante,
invite le monde à mettre à l'épreuve et à faire la preuve que sa décision
est juste de condamner à la destruction l'hypocrite moquerie des fausses
prétentions de la chrétienté. Graduellement, mais rapidement, le monde
est en train d'appliquer le test, et à la fin, tous arriveront à la même
décision ; aussi, comme une grande meule de pierre, Babylone, la grande
ville de la confusion, avec toute sa puissance civile et ecclésiastique
dont elle se vante, et avec toute sa prétendue dignité, sa richesse, ses
titres, son influence, ses honneurs, et toute sa vaine gloire, sera jetée
dans la mer (la mer agitée des peuples ingouvernables) pour ne plus se
relever — Apoc. 18 : 21 ; Jér. 51 : 61-64.
Sa destruction sera pleinement
accomplie vers la fin des « Temps des Gentils » fixés — 1915 [édition
1912 ; édition 1937 : « Sa destruction aura un commencement vers la
fin des « Temps des Gentils » fixés — 1914 : voir la Préface
de Fr. Russell au Volume II, en date du 1er octobre
1916 —Trad.]. Les événements font de rapides progrès vers une telle
crise finale. Bien que la mise à l'épreuve ne soit pas encore achevée,
déjà beaucoup peuvent lire sa condamnation écrite (*) [Voir Dan. 5 :
5 — Trad.] : «Tu as été pesé dans la balance et tu as été trouvé
léger ! ». Bientôt, la terrible chute de Babylone, la chrétienté,
sera un fait accompli. Les vieilles superstitions qui l'ont si longtemps
soutenue sont rapidement mises de côté ; les vieux credo religieux et
les codes civils qui, jusqu'ici, ont été respectés et suivis aveuglément,
sont maintenant hardiment discutés ; on constate leur peu de logique, et
leurs erreurs palpables sont ridiculisées. Cependant, la pensée des
masses humaines ne se tourne pas vers la vérité de la Bible ni vers la
saine logique, mais plutôt vers l'incrédulité, qui sévit à la fois au
dedans et au dehors de l'église nominale. Dans la prétendue église de
Christ, la Parole de Dieu n'est plus l'ordonnance (« standard »)
— Trad) de la foi ni le guide de la vie. Philosophies et hypothèses
humaines prennent sa place, et même des extravagances païennes
commencent à prospérer là où, autrefois, elles ne pouvaient pénétrer.
Un petit nombre seulement dans la
grande église nominale ont les yeux suffisamment ouverts et sont assez
sages pour se rendre compte de sa déplorable condition, sans se laisser
influencer par sa force numérique et financière ; les ouailles,
aussi bien que les prédicateurs, sont trop intoxiqués et stupéfiés par
l'esprit du monde si facilement reçu, pour remarquer son déclin
spirituel. Mais. numériquement et financièrement, sa condition de déclin
se fait profondément sentir, car à la perpétuité de ses institutions
(ou organisations — Trad.) sont liés tous les intérêts, perspectives
et plaisirs de la vie présente, et pour se les procurer, il est nécessaire
de faire voir suffisamment qu'elle remplit ce que l'on croit être sa
mission divine, savoir la conversion du monde. Nous montrerons dans un
autre chapitre dans quelle mesure son effort est couronné de succès.
Tandis que nous voyons ainsi Babylone
mise en accusation en présence d'un monde assemblé, avec quelle force la
prophétie du Psalmiste, citée au début de ce chapitre et qui porte sur
cet événement, nous revient à l'esprit ! Bien que Dieu ait gardé le
silence durant tous les siècles pendant lesquels le mal a triomphé en
son nom et ses véritables saints ont souffert la persécution sous de
multiples formes, il n'a pas oublié ces choses. Maintenant, le moment est
venu où il parle par la bouche du prophète, disant :
« Mais je t'en reprendrai, et
je te les mettrai devant les yeux ». Que ceux qui veulent se réveiller
et se trouver du côté de l'équité dans ces temps d'importance
extraordinaire, remarquent bien ces choses et voient combien prophétie et
accomplissement correspondent parfaitement.