ÉTUDES
DANS LES ÉCRITURES
VOLUME
IV - LE
JOUR DE LA VENGEANCE
« LA BATAILLE D'HARMAGUEDON »
ÉTUDE
VII
LES NATIONS ASSEMBLÉES ET LA
PRÉPARATION DES ÉLÉMENTS POUR LE GRAND
FEU DE L'INDIGNATION DE DIEU
Comment et pourquoi les nations sont assemblées. — Les éléments
sociaux se préparent pour le feu. — L'accumulation des richesses. —
L'accroissement de la pauvreté. — La friction sociale approche la
combustion. — Une déclaration du Président de la Fédération américaine
du travail. — Les riches sont parfois condamnés trop sévèrement. —
L'égoïsme associé à la liberté. — L'indépendance vue par les
riches et par les pauvres. — Pourquoi les conditions actuelles ne
peuvent continuer. — Le machinisme est un important facteur dans la préparation
du grand feu. — Concurrence féminine. — Comment le Travail envisage
la situation : vue raisonnable et déraisonnable. — La loi de l'offre et
de la demande, inexorable pour tous. — Perspective terrifiante de la
concurrence industrielle étrangère. — Les craintes de M. Justin Mc
Carthy pour l'Angleterre. — Kier Hardie, M.P., sur la perspective du
Travail en Angleterre. — Les paroles prophétiques de l'Hon. Jos.
Chamberlain aux travailleurs britanniques. — L'attitude agressive
nationale en rapport avec les intérêts industriels. — Herr Liebknecht
à propos de la guerre sociale et industrielle en Allemagne. — Résolutions
du Congrès international des syndicats ouvriers. — Les géants de notre
époque. — Liste des trusts et des groupements. — L'esclavage barbare
et la servitude civilisée. — Les masses entre la meule supérieure et
la meule inférieure (du moulin). — Aucune puissance humaine n'est
capable de régler les conditions sociales universelles.
«
C'est pourquoi, attendez-moi, dit l'Éternel, pour le jour où je me lèverai
pour le butin. Car ma détermination, c'est de rassembler les nations, de
réunir les royaumes pour verser sur eux mon indignation, toute l'ardeur
de ma colère ; car toute la terre sera dévorée par le feu de ma
jalousie [colère]. Car alors, je changerai la langue des peuples en une
langue purifiée, pour qu'ils invoquent tous le nom de l'Éternel pour le
servir d'un seul cœur » — Soph. 3 : 8, 9.
Le
rassemblement des nations, dans ces derniers jours, en
accomplissement de la prophétie de Sophonie, est très manifeste. Les découvertes
et les inventions modernes ont vraiment rapproché les lieux les plus éloignés
les uns des autres. Les voyages, les facilités du courrier postal, le télégraphe,
le téléphone, le commerce, la multiplication des livres et des journaux,
etc., ont amené dans une mesure considérable le monde entier en une
communauté de pensée et d'action inconnue jusqu'ici. Cet état de choses
a déjà rendu nécessaire la promulgation de lois et de règles
internationales que chacune des nations doit respecter. Leurs représentants
se réunissent en Conseils, et chaque nation a, dans chaque autre nation,
ses ministres ou représentants. Des expositions internationales ont également
été organisées à cause de ce rapprochement des nations. Une nation n'a
plus la possibilité de faire bande à part et d'interdire aux autres
l'entrée de ses ports. Les portes de tous les pays doivent nécessairement
s'ouvrir et rester ouvertes ; même les barrières des langues diverses
sont aisément surmontées.
Les peuples civilisés ne sont plus des étrangers dans quelque partie du
monde que ce soit. Leurs splendides vaisseaux transportent, dans les régions
les plus éloignées, leurs représentants commerciaux, leurs envoyés
politiques et leurs nationaux en quête de plaisir et épris de curiosité,
dans les meilleures conditions de confort. Des trains de luxe les
introduisent à l'intérieur des pays d'où ils rentrent chargés de
nouvelles connaissances, de nouvelles idées qui leur serviront ensuite de
projets pour de nouvelles entreprises. Même les païens les plus arriérés
se réveillent de leur rêverie séculaire et regardent avec étonnement
et admiration leurs visiteurs étrangers et s'initient à leurs œuvres
merveilleuses. A leur tour, ils envoient maintenant leurs représentants
chez les peuples étrangers afin de profiter de leurs nouvelles relations.
Au temps de Salomon, on pensait que la reine de Sheba avait accompli une
chose merveilleuse lorsqu'elle vint entendre la sagesse et admirer la
grandeur de Salomon, et que pour ce faire elle parcourut une distance de
huit cents kilomètres environ. De nos jours, nombreux sont les voyageurs
sans titre nobiliaire qui parcourent le monde entier (dont une grande
partie était inconnue autrefois) pour voir ses richesses accumulées et
pour prendre note de ses progrès. Actuellement, le tour du monde peut
s'effectuer avec confort et même avec luxe en moins de quatre-vingts
jours [écrit en 1897 — Trad.]
En vérité, les nations sont « assemblées », d'une manière
inattendue, et ceci de la seule manière possible, c'est-à-dire par une
activité et des intérêts communs. Ce n'est pourtant pas, hélas !
l'amour fraternel, mais l'égoïsme qui marque chaque étape de ce progrès.
L'esprit d'entreprise dont l'égoïsme est le pouvoir moteur a poussé les
hommes à construire des chemins de fer, des bateaux à vapeur, des télégraphes,
des câbles, des téléphones. L'égoïsme dirige le commerce et les
relations internationales ainsi que toute autre énergie et entreprise,
sauf la prédication de l'Évangile et l'établissement d'institutions de
bienfaisance ; même dans ce dernier cas, il est à craindre que beaucoup
de ces œuvres ne soient inspirées par d'autres mobiles que l'amour pur de Dieu
et pour l'humanité. L'égoïsme a rassemblé les nations et les prépare
d'une manière sûre à la rétribution prédite — l'anarchie — qui
s'approche à grands pas, et qui est si bien décrite par le prophète
comme le « feu de la jalousie (ou colère) de Dieu » qui va
consumer totalement l'ordre social actuel, le présent monde (2 Pi. 3 :
7). Cependant, ceci n'est dit que du point de vue humain seulement, car le
prophète attribue ce rassemblement des nations à Dieu. Toutefois, les
deux points de vue sont exacts, car s'il est, permis à l'homme d'exercer
son libre arbitre, Dieu, par son autorité providentielle, dirige
les affaires humaines pour l'accomplissement de ses desseins personnels et
sages. Ainsi, tandis que les hommes, leurs œuvres et leurs méthodes
sont les agents et les moyens, Dieu est le Commandant suprême qui réunit
les nations et rassemble les Royaumes d'une extrémité de la terre à
l'autre, pour préparer le transfert du pouvoir de la terre à celui
« qui en possède le droit », Emmanuel.
Le prophète nous dit pourquoi l'Éternel rassemble ainsi les nations :
« Pour verser sur eux mon indignation, toute l'ardeur de ma colère ; car
toute la terre [le système social tout entier] sera dévorée par le feu
de ma jalousie ». Ce message ne nous apporterait que chagrin et angoisse
si nous n'avions pas l'assurance que les résultats travailleront au bien
du monde, en renversant le règne de l'égoïsme et en établissant, par
le moyen du Royaume millénaire de Christ, le règne de la droiture auquel
fait allusion le prophète, en ces termes : « Car alors, je changerai la
langue des peuples en une langue purifiée [leurs rapports ne seront plus
égoïstes, mais purs, vrais et pleins d'amour], pour qu'ils invoquent
tous le nom de l'Éternel pour le servir d'un seul cœur ».
Le « rassemblement des nations » ne contribuera pas seulement à
rendre le jugement rigoureux, mais il rendra également impossible à
quiconque d'y échapper ; ainsi fera-t-il que la grande tribulation soit
un conflit de courte durée mais décisif, comme il est écrit « Le
Seigneur fera une œuvre abrégée sur la
terre » Rom. 9 : 28 ; Ésaïe 28 : 22.
LES ÉLÉMENTS SOCIAUX SE PRÉPARENT POUR LE FEU
En regardant autour de nous, nous voyons les « éléments » qui se
préparent pour le feu de ce jour, le feu de la colère de Dieu. L'égoïsme,
la connaissance, la fortune, l'ambition, l'espérance, le mécontentement,
la crainte et le désespoir sont les éléments dont la friction
enflammera sous peu les passions exaspérées du monde ; c'est alors que
ses divers, « éléments » sociaux se fondront, se dissoudront
dans la chaleur intense de ce jour. En considérant, ce qui se passe dans
le monde, on constate que des changements sont intervenus touchant ces
passions au cours du siècle dernier, et particulièrement durant les
quarante années passées. La satisfaction, le contentement du passé a
disparu de toutes les classes de la société : riches, pauvres,
hommes, femmes, gens instruits ou ignorants. Tous sont mécontents. Tous
cherchent égoïstement et de plus en plus à obtenir des « droits » ou
se lamentent des « torts » qui leur sont faits. Il est vrai
qu'il y a des injustices, de graves injustices à réparer, et des droits
qui devraient être satisfaits et respectés ; mais la tendance à notre
époque, avec l'augmentation de connaissance et d'indépendance, est de ne
considérer seulement que le côté des questions qui touche à ses intérêts
personnels et de ne pas chercher à apprécier le côté opposé. L'effet
prédit par les prophètes sera, en fin de compte, d'amener tout homme à
lever la main contre son prochain, ce qui sera la cause immédiate de la
grande catastrophe finale. La Parole et la providence de Dieu, ainsi que
les enseignements du passé sont oubliés sous les fortes convictions des
droits personnels, etc. C'est ce qui empêche les gens de toutes les
classes de choisir la voie la plus sage, la plus modérée, qu'ils ne
peuvent même pas discerner, parce que l'égoïsme les aveugle sur tout ce
qui n'est pas en accord avec leurs préjugés personnels. Chaque classe
manque de considérer avec impartialité le bien-être et, les droits des
autres. La règle d'or est d'une manière générale ignorée ; le manque
de sagesse aussi bien que l'injustice de cette conduite seront bientôt
rendus manifestes à toutes les classes ; car toutes souffriront
terriblement dans cette détresse. Mais, nous informent les Écritures,
les riches souffriront davantage.
Tandis que les riches se hâtent d'amasser des fortunes fabuleuses pour
ces derniers jours, qu'ils abattent leurs greniers et en bâtissent de
plus grands, se disant en eux-mêmes et disant à leur postérité :
« Mon âme, tu as beaucoup de biens assemblés pour beaucoup d'années
; repose-toi, mange, bois, fais grande chère », Dieu, par la bouche
des prophètes, dit : « Insensé ! cette nuit même, ton âme te sera
redemandée. Et ces choses que tu as préparées, à qui seront-elles ? »
— Luc 12 : 15-20.
Oui, la sombre nuit prédite (Ésaïe 21 : 12 ; 28 : 12, 13, 21, 22 ;
Jean 9 : 4) approche rapidement, et comme un piège, surprendra le
monde entier. Alors, en effet, à qui seront ces trésors amassés quand,
dans la détresse de l'heure, « ils jetteront leur argent dans les rues,
et [que] leur or sera rejeté comme une impureté ? ». « Leur
argent et leur or ne pourront les délivrer au jour de la fureur de l'Éternel...
car c'est ce qui a été la pierre d'achoppement de leur iniquité
» — Ezéch. 7 : 19.
L'ACCUMULATION DES RICHESSES
Il est évident que nous vivons en un temps qui dépasse tous les autres
quant à l'accumulation des richesses, et aux extravagances de toute
nature de la part des riches (Jacques 5 : 3, 5). Écoutons le témoignage
de la littérature contemporaine. Si ce que nous avançons est prouvé
d'une manière concluante, nous aurons là une autre preuve que nous
sommes dans les « derniers jours » de la dispensation actuelle, et que
nous approchons de la grande détresse qui causera éventuellement la
destruction du présent ordre de choses du monde et introduira l'humanité
dans le nouvel ordre de choses, sous le Royaume de Dieu.
L'Hon. Wm. E. Gladstone, dans un discours qui fut largement diffusé, déclara,
après avoir fait allusion au temps actuel comme un « âge producteur de
richesses » :
« Il y a devant moi des messieurs qui ont été les témoins d'une plus
grande accumulation de richesses durant leur vie que dans tous les temps
antérieurs depuis l'époque de Jules César ».
Remarquez cette déclaration faite par l'un des hommes les mieux informés
du monde. Ainsi, dans les cinquante années passées, il y a eu plus de
richesses produites et accumulées que dans les dix-neuf siècles précédents.
Ce fait, qu'il nous est si difficile de comprendre, est néanmoins montré
par des statistiques comme une estimation très modérée, et les
nouvelles conditions ainsi créées sont destinées à jouer un rôle
important dans le rajustement imminent de l'ordre social du monde.
Il y a quelques années, The Boston Globe, donna le compte rendu
suivant à propos de quelques-uns des hommes riches des États-Unis :
« Les vingt et un magnats du chemin de fer qui se réunirent à New York,
le lundi, pour discuter la question de concurrence des chemins de fer,
représentaient un capital de 3 milliards de dollars. Des hommes toujours
vivants peuvent se souvenir du temps où il n'y avait pas une
demi-douzaine de millionnaires dans le pays. Ils sont maintenant 4 600 et
l'on dit que plusieurs d'entre eux ont un revenu annuel de plus d'un
million.
« Il y a dans la Cité de New York, selon une estimation modérée, le
nombre surprenant de 1 157 propriétés individuelles et collectives
valant chacune 1 million de dollars. A Brooklyn, il y a 162 propriétés
individuelles et collectives valant chacune au moins 1 million de dollars.
Dans ces deux villes, il y a ensuite 1319 millionnaires, mais beaucoup
d'entre eux possèdent beaucoup plus qu'un million de dollars : ils sont
multimillionnaires, et la nature de ces fortunes est différente ; aussi
rapportent-elles des revenus différents. Les taux d'intérêt auxquels
les fortunes les plus connues sont placées, sont en chiffres ronds les
suivants : pour John D. Rockefeller : 6 % ; William Waldorf Astor : 7
% ; la propriété de Jay Gould, placée dans des sociétés et
pratiquement indivisible : 4 % ; Cornelius Vanderbilt : 5 % ; et William
K. Vanderbilt : 5 %.
« En calculant aux taux précédents et en intérêts composés semi-annuellement
afin de permettre des réinvestissements, voici les revenus annuels et
journaliers des quatre fortunes individuelles et collectives indiquées
plus haut :
|
$
par an
|
$
par jour
|
William Waldorf Astor
|
8
900 000
|
23
277
|
John D. Rockefeller
|
7
611 250
|
20
853
|
Jay Gould (propriétés)
|
4
040 000
|
11
068
|
Cornelius Vanderbilt
|
4
048 000
|
11
090
|
William K. Vanderbilt
|
3 795 000
|
10
397
|
Cela constitue évidemment une estimation modérée, car il y a
encore six ans, on remarquait que le dividende trimestriel de M.
Rockefeller sur les valeurs de la Standard Oil Company dont il est l'un
des principaux actionnaires, était représenté par un chèque de quatre
millions de dollars ; aujourd'hui, les mêmes valeurs rapportent un bien
plus grand revenu.
Longtemps avant la fin du présent siècle, The Niagara Falls Review
proclamait la note d'avertissement suivante :
« L'un des plus grands dangers qui menacent à présent la stabilité des
institutions américaines est l'augmentation des millionnaires individuels,
et la concentration qui s'ensuit des propriétés et de l'argent dans les
mains de particuliers. Un article récent, paru dans un important journal
de New York, donne des chiffres qui doivent servir à attirer I'attention
générale sur l'évolution de cette difficulté. Voici, y déclare-t-on,
les neuf plus grandes fortunes des États-Unis :
|
$
|
William Waldorf Astor
|
150
000 000
|
Jay Gould
|
100
000 000
|
John D. Rockefeller
|
90
000 000
|
Cornelius Vanderbilt
|
90
000 000
|
William K. Vanderbilt
|
80
000 000
|
Henry M. Flager
|
60
000 000
|
John L. Blair
|
50
000 000
|
Russel Sage
|
50
000 000
|
Collis P. Huntington
|
50
000 000
|
Total
................................
|
720
000 000
|
« En estimant le rendement de ces sommes immenses d'après l'intérêt
moyen obtenu par d'autres investissements analogues, voici quels seraient
les revenus :
|
$
par an
|
$
par jour
|
Astor
|
9
135 000
|
25
027
|
Rockefeller
|
5
481 000
|
16
003
|
Gould
|
4
040 000
|
11
068
|
Vanderbilt, C.
|
4
554 000
|
12
477
|
Vanderbilt W.K.
|
4
048 000
|
11
090
|
Flager
|
3
036 000
|
8
318
|
Blair
|
3
045 000
|
8
342
|
Sage
|
3
045 000
|
8
342
|
Huntington
|
1
510 000
|
4137
|
« Presque tous ces hommes ont un train de vie comparativement
simple, et il leur est évidemment impossible de dépenser plus qu'une
partie de leurs immenses revenus journaliers et annuels. En conséquence,
le surplus devient un capital et aide à augmenter considérablement les
fortunes de ces individus. A présent, la famille Vanderbilt possède les
sommes immenses suivantes (les quelques années écoulées ont augmenté
grandement certains de ces chiffres) :
|
$
|
Cornelius Vanderbilt
|
90
000 000
|
William K. Vanderbilt
|
80
000 000
|
Frederick W. Vanderbilt
|
17
000 000
|
George W. Vanderbilt
|
15
000 000
|
Mme Elliott F.
Sheppard
|
13
000 000
|
Mme William D. Sloane
|
13
000 000
|
Mme Hamilton McK Twombly
|
13
000 000
|
Mme W. Seward Webb
|
13
000 000
|
Total.................................
|
254
000 000
|
« Plus prodigieuses encore sont les accumulations faites grâce au
grand Trust Standard Oil qui vient juste d'être dissous, pour être
remplacé par la Compagnie Standard Oil. Voici quelles en étaient les
fortunes :
|
$
|
John D, Rockefeller
|
90
000 000
|
Henry M. Flager
|
60
000 000
|
William Rockefeller
|
40
000 000
|
Benjamin Brewster
|
25
000 000
|
Henry H. Rogers
|
25
000 000
|
Oliver H. Payne (Cleveland)
|
25
000 000
|
Wm. G. Warden (Philadelphie)
|
25
000 000
|
Chas. Pratt estate Brooklyn
|
25
000 000
|
John D. Archbold
|
10
000 000
|
Total.................................
|
325
000 000
|
« Il n'a fallu que vingt ans pour concentrer cette richesse entre les
mains de huit ou neuf hommes. C'est donc ici le danger. Les grands chemins
de fer des États-Unis se trouvent entre les mains de Gould, des
Vanderbilts et de Huntington. Les grands immeubles du territoire de New
York qui augmentent constamment de valeur, sont la possession de Sage, des
Astors et d'autres. Réunies et augmentées normalement, les fortunes de
ces neuf familles s'élèveraient en vingt-cinq ans à 2 754 000 000 de
dollars. William Waldorf Astor lui-même, en accumulant simplement ses
revenus, possédera probablement un milliard de dollars avant de mourir,
et cet argent, comme celui des Vanderbilts, se transmettra dans sa famille
comme dans d'autres, et créera une aristocratie de riches extrêmement
dangereuse pour la communauté, constituant un commentaire singulier au
sujet de cette aristocratie de naissance ou de talent que les Américains
considèrent comme étant si offensante en Grande-Bretagne.
« D'autres grandes fortunes existent ou font leur apparition ; nous ne
pouvons en indiquer que quelques-unes d'entre elles :
|
$
|
William Astor
|
40
000 000
|
Leland Stanf Stanford
|
30
000 000
|
Mme Hetty Green
|
30
000 000
|
Philip D. Armour
|
30
000 000
|
Edward F. Searles
|
25
000 000
|
J. Pierpont Morgan
|
25
000 000
|
Charles Crocker (propriétés)
|
25
000 000
|
Darius O.Mills
|
25
000 000
|
Andrew Carnegie
|
25
000 000
|
E. S. Higgins (propriété)
|
20
000 000
|
George M. Pullman
|
20
000 000
|
Total..................................
|
295
000 000
|
« Ainsi voyons-nous un
capital d'un montant presque inconcevable entre les mains d'un petit
nombre et nécessairement soustrait aux possibilités [d'accès] du plus
grand nombre. Aucun pouvoir humain ne saurait résoudre à l’amiable
cette question angoissante. Cet état de choses ira de mal en pis ».
QUELQUES MILLIONNAIRES AMÉRICAINS — COMMENT
ILS ONT ACQUIS LEURS MILLIONS
Le Rédacteur en Chef de Review of Reviews donne ce qu’il appelle
« quelques extraits d'un journal très instructif et divertissant,
dont la seule faute est d'avoir une vue optimiste de la pieuvre
ploutocratique » :
« Un Américain qui écrit d'après sa connaissance personnelle, mais préfère
rester anonyme, raconte dans Cornhill Magazine avec beaucoup de
sympathie l'histoire de plusieurs des millionnaires de la gigantesque République.
Il prétend que même si les quatre mille millionnaires possèdent entre
eux quarante milliards sur les soixante-dix milliards qui constituent la
richesse nationale totale, ce qui en reste laisse encore à chaque citoyen
500 $ par tête contre 330 $ par tête il y a quarante-cinq ans. Il
soutient que les millionnaires ont prospéré en enrichissant d'autres
classes et non en les appauvrissant.
« Le « Commodore » Vanderbilt, qui fut le premier millionnaire de cette
famille, naquit il y a juste un siècle. Son capital consistait à être
le traditionnel va-nu-pieds, à avoir les poches vides et à croire à sa
chance (base de tant de fortunes américaines). Un dur labeur, de l'âge
de six à seize ans, lui fournit un second capital plus tangible, savoir,
cent dollars. Il investit cet argent dans un petit bateau ; avec ce
bateau, il entreprit un commerce à son compte, le transport de légumes
à New York. A l’âge de vingt ans il se maria, et l'homme et la femme
mirent leur cœur à gagner de l'argent. Lui s'occupait du bateau ; elle
tint un hôtel. Trois ans plus tard, il possédait dix mille dollars. Puis
sa fortune se multiplia rapidement, si rapidement que lorsqu'éclata la
guerre civile, le garçon qui avait commencé avec un seul bateau d'une
valeur de cent dollars, put offrir à la nation un de ses bateaux d'une
valeur de huit cent mille dollars. Malgré cela, il se trouvait encore à
l'aise et pouvait continuer son commerce maritime. A soixante-dix ans, il
était à la tête d'une fortune de soixante-dix millions.
« La fortune de la famille Astor est due au cerveau d'un seul homme
et à la croissance naturelle d'une grande nation, John Jacob Astor étant
le seul homme qui, sur quatre générations, sut gagner de l'argent.
L'argent qu'il gagna, car il le gagna, fut placé sur des terrains à New
York. L'ensemble de ces terrains est limité du fait que la ville se tient
sur une île. C'est pourquoi, la croissance de la ville de New York, qui
était due à celle de la République, fit de cette petite fortune du
dix-huitième siècle la plus grande fortune américaine du dix-neuvième
siècle. Le premier et dernier Astor digne d'être retenu comme maître
dans l'art d'acquérir des millions fut donc John Jacob Astor. Fatigué de
seconder son père, dans sa boucherie à Waldorf, J.J. Astor s'en alla il
y a environ cent-dix ans pour tenter sa chance au Nouveau monde. C'est,
dans un sens, sur le bateau qu'il fit réellement sa fortune entière. Il
y rencontra un vieux marchand de fourrures qui le mit au courant de toutes
les ficelles du commerce de fourrures avec les Indiens. Il entreprit donc
ce commerce et gagna de l'argent. Puis il épousa Sarah Todd qui était
une jeune femme fine et énergique. Sarah et John Jacob finirent par
passer toutes leurs soirées dans leur boutique à trier des fourrures...
En quinze ans, John Jacob et Sarah avaient amassé 2 500 000 $... Une
heureuse spéculation dans des obligations des États-Unis, à un moment où
les cours étaient très bas, doubla la fortune de John Jacob. Cette
fortune fut tout entière placée dans des biens fonciers où elle est
restée depuis.
« Leland Stanford, Charles Crocker, Mark Hopkins et Collis P.
Huntington vinrent en Californie au moment de la fièvre de l'or en 1849.
Lorsqu'on agita la question du chemin de fer transcontinental, ces quatre
hommes « y virent des millions à gagner » et entreprirent la
construction de l'Union Pacific. Les quatre hommes, sans le sou en 1850
possèdent maintenant ensemble une fortune s'élevant à 200 000 000 de
dollars.
« L'un d'eux, Leland Stanford, s'était proposé de fonder une famille,
mais il y a dix ans, son fils unique mourut. Il décida alors de créer
une université en mémoire de ce fils, et il le fit d'une manière princière.
De son vivant déjà, il confia, dans ce but, à des administrateurs fondés
de pouvoir, trois fermes d'une superficie de 86 000 acres [34 801 ha
environ] valant à cause de leurs superbes vignobles, 6 000 000 de
dollars. A ceci, il ajouta 14 000 000 de dollars en titres, et à sa mort,
il légua à l'université 2 500 000 $. Cet homme donna donc à lui seul
et à une seule institution d'études la somme totale de 22 500 000 $ ce
qui est, dit-on, un record mondial. Sa femme a annoncé son intention de
laisser sa fortune, soit quelque 10 000 000 de dollars, à l'université.
« L'exemple le plus remarquable de la formation d'une fortune dans
l'histoire des millions américains, est celui que fournit le trust de la
Standard Oil :
« Il y a trente ans, cinq jeunes gens, dont la plupart habitaient la
petite ville de Cleveland (État de l'Ohio), et tous relativement pauvres
(il est probable qu'ensemble, ils ne pouvaient se vanter de posséder 50
000 $), virent la possibilité de gagner de l'argent avec le pétrole.
Dans le langage expressif du vieux marinier, « ils allèrent çà et là
pour en chercher, et ils en trouvèrent ». Aujourd'hui, ce même
groupe de cinq hommes possède 600 000 000 de dollars... John D.
Rockefeller, le cerveau et l'animateur de ce grand « trust », est un
homme au visage rouge de santé, aux yeux si doux et aux manières si
cordiales, qu'il est très difficile de l'appeler un « accapareur
forcené ». Son occupation favorite maintenant est l'instruction, et, il
chevauche ce « dada » d'une manière énergique et virile. Il a pris
l'Université de Chicago sous sa protection, et déjà la somme de sept
millions de dollars est passée de ses poches au fonds de ce nouveau
centre de culture dans la seconde cité de la République ».
Dans un article paru dans le Forum, M. Thomas G. Shearman,
statisticien de New York, donnait les noms de soixante-dix Américains,
dont les fortunes réunies s'élèvent à 2 700 000 000 de dollars, soit une moyenne de
38 500 000 $ pour chacune : il déclare qu'on pourrait dresser une liste
de dix personnes dont la fortune moyenne
serait de 100 000 000 de dollars, et une autre liste de cent
personnes dont la fortune moyenne de 25 000 000 de dollars ; il
poursuit en disant que « le revenu moyen annuel
de chacun des cent plus riches Américains ne pas être moins de 1
200 000 $, et qu'il dépasse probablement 1 500 000 $.
Commentant cette dernière déclaration, un écrivain de talent (Rév.
Josiah Strong) dit :
« Si cent travailleurs pouvaient gagner chacun 1000 $ par an, il
leur faudrait travailler douze cents ou quinze cents années pour gagner
autant que le revenu annuel de ces cent Américains les plus
riches. Si un travailleur pouvait gagner 100 $ par jour, il devrait
travailler jusqu'à ce qu'il soit âgé de cinq cent quarante-sept ans,
sans prendre une seule journée de congé, pour pouvoir gagner autant
d'argent que n'en possèdent certains Américains ».
Le tableau suivant compare la
richesse des quatre plus riches du monde en 1830 et en 1893 ; il
montre comment les richesses sont « entassées » par nations
dans les derniers jours, de
cette dispensation où l'on accumule l'argent d'une manière presque
fabuleuse :
Richesses totales :
|
1830
|
1893
|
|
$
|
$
|
de la Grande-Bretagne
|
16
890 000 000
|
50
000 000 000
|
de la France
|
10
645 000 000
|
40
000 000 000
|
de l'Allemagne
|
10
700 000 000
|
35
000 000 000
|
des États-Unis
|
5
000 000 000
|
72
000 000 000
|
Afin que le lecteur puisse comprendre comment des statisticiens
arrivent à leurs conclusions sur un sujet aussi vaste, nous donnons ce
qui suit comme étant une estimation classifiée et approximative de la
richesse des États-Unis :
|
$
|
Biens immobiliers des cités et des villes
|
15
500 000 000
|
Biens immobiliers autres que ceux des cités et des villes
|
12
500 000 000
|
Propriétés personnelles (non spécifiées ailleurs )
|
8
200 000 000
|
Chemins de fer et leurs installations
|
8
000 000 000
|
Capital investi dans des industries
|
5
300 000 000
|
Biens manufacturés
|
5
000 000 000
|
Productions (y compris la laine)
|
3
500 000 000
|
Propriétés possédées et argent investi dans des pays étrangers
|
3
100 000 000
|
Édifices publics,
arsenaux, navires de guerre,
etc.
|
3
000 000 000
|
Animaux domestiques dans les fermes
|
2
480 000 000
|
Animaux domestiques dans les cités et dans les villes
|
1
700 000 000
|
Argent, pièces de monnaie étrangères et
nationales, billets de banque, etc.
|
2
130 000 000
|
Terres publiques (à 1,25 $
l'acre – 40,46 a Trad. )
|
1
000 000 000
|
Produits minéraux (toutes sortes) .
|
590
000 000
|
Total......................................................
|
72
000 000 000
|
Il y a quelques années, on remarqua que la richesse des États-Unis
s'accroissait à raison de quarante millions de dollars par semaine, soit
deux milliards de dollars par an (l'endettement total de la nation des États-Unis,
public et privé, était alors estimé à vingt milliards de dollars).
L'amoncellement des trésors pendant les derniers jours, comme on
vient de le noter, s'applique spécialement à ces États-Unis, mais il en
est de même du monde civilisé tout entier. Par tête d'habitant, la
Grande Bretagne est plus riche que les États-Unis, la nation la plus
riche sur la terre. Même en Chine et au Japon, il y a depuis peu, des
millionnaires. La défaite de la Chine en 1894 par les Japonais serait due
surtout, dit-on, à la cupidité des fonctionnaires gouvernementaux qu'on
accuse d'avoir fourni des canons et des obus de qualité inférieure, et même
des imitations, bien qu'ils aient reçu un prix considérable pour en
fournir d'authentiques.
Bien entendu, une minorité seulement de ceux qui cherchent fortune la
trouve. La course précipitée et les luttes pour acquérir les biens de
ce monde ne sont pas toujours récompensées. Le poison de l'égoïsme ne
touche pas seulement ceux qui réussissent, et, comme le déclarait l'Apôtre :
« Or ceux qui veulent devenir riches [qui sont déterminés
à être riches à tout prix] tombent dans la tentation et dans un piège,
et dans plusieurs désirs insensés et pernicieux qui plongent les hommes
dans la ruine et la perdition car c'est une racine de toutes sortes de
maux que l'amour de l'agent [de la richesse] » (1 Tim. 6 : 9, 10).
La majorité, inexpérimentée, prend des risques et trouve le désappointement
et la perte ; la minorité, pleine de sagesse mondaine et de subtilité,
prend peu de risques et récolte la plupart des gains. Ainsi, par exemple,
la « fièvre de l'or de l'Afrique du Sud » qui, autrefois,
se répandit en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne, transféra réellement
des poches et des comptes en banque de la classe moyenne a ceux des riches
capitalistes et des banquiers qui prennent peu de risques, des centaines
de millions de dollars. Le résultat fut sans aucun doute une grande perte
pour cette classe moyenne si soucieuse d'obtenir rapidement des richesses
qu'elle risque son tout. La tendance de tout ceci est de mécontenter
nombre de personnes de cette classe d'ordinaire conservatrice et de les préparer
dans quelques années à accepter n'importe quel plan socialiste qui
promette d'être à leur avantage.
L'ACCROISSEMENT DE LA PAUVRETÉ
Mais est-il vrai qu'il, y ait des pauvres et des nécessiteux dans ce pays
d'abondance, dans lequel tant de gens amassent ensemble une telle
fabuleuse richesse ? N'est-ce pas de sa propre faute si un homme ou une
femme en bonne santé n'arrive pas à vivre confortablement ? Ne serait-ce
pas encourager le paupérisme et la dépendance si ceux qui vivent dans la
prospérité se mettaient à « ramer pour faire avancer les canots »
des classes plus pauvres ? C'est ainsi que raisonnent nombre de
riches qui, en de nombreux cas, étaient eux-mêmes des pauvres il y a
vingt-cinq ans, et qui se souviennent qu'alors tous ceux qui pouvaient et
voulaient travailler, trouvaient sans peine de l'occupation. Ils ne
discernent pas quels grands changements se sont opérés depuis, que si,
d'une part leur fortune s'est améliorée d'une manière prodigieuse,
d'autre part la condition des masses a rétrogradé, surtout depuis les
sept dernières années. Il est vrai que, maintenant, les salaires sont
assez élevés parce qu'ils sont maintenu, grâce aux efforts des
syndicats ouvriers, etc. ; cependant, beaucoup ne peuvent obtenir du
travail, tandis que nombre de ceux qui ont une situation, ne peuvent
travailler que la moitié du temps, et souvent moins, et parviennent à
peine, par une stricte économie, à vivre décemment et honnêtement.
Lorsque surviennent des crises spéciales, comme celle de 1893-1896,
nombre de sans-travail tombent à la charge de leurs amis qui peuvent
difficilement supporter ce surcroît de fardeau. Ceux qui n'ont pas
d’amis sont forcés de recourir aux œuvres d'assistance publique, lesquelles, en pareils cas, ne peuvent
absolument pas faire face à la situation.
La crise de 1893 passa sur le monde entier comme une grande vague, et
l'abattement qui en résulta se fait encore grandement sentir, bien que
beaucoup de personnes aient retrouvé du travail. Selon les Écritures,
cette détresse vient semblables à des vagues, à des spasmes, ou aux
« douleurs de l'enfantement » (1 Thess. 5 : 3) ;
chaque spasme, successif deviendra probablement plus douloureux jusqu'au spasme final. Les gens fortunés qui jouissent de tout le
confort désiré arrivent difficilement à comprendre le dénuement de la
classe la plus pauvre qui augmente rapidement. Le fait est que même parmi
ceux des classes moyenne et riche, on se rend compte de l'impossibilité
totale de changer l'actuel ordre social pour leur apporter un soulagement
permanent quelconque ; et ainsi, chacun fait le peu qu'il lui parait
possible de faire et de son devoir de faire aux indigents de son entourage
et essaie de discréditer ou d'oublier les appels de détresse qui
frappent sa vue ou ses oreilles.
Les extraits suivants tirés de la presse quotidienne rappelleront quelle
était la situation en 1893, laquelle se reproduira probablement sous peu
en plus grave. The California Adrocate déclarait :
« Les rassemblements par milliers des masses de chômeurs
dans nos grandes villes offrent un triste spectacle, et leur cri pitoyable
pour réclamer du travail ou du pain retentit dans tout le pays. C'est le
vieux problème insoluble de la pauvreté aggravé par la crise sans précédent
dans les affaires. L'oisiveté involontaire est un mal qui va sans cesse
en empirant et qui marche de pair avec la civilisation. C’est l’ombre
menaçante qui suit sans arrêt le développement de la civilisation, et
qui augmente en ampleur et en intensité. Les conditions ne sont
certainement pas normales lorsque des hommes veulent travailler, désirent
travailler, et ne peuvent cependant pas trouver du travail à faire, alors
que leur vie même en dépend. Le vieux dicton n'est pas vrai lorsqu'il
dit que « le monde doit à chacun du travail ». Mais il est vrai
que le monde doit à chacun la possibilité de gagner sa vie. Beaucoup de
théories ont été proposées et beaucoup d"efforts ont été faits
pour garantir à tous ceux qui veulent travailler, « le droit au travail »,
mais jusqu'à présent, tous ces essais ont lamentablement échoué. Celui
qui résoudra cet important problème, et qui procurera à tout homme désirant
travailler le moyen de le faire, sera en vérité un bienfaiteur de
l'humanité, car il délivrera ainsi les humains de la malédiction de
l'oisiveté forcée ».
Un autre récit décrit comment, à Chicago, une foule de plus de quatre
cents chômeurs défila à travers les principales rues de la ville. A sa
tête, l’un des manifestants
portait une pancarte avec, l’effrayante légende : « Nous
voulons du travail ». Le jour suivant, ils se promenèrent avec de
nombreuses bannières portant les inscriptions suivantes : « Vivre
et laisser vivre », « Nous demandons la possibilité de
soutenir nos familles », « Du travail ou du pain », etc. Une armée
de chômeurs parcourut San-Francisco avec des bannières portant ces
inscriptions :
«
Des milliers de maisons sont à louer et des milliers de gens sont sans
abri », « Affamés et dans le dénuement », « Poussés
à la mendicité par l'aiguillon de la faim », « Ne montez
plus sur notre dos, et nous nous débrouillerons nous-même ». etc,
Dans un autre journal, on lit :
« Newark (N.J.), le 21 août : — Aujourd'hui, des chômeurs ont
organisé un grand cortège. A leur tête marchait un homme portant un
grand drapeau noir sur lequel on lisait en lettres blanches ces mots :
« Signes des Temps : Je meurs de faim parce qu'il est gras ».
Sous cette inscription on voyait l'image d'un homme gros et bien nourri
coiffé d'un haut-de-forme ; à son côté se tenait un travailleur
mourant de faim ».
Un autre journal, faisant allusion à la grève des mineurs-houilleurs
anglais, dit :
« Les histoires de détresse réelle, et même de famine, se multiplient
d'une manière affligeante à travers l'Angleterre et l’arrêt du
travail dans l’industrie ainsi que la perturbation dans les chemins de
fer prennent des proportions d'une grave calamité nationale... Comme on
pouvait s'y attendre, la véritable cause provient des redevances énormes
qui doivent être payées aux propriétaires du sol pour la location de
leurs terrains qui renferment des mines. Un nombre considérable de
millionnaires, dont les redevances minières qui leur sont payées pendent
comme des meules autour du « cou » des industries minières, sont en même
temps des pairs éminents ; aussi, la conscience publique courroucée
associe-t-elle les deux choses en même temps... Des journaux avancés
dressent-ils des listes extraordinaires de lords qui ne diffèrent pas de
celles des trusts en Amérique, et qui montrent dans leurs chiffres leurs
monstrueux prélèvements sur les revenus des propriétés du pays.
« Le cri des gens qui réclament du pain s'élève des villes. Ce
cri est plus intense et plus lugubre qu'il ne l'a jamais été. Il
provient d'estomacs tiraillés par la faim et de corps affaiblis. Il
provient d'hommes qui parcourent à pied les rues pour chercher du
travail. Il provient de femmes désespérées, assises dans des chambres
vides. Il provient des enfants.
« Dans la cité de New York, les pauvres sont arrivés à un degré
d'indigence jamais atteint. Il n'y a probablement aucun vivant qui puisse
comprendre combien la souffrance est terrible, combien est effrayante la
pauvreté. Aucune personne à elle seule ne peut la voir toute. Personne
ne peut se l'imaginer.
« Peu parmi nos lecteurs peuvent comprendre ce que signifie être
privé de nourriture. C'est l'une des choses si épouvantables qu'on ne
peut la leur faire toucher du doigt. Ils disent : « Certainement, les
gens peuvent obtenir quelque chose à manger quelque part, suffisamment
pour vivre ; ils peuvent aller vers leurs voisins ». Pour ceux
qui sont les victimes, il n'y a pas de « quelque part ». Leurs
amis sont aussi dénués de tout qu'eux-mêmes.
Ils sont des hommes si affaiblis par manque de nourriture qu'ils ne
peuvent pas travailler si du travail leur est offert ».
Dans son éditorial, l'Examiner de San-Francisco déclarait :
« Comment cela se fait-il ? Nous avons tant à manger que les
fermiers se plaignent de n'avoir aucun profit. Nous avons tant pour nous vêtir
que les filatures de coton et de laine ferment leurs portes parce que
personne ne leur achète leurs produits. Nous avons tant de charbon que
les chemins de fer qui le transportent s'en vont dans les mains des
liquidateurs. Nous avons tant de maisons que les constructeurs sont sans
travail. Toutes les choses nécessaires à la vie et à son confort sont
abondantes comme elles ne le furent jamais dans les années les plus prospères
de notre histoire. Lorsque le pays a suffisamment de nourriture, de vêtements,
de combustible et de logis pour chacun, pourquoi les temps sont-ils si
durs ? Il est évident que la nature n'y est pour rien. Qui ou quoi est
donc responsable de cela ?
« Le problème du chômage est l'un des plus sérieux problèmes que les
États-Unis doivent affronter. Selon les statistiques réunies par Bradstreet's,
il y avait au début de l'année quelque chose comme 801 000 salariés
sans emploi dans les 119 premières cités des États-Unis, et le nombre
des personnes à la charge de ces salariés était de plus de 2 000 000.
Si les 119 cités ont donné une moyenne exacte, le total des salariés
sans travail pour le pays le premier jour de l'an dépasserait 4 000 000
de personnes, représentant une population à leur charge de 10 000 000.
Étant donné que les chômeurs cherchent les cités, il est bon de déduire
un quart de ces chiffres. Mais même cette déduction faite, le nombre des
chômeurs est un total énorme, qui fend le cœur.
« Le dur chemin de la pauvreté qui conduit au paupérisme a été
parcouru si longtemps en Europe que les autorités du Vieux Monde savent
mieux comment s'en occuper que ne le sait la communauté comparativement
prospère de ce côté-ci de l'Océan. En Europe, les salaires sont si bas
que, dans beaucoup d'États, l'hospice est le refuge à la fin de la vie.
Aucune somme de travail et d'économie ne peut permettre à un travailleur
de garder une pomme pour la soif. La marge entre les recettes et les dépenses
est si petite qu'une maladie de quelques jours ou une perte d'emploi réduit
le travailleur à l'indigence. Dans ces pays, le gouvernement a été forcé
de traiter le sujet plus ou moins scientifiquement, au lieu de la méthode,
« à-la-va-comme-je-te pousse » familière à l'Amérique ou
les vagabonds abondent et où l'homme qui se respecte et qui tombe dans le
besoin doit souffrir la faim ».
Le rédacteur en Chef de The Arena dit dans Civilization Inferno
:
« La Mer Morte de la misère fait reculer ses limites dans chaque
centre populeux. Les murmures de mécontentement et de colère sont de
plus en plus menaçants d'année en année. La justice qui est refusée
aux faibles à cause de la puissance de la cupidité, nous a amenés face
à une formidable crise qui peut encore être évitée si nous avons la
sagesse d'être justes et humains ; mais on ne peut plus désormais parler
d'un ton sarcastique de ce problème comme s'il n'était d'aucune
importance. Désormais il n'est plus local, mais il affecte et menace le
corps politique tout entier. Il y a quelques années, l'un des ecclésiastiques
les plus éminents en Amérique déclarait que dans cette République, il
n'y avait pas à proprement parler de pauvreté. Aujourd'hui, aucune
personne réfléchie ne disconvient que ce problème soit d'une très
grande importance. Il y a peu de temps, j'ai employé un monsieur à New
York pour prendre personnellement connaissance des archives du tribunal de
la cité afin qu'il puisse se rendre compte du nombre exact de mandats d'éviction
délivrés en douze mois. Quel fut le résultat ? Les archives montrèrent
le fait terrifiant que durant les douze mois se terminant le 1er
septembre 1892, vingt-neuf mille sept cent vingt mandats d'éviction
furent délivrés dans la cité de New York.
« Dans un article du Forum de décembre 1892 par M. Jacob Riis, sur
les besoins spéciaux des pauvres à New York, il dit : « Il est vrai que
depuis de nombreuses années à New York, un dixième de tous ceux qui
meurent dans cette grande et riche cité sont enterrés au cimetière des
indigents. Sur les 382 530 enterrements qui eurent lieu dans la décade écoulée,
37 966 furent faits dans le cimetière des indigents, et M. Riis continue
en faisant allusion au fait connu de tous ceux qui étudient les
conditions sociales et enquêtent personnellement sur la pauvreté dans
les grandes cités, que cet exemple du cimetière des indigents, aussi
terriblement significatif qu'il puisse être, n'est pas adéquat pour
estimer le problème de la pauvreté d'une grande cité. Sur ce point, il
poursuit :
« Ceux qui ont fait une expérience quelconque avec les pauvres, et
qui savent avec quelle angoisse ils luttent contre ce point culminant de
la misère, comment ils font des projets et se privent pour avoir le
pauvre privilège de reposer à leur mort dans une tombe qui leur
appartienne (bien que dans leur vie, ils n'aient jamais possédé une
cabane qui fût la leur), seront d'accord avec moi que c'est être bien
modéré que de supposer que là où un seul tombe, malgré tout, dans
cette terrible tranchée, deux ou trois au moins doivent être menacés
d'y tomber. Avec cette estimation que vingt à trente pour cent de notre
population luttent toujours pour éloigner la faim à leurs foyers, tous
les faits connus — même s'ils sont dispersés — touchant des
institutions charitables à New York s'accordent assez bien.
« En 1890, on enregistra officiellement deux cent trente-neuf
suicides dans la ville de New York. Les rapports des tribunaux sont chargés,
comme jamais auparavant, de cas de personnes qui ont attenté à leurs
jours. Le greffier Smyth, s'adressant à une pauvre créature qui avait
cherché la mort en se jetant dans l'East River, dit : « Vous êtes la
seconde personne qui passe en jugement ce matin pour avoir tenté de se
suicider ; et », continua-t-il, « je n'avais jamais vu autant de cas de
ce genre avant ces derniers mois ».
« La nuit tombe lentement mais sûrement sur notre peuple, sur des
centaines et des milliers de personnes ; c'est la nuit de la pauvreté
et du désespoir. Elles sont conscientes de son approche, mais se sentent
impuissantes à entraver sa marche. « Les
loyers augmentent et les salaires diminuent chaque année, et que
pouvons-nous y faire ? » déclarait récemment un travailleur en
parlant des perspectives de l'avenir. « Je ne vois aucun moyen d'en
sortir » ajouta-t-il amèrement, et on doit convenir que les perspectives
sont sombres si aucun changement économique radical n'intervient, car
l'offre augmente chaque année bien plus rapidement que la demande de
travailleurs. « Il y a dix femmes pour n'importe quel emploi, si peu
rétribué soit-il », telle est la déclaration impartiale d'un
fonctionnaire qui a fait récemment de cette question une étude spéciale.
« Des centaines de jeunes filles », continue cet auteur,
« brisent leur avenir chaque année et détruisent leur santé dans
des magasins et des ateliers sombres et mal aérés, et pourtant d'autres
jeunes filles en grand nombre arrivent de la campagne et des bourgs chaque
semaine pour remplir les places vacantes ». Mais n'imaginons pas que
ce sont là des conditions particulières à New York. Ce qui est vrai de
la métropole l'est, jusqu'à un certain point, également de toutes les
grandes cités en Amérique. A une portée de canon de Beacon Hill, à
Boston où se dresse fièrement le dôme du Capitole, se trouvent des
centaines de familles qui meurent lentement de faim et étouffent ;
des familles qui luttent avec courage pour se procurer les choses
strictement nécessaires à la vie, tandis qu'année après année, les
conditions deviennent plus désespérées, la lutte pour le pain plus
farouche, et l'avenir plus sombre. En conversation avec l'un de ces
travailleurs, dit-il, avec un certain ton pathétique de découragement
qui manifestait le désespoir ou peut-être une perception émoussée qui
l'empêchait de saisir pleinement la portée de ses paroles : « J'ai
entendu parler un jour d'un homme qui fut enfermé par un tyran dans une
cage de fer, et qui, chaque jour, trouvait les parois se rapprochant de
plus en plus de lui. A la fin, les parois furent si près l'une de l'autre
qu'elles firent sortir de force une partie de sa vie, et je ne sais
comment » , dit-il, « il me semble que nous sommes exactement
comme cet homme ; lorsque, chaque jour, je vois transporter les
petites boites, je dis parfois à ma femme : il y a un peu plus de vie
disparue ; un jour, nous partirons aussi ».
« Récemment, j'ai visité une vingtaine de logements d'ouvriers où
la vie lutte contre la mort où, avec un héroïsme patient bien plus
sublime que des exploits audacieux accomplis au milieu des cris de
triomphe du champ de bataille, des mères et des filles maniaient
l'aiguille sans arrêt. Dans plusieurs foyers, j'ai remarqué des
impotents cloués au lit, dont les yeux enfoncés et le visage émacié
racontaient clairement l'histoire de mois, et peut-être d'années, de
manque de nourriture au milieu de la saleté repoussante, de l'odeur écœurante
et de la malpropreté presque universelle de la caverne sociale. Ici, l'on
devient douloureusement conscient que les spectres de la faim et de la
peur sont toujours présents. Une terreur constante opprime le cœur de
ces exilés d'un poids écrasant. Le propriétaire, debout, un ordre
d'expulsion à la main, hante constamment leur esprit. La crainte de la
maladie obsède leurs moments de veille, car pour eux la maladie signifie
l'incapacité de se procurer la nourriture à peine suffisante que réclame
la vie. Le désespoir de l'avenir probable tourmente fréquemment leur
repos. Tel est le sort commun du travailleur patient dans les quartiers
sordides de nos grandes cités d'aujourd'hui. Sur la plupart des visages
on lit une expression de profonde tristesse et de résignation muette.
« Parfois une lueur incertaine jaillit d'orbites caverneuses, une
lueur funeste suggérant des feux qui couvent alimentés par la conscience
toujours présente d'être des victimes. Ils sentent d'une manière
confuse que le sort de la bête des champs est bien plus heureux que leur
destinée à eux. Même s'ils luttent de l'aube jusque tard dans la nuit
pour avoir du pain et une misérable chambre, ils savent que la fenêtre
de l'espoir leur est fermée dans les grands centres agités de la chrétienté.
Il est triste, en vérité, de penser qu'à l'heure présente, alors que
notre pays est couvert comme jamais auparavant de temples majestueux dédiés
au grand Nazaréen qui consacra sa vie à exercer un ministère parmi les
pauvres, les déchus et les parias, nous trouvons la marée de la misère
qui monte ; nous trouvons qu'une pauvreté inattendue devient le sort inévitable
de milliers de vies supplémentaires chaque année. Jamais le sentiment
d'altruisme n'a été plus général sur les lèvres de l'homme. Jamais le
cœur humain n'a soupiré comme maintenant après une vraie manifestation
de fraternité humaine. Jamais le monde civilisé tout entier n'a été si
profondément remué par le rêve persistant des âges : la paternité de
Dieu et la fraternité des hommes. Et pourtant, étrange anomalie ! Le cri
de l'innocence, de la justice bafouée, le cri de millions de personnes
sous la roue, s'élève aujourd'hui de chaque pays civilisé comme jamais
auparavant. La voix de la Russie se mêle avec le cri de l'Irlande. Les
parias de Londres s'associent aux bannis de toutes les grandes cités
continentales et américaines pour ne former qu'une puissante
revendication pour la justice, qui ébranle toute la terre ».
« A Londres seulement, il y a plus de trois cent mille personnes qui
vivent au bord même de l'abîme, dans la crainte continuelle de se voir
chassées du pauvre réduit qu'elles appellent leur foyer ; leur vie
n'est qu'un long cauchemar. Moins favorisés encore, il y a plus de deux
cent mille êtres qui ont faim ; plus bas encore de l'échelle sociale,
nous trouvons trois cent mille individus mourant littéralement de faim,
le royaume où la faim torture nuit, et jour, où chaque seconde de chaque
minute, de chaque heure de chaque jour, est remplie de souffrances. Plus
malheureux encore sont les sans-foyer, ceux qui n'ont pas de quoi se
procurer un abri, même dans les plus mauvais quartiers ceux qui dorment
à la belle étoile l’année durant, qu'on peut trouver par centaines
chaque nuit sur les dalles froides du quai de la Tamise. Quelques-uns ont
comme matelas un journal, mais la plupart ne peuvent même pas s'accorder
ce luxe ! Cette armée d'absolument sans-abri à Londres est de
trente-trois mille ».
Quelqu'un dira peut-être que nous exagérons, mais qu'il s'informe lui-même.
Si, d'ailleurs, la moitié seulement de ce, que nous disons est vrai, ce
serait déjà pitoyable !
LE MÉCONTENTEMENT, LA HAINE, LES CONFLITS
VONT AMENER RAPIDEMENT L' EMBRASEMENT SOCIAL
De quelque manière qu'on puisse expliquer aux pauvres que les riches ne
furent jamais aussi charitables que maintenant, que la société pourvoit
davantage maintenant que jamais auparavant à l'entretien des pauvres, des
aveugles, des malades et des faibles, et que d'immenses revenus, provenant
chaque année des impôts, servent à maintenir ces œuvres de bienfaisance, cela ne satisferait sûrement pas l'ouvrier.
Citoyen intelligent, il se respecte trop pour désirer des aumônes ; il
n'a aucun désir de jouir du privilège humiliant d'être entretenu dans
un hospice, ou lorsqu'il est malade, d'être soigné comme indigent à l'hôpital.
Ce qu'il désire, c'est qu'on lui donne la possibilité de gagner honnêtement
et décemment son pain à la sueur de son front, et avec la dignité d'un
honnête travailleur, d'entretenir sa famille. Or, tandis qu'il se rend
compte que lui et ses compagnons de travail dépendent plus que jamais de
la faveur et de l'influence pour obtenir et pour conserver un petit
travail, et que les petits boutiquiers, les petits entrepreneurs et les
petits fabricants luttent plus difficilement que jamais pour gagner leur
vie, il apprend que les riches prospèrent, que le nombre des
millionnaires croît, que les capitalistes s'unissent pour accaparer les
diverses industries celle du cuivre, celle de l'acier, celle du verre,
celle de l'huile, celle des allumettes, celle du papier, celle du charbon,
celle de la peinture, celle de la coutellerie, celle du télégraphe et
toutes les autres industries. Il discerne également que toutes ces
associations, dominent toute l'organisation du monde, et qu'ainsi, alors
que son travail se déprécie à cause de la concurrence, les marchandises
et les choses nécessaires peuvent augmenter de prix, ou tout au moins ne
pas baisser de prix dans la mesure où le coût de la main-d’œuvre est
réduit par un outillage perfectionné qui remplace le cerveau et le
muscle de l'homme.
Dans de pareilles circonstances, pouvons-nous, nous étonner qu'a la
treizième assemblée annuelle de la Fédération des Travailleurs, à
Chicago, le vice-président de l'Assemblée des Commerçants ait souhaité
la bienvenue aux visiteurs dans les termes sarcastiques suivants ? Il
déclara :
« Nous aimerions vous souhaiter la bienvenue dans une cité prospère,
mais les faits ne justifient pas une telle assertion. Les choses ici sont
ce qu'elles sont, mais non ce qu'elles devraient être. Nous vous
souhaitons la bienvenue au nom d'une centaine d'accapareurs et de
cinquante mille vagabonds, ici où mammon mène une grande bacchanale dans
des palais, pendant que des mères ont le cœur brisé, que des enfants
meurent de faim et que des hommes cherchent en vain du travail. Nous vous
souhaitons la bienvenue au nom de cent mille hommes oisifs, au nom de ces
édifices érigés à la gloire de Dieu, mais dont les portes sont fermées
la nuit aux affamés et aux pauvres ; au nom des ministres des cultes qui
s'engraissent du produit des vignes de Dieu, oubliant que des enfants de
Dieu ont faim et n'ont pas un lieu où reposer la tête ; au nom des
piliers du « système d'exploitation », des millionnaires et des
diacres dont l'âme est dangereusement menacée par la soif de l'or au nom
des salariés qui suent du sang transformé en ducats d'or ; au nom des
asiles d'aliénés et des hospices, remplis de gens rendus fous par les
soucis dans ce pays d'abondance.
« Nous allons vous faire voir des produits de Chicago qui n'ont
pas été étalés dans l'enceinte de l'exposition, produits de sa
grandeur et de ses bas-fonds. Ce soir,
nous vous montrerons des centaines d'hommes sur les pierres
rugueuses des couloirs du bâtiment même où nous
sommes, dos hommes sans foyer et sans nourriture, des
hommes capables et désireux de travailler, mais pour qui il n'y a
pas de travail. Il est temps de sonner l'alarme à cause d’un
gouvernement en place dont les droits souverains sont confiés aux magnats
du chemin de fer, aux barons de la houille et aux spéculateurs ; l'alarme
à cause d'un gouvernement fédéral en place dont la politique financière
est actionnée à Wall Street sous l'autorité des barons financiers européens.
Nous espérons que vous prendrez des mesures pour utiliser le droit de
suffrage afin d'enlever le pouvoir aux serviteurs infidèles du peuple qui
sont responsables d'un tel état de choses ».
Cet orateur se trompe sans doute grandement en supposant qu'un changement
de fonctionnaires ou de partis débarrasserait le pays des maux existants,
mais il serait certainement inutile de lui dire, à lui ou à n'importe
quel autre homme sensé, que les maux actuels ne proviennent nullement de
l'arrangement social actuel qui rend possibles de tels extrêmes de
richesse et de pauvreté. Cependant, si différentes que puissent être
les opinions des gens quant à la cause et au remède, toutes s'accordent,
pour dire qu'il y a maladie. Certains cherchent en vain des remèdes dans
de mauvaises directions, et beaucoup, hélas ! ne désirent pas qu'un remède
soit trouvé, du moins pas avant qu'ils aient eu une chance, de profiter
des conditions présentes.
En accord avec cette pensée, George E. Mc Neill, déclara dans un
discours prononcé devant le Congrès mondial du Travail :
« Le mouvement des travailleurs est né de la faim : faim de
nourriture, d'abri, de chaleur, de vêtement et de plaisir. Dans le
mouvement de l'humanité vers le bonheur, chaque individu cherche son idéal,
et souvent en ne tenant stoïquement aucun compte des autres.
L'organisation industrielle repose sur la règle de fer du diable, savoir
chacun pour soi. Est-ce un phénomène inexplicable que ceux qui souffrent
le plus sous cette règle de l'égoïsme et de la cupidité s'organisent
pour renverser le système diabolique de gouvernement ? ».
Les journaux abondent en descriptions de mariages, de bals et de
banquets mondains dans lesquels la prétendue « couche supérieure »
de la société paraît en robes somptueuses et avec des bijoux
incomparables. On dit que, récemment, lors d'un bal donné à Paris, une
dame portait des diamants d'une valeur de 1 600 000 $. En août 1896, le New
York World fit paraître le portrait d'une dame américaine parée de
diamants et d'autres joyaux estimés à 1 000 000 $, et encore cette dame
n'appartient-elle pas à la « couche la plus supérieure » de
la société. Les journaux quotidiens parlent de la folle dépense de
milliers de dollars pour financer ces festins (vins de choix, décorations
florales, etc.). Ils parlent des palais construits pour les riches ;
beaucoup d'entre eux coûtent 50 000 $. et certains jusqu'à 1 500 000 $.
Ils parlent des « réunions de chiens » au cours desquelles on
nourrit les bêtes à grands frais avec des friandises servies par leurs
« nurses ». Ils parlent de 10 000 $ payés pour un service de
desserts, de 6 000 $ pour deux vases (à fleurs) artistiques, de 50 000 $
pour deux vases de couleur rose. Ces journaux parlent aussi d'un duc
anglais qui a payé 350 000 $ pour un cheval. Ils disent qu'une femme de
Boston a enseveli son mari dans un cercueil coûtant 50 000 $. Ils parlent
d'une autre « dame » qui a dépensé 5 000 $ pour enterrer son
caniche favori. Ils disent que des millionnaires de New York paient jusqu'à
800 000 $ pour un seul yacht.
Pouvons-nous nous étonner si beaucoup de gens sont envieux, et certains
irrités et aigris, lorsqu'ils mettent en contraste un tel gaspillage avec
la pénurie de leur propre famille, ou tout au moins l'économie forcée ?
Sachant que peu d'entre eux sont de « nouvelles-créatures » qui ont
placé leurs affections sur les choses d'en haut et non sur des choses
terrestres, et qui ont appris que « la piété avec le contentement
est un grand gain » pendant qu'ils attendent jusqu'à ce que le
Seigneur soutienne leur cause, nous ne pouvons être surpris si de telles
choses éveillent dans les cœurs des masses des sentiments d'envie, de
haine, de rancune, de querelle ; ces sentiments mûriront en révolte
ouverte qui opérera toutes les œuvres de la chair et du diable, durant le grand temps de détresse
imminent.
« Voici, c'est ici l'iniquité de ta sœur Sodome : orgueil,
abondance de pain et insouciant repos... mais elle n'a pas fortifié la
main de l'affligé et, du pauvre », etc. — Ezéch. 16 :
49, 50.
Le Christian Advocate
de la Californie, commentant l’un des bals mondains de la Cité de New
York, dit :
« Le luxe surabondant et la prodigalité éblouissante déployés
par les riches Grecs et Romains de jadis sont, semble-t-il, des choses du
passé. Ce faste insolent commence à faire son apparition dans ce qu'on
appelle la société élégante de ce pays. Un de nos agents de change
rapporte qu'une dame de New York dépensa, dans une seule saison, 125 000
$ pour ses réceptions. On peut juger du caractère et de la valeur des réceptions
si l'on sait que cette dame enseigna à la société comment... faire
prendre en glace un punch romain dans le cœur de tulipes cramoisies et
jaunes, et, comment manger de la tortue d'eau douce avec des cuillères
d'or dans des canots d'argent. D'autres amphitryons parèrent leurs tables
de roses de grand prix, pendant que l'un des « quatre cents » dépensa,
dit-on, 50 000 $ dans une
seule réception. Une dépense aussi insensée, dans un but aussi mesquin,
est un péché et une honte quelle que soit la grosse fortune que l'on
puisse posséder ».
Voici quels furent les commentaires du Messiah's Herald :
« Cent quarante-quatre autocrates de la société mondaine, à la tête
desquels se tenait un aristocrate, organisèrent un grand bal tel que
jamais la royauté même n'en a organisé. Il fut strictement privé. Le
vin coula aussi facilement que l'eau. La beauté prêta ses charmes. Ni
Marc Antoine, ni Cléopâtre ne montrèrent jamais pareille magnificence.
Ce fut une réunion de millionnaires. La richesse du monde avait été
soutirée pour des perles et des diamants. Des colliers de pierres précieuses
valant 200 000 $ et moins faisaient resplendir des vingtaines de cous. La
danse eut lieu au milieu des splendeurs d'Aladin. La joie fut sans limite.
Pendant ce temps, dit un journal, 100 000 mineurs affamés de Pennsylvanie
parcouraient les routes comme le bétail en quête de fourrage ;
certains d'entre eux se nourrissaient de chats, et plus d'un se suicida
pour éviter de voir ses enfants mourir de faim. Pourtant, un seul collier
du bal métropolitain aurait, sauvé tous ceux-ci de la faim. Ce fut l'un
des « grands événements mondains » d'une nation dite chrétienne,
mais quel contraste ! Et il n'y a aucun remède à cela. Ainsi en
sera-t-il « jusqu'à ce qu'il vienne ».
« Jusqu'à ce qu'il vienne ? » — Non, mais plutôt « Ainsi
en sera-t-il aux jours du Fils de l'Homme » alors qu'il est
venu, pendant qu'il rassemble ses élus, et qu'ainsi il instaure son
Royaume dont l'inauguration sera suivie par la « mise en pièces »
de l’organisation sociale actuelle, dans un grand temps de détresse et
d'anarchie, en préparation à l'établissement du Royaume de justice (Apoc.
2 : 26, 27 ; 19 : 15). Comme il arriva aux jours de
Lot, ainsi en sera-il aux jours du Fils de l'Homme. Comme il arriva
aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il au temps de la présence [parousia]
du Fils de l'Homme — Matt. 24 : 37 ; Luc 17 : 26, 28.
LES RICHES SONT-ILS CONDAMNÉS TROP SÉVÈREMENT ?
Nous citons ce qui suit d'un éditorial du journal Examiner de
San-Francisco :
« Le très grand yacht britannique à vapeur « Valiante », de M.
W. K. Vanderbilt a rejoint le yacht britannique à vapeur « Conqueror »
de M. F. W. Vanderbilt dans le Port de New York. La « Valiante »
coûte 800 000 $. Cela représente le bénéfice sur une récolte
d'environ 15 000 000 de bushels [le bushel américain équivaut à 35,2361
litres — Trad.] de blé à soixante cents [le « cent » =
1/100 de dollar — Trad.], ou la production entière de 8 000
fermes de 160 acres chacune [1 acre = 40,46 ares environ — Trad.]. En
d'autres termes, 8000 fermiers, représentant 40 000 hommes, femmes et
enfants, ont travaillé sous le soleil et l'orage pour permettre à M.
Vanderbilt de faire construire dans un chantier étranger de constructions
navales un bateau de plaisance tel que n'en possède aucun souverain
d'Europe. La construction de ce bâtiment a exigé le travail d'au moins 1
000 ouvriers pendant une année. L'argent qu'a coûté ce bateau, reparti
entre nos ouvriers, aurait eu une influence notable sur les conditions de
vie dans certains centres ouvriers ».
Dans l’Arena, J. R. Buchanan parlant de la cruelle prodigalité
des riches, déclara :
« Le caractère criminel de cette prodigalité n'est pas tant dans le
mobile de gens sans cœur que dans la destruction injustifiable (« wanton »
— Trad.) de bonheur et de vie accomplie dans un but égoïste. Lorsqu'on
examine de près une telle action, il apparaît très clairement que le
gaspillage de la richesse dans l'ostentation et le luxe est un crime. Il
n'y aurait aucun mal à bâtir une écurie de 700 000 $ pour ses chevaux,
tel un millionnaire de Syracuse, ou à poser un service de 50 000 $ sur la
table lors d'un dîner tel un Astor de New York, si l'argent était aussi
gratuit que l'air et l'eau, mais chaque dollar représente en moyenne le
salaire d'une journée. Par conséquent, l'écurie de 700 000 $ représente
le travail de 1 000 hommes pendant deux années et quatre mois. Elle représente
aussi 700 vies, car 1 000 dollars couvriraient les dépenses faites pour
élever un enfant pendant ses dix premières années et le montant des dépenses
de la seconde dizaine d'années serait entièrement remboursé par son
travail. L'écurie de fantaisie représente la base de l'alimentation de
700 vies, et cela démontre que le propriétaire l'estime davantage que
ces vies, ou accepte que 700 personnes doivent mourir pour que sa vanité
puisse être satisfaite ».
The Literary Digest dit, dans son éditorial :
« Il n'y a pas longtemps, un ecclésiastique de la New England adressa
une lettre à M. Samuel Gompers, président de la Fédération américaine
des Travailleurs lui demandant de déclarer pourquoi, selon lui, tant de
travailleurs intelligents ne vont pas à l'église. M. Gompers répondit
qu'une des raisons est, que les églises ne répondent plus aux besoins et
aux aspirations des travailleurs, et qu'elles ne sympathisent pas à leurs
misères et à leurs fardeaux. Ou bien les pasteurs ne savent pas, dit-il,
ou bien ils n'ont pas le courage de dire, du haut de leurs chaires, quels
sont les droits et les torts des millions de travailleurs. Les
organisations qui se sont trouvées plus efficientes dans l'obtention
d'une amélioration des conditions de vie ont été regardées de travers
par l'église. On a attiré l'attention des travailleurs sur « le doux
tout à l'heure » en négligeant totalement les conditions qui résultent
de « l'amer tout de suite ». L'église et le ministère ont été
les « apologistes et les défenseurs des torts commis contre les intérêts
du peuple, simplement parce que les auteurs de ces torts possèdent la richesse ». Interrogé sur les
moyens qu'il préconiserait pour réconcilier l'église et les masses, M.
Gompers recommande « un renversement complet de l'attitude actuelle ».
Il termine par ces mots : « Celui qui ne sympathise pas avec le mouvement
des travailleurs, celui qui complaisamment ou d'une manière indifférente
observe les terribles résultats des conditions sociales et économiques
actuelles, est non seulement l'adversaire des meilleurs intérêts de la
famille humaine, mais il est participes criminis à tous les torts
infligés aux hommes et aux femmes de notre temps, aux enfants
d'aujourd'hui, aux hommes et aux femmes de demain ».
Tandis que nous remarquons ainsi que l'opinion publique condamne les
riches comme classe, que le Seigneur également les condamne comme classe
et prédit un châtiment sur elle dans son ensemble, il n'est que
raisonnable de la part du peuple de Dieu d'être modéré dans son
jugement ou dans son opinion concernant les riches considérés
individuellement. Le Seigneur, dont le jugement pour cette classe est si sévère,
sera néanmoins miséricordieux envers elle individuellement. Lorsque,
dans sa sagesse, il aura détruit leurs idoles d'argent et d'or, abaissé
leurs regards hautains et humilié leur orgueil, alors il sera clément,
encouragera et guérira ceux qui abandonneront leur égoïsme et leur
orgueil. On remarquera également que nous n'avons cité que les
expressions raisonnables et modérées d'écrivains sensés et non les
diatribes extrêmes et souvent absurdes d'anarchistes et de visionnaires.
Pour aider à juger avec modération,
il est bon de nous souvenir : (1) que le terme « riche »
a un sens très large et comprend, non seulement les immensément riches,
mais dans beaucoup d'esprits, ceux qui, comparés à ceux-là, pourraient
être considérés comme pauvres ; (2) que parmi ceux que les très
pauvres appelleraient des riches, se trouvent beaucoup de personnes très
bienfaisantes dont un grand nombre prend une part extrêmement active à
des œuvres charitables et
philanthropiques ; et si tous ne vont pas jusqu’à se sacrifier pour le
bien d'autrui, il serait certainement de mauvaise grâce que ceux qui ne
le font pas eux-mêmes les condamnent. Ceux qui se donnent pour leurs
semblables savent comment apprécier l'esprit de quiconque manifeste un désir
de faire le bien, qu'il soit riche ou pauvre.
Il est bon de se souvenir que nombre de riches non seulement paient à
juste titre de lourds impôts pour entretenir des écoles publiques
gratuites, pour soutenir le gouvernement, pour soutenir des œuvres publiques de charité,
etc., mais qu’ils contribuent
également de bon cœur à soulager les pauvres et qu'ils sont sincèrement
charitables au profit des hospices, des collèges, des hôpitaux, etc., et
des églises qu'ils estiment les plus dignes. Ceux qui font ces choses
d'un cœur bon et honnête et non (comme nous devons admettre que c'est
parfois le cas) par ostentation et pour recevoir des louanges des hommes,
ne perdront pas leur récompense. Et ceux-là devraient recevoir notre
estime en toute justice.
Chacun peut et désire critiquer les millionnaires, mais dans certains cas
nous craignons que le jugement soit trop sévère. Aussi, insistons-nous
pour que nos lecteurs ne manquent pas trop de charité dans leur opinion
à leur égard. Souvenez-vous que les riches, aussi bien que les pauvres,
sont sous l'influence de l'organisation sociale actuelle. La coutume a fixé
des lois et des barrières autour de leur tête, et de leur cœur. De
fausses conceptions du christianisme, acceptées par le monde entier —
riches et pauvres — depuis des siècles, ont marqué profondément les
voies dans lesquelles leur esprit s'est exercé habituellement pour penser
et raisonner. Les riches pensent qu'ils doivent faire comme d'autres
hommes font : employer leur temps et leurs talents selon leur meilleure
capacité et selon les « principes qui régissent les affaires ».
En faisant cela, ils roulent sur l'argent parce que de nos jours,
l’argent et l'outillage sont les créateurs de la richesse, la main-d’œuvre
étant peu estimée.
Puis, raisonnent-ils sans doute, ayant la richesse, il est de leur devoir,
non pas de tout thésauriser, mais d'en dépenser une partie. Ils se
demandent peut-être s'il serait préférable de la dépenser en œuvres de charité ou de
la mettre en circulation par la voie du commerce, et des salaires des
travailleurs. Ils pensent avec raison que la seconde manière est la
meilleure. Il peut leur venir à l'esprit que les bals, les festins, les
mariages, les yachts. etc., sont des plaisirs pour eux-mêmes et pour
leurs amis et une assistance pour leurs voisins moins fortunés. Et
n'y a-t-il pas quelque vérité dans cette conception ? Le festin
de dix mille dollars, par exemple, met d'abord en circulation probablement
quinze mille dollars qui vont aux bouchers, aux boulangers, aux fleuristes,
aux tailleurs, aux couturières, aux joailliers, etc., etc. Le yacht de
huit cent mille dollars, tout en étant une grande prodigalité
personnelle, a provoqué la mise en circulation de cette somme parmi des
travailleurs quelque part ; plus encore, le service de ce yacht implique
pour chaque année, une dépense d'au moins vingt et peut-être cent mille
dollars pour payer les officiers, les mécaniciens, les marins, les
victuailles, etc., et d'autres dépenses courantes.
Dans les mauvaises conditions actuelles, par conséquent, il est
extrêmement heureux pour la classe moyenne et pour la classe la plus
pauvre, que les riches soient « sottement prodigues » plutôt
qu'avares ; en dépensant avec, prodigalité une partie du flot de
richesse qui coule dans leurs coffres, par exemple pour des diamants,
ceux-ci exigent « l'extraction », le polissage et le montage,
donnant ainsi du travail à des milliers de personnes qui ne pourraient
qu'aller rejoindre le nombre des sans travail si les riches n'avaient
aucune faiblesse ni prodigalité mais au contraire thésaurisaient tout ce
qu'ils réussissent à posséder. En raisonnant ainsi, il se peut que les
riches considèrent leurs actes de prodigalité comme des « actes de
charité ». Et s'ils le font, ils ne font que suivre la même manière
de raisonner faussement que prennent certaines personnes de la
classe moyenne lorsqu'elles organisent des « réunions amicales de
l'église », des fêtes de charité et des kermesses « pour la
cause de la douce charité ».
Nous ne justifions pas leur manière d’agir : nous cherchons
simplement à faire remarquer que les prodigalités des riches dans des
temps de détresse pécuniaire n'impliquent pas nécessairement qu'ils
soient dépourvus de sentiments à l'égard des pauvres. Et
lorsqu'ils pensent à faire la charité sur d'autres bases que sur des «
principes commerciaux », nul doute qu'ils réfléchissent que cela
exigerait une petite armée d'hommes et de femmes pour surveiller la
distribution de leur profit quotidien, et que malgré cela, ils ne
seraient pas encore sûrs que les plus nécessiteux seraient servis, car
l'égoïsme est si général qu'ils pourraient avoir confiance à bien peu
de personnes pour distribuer honnêtement de grandes quantités. Une dame
millionnaire déclarait un jour qu'elle ne regardait jamais aux glaces de
sa voiture quand elle traversait les quartiers les plus pauvres parce que
cela choquait sa vue. Nous nous demandons si ce n'était pas aussi parce
que sa conscience était prise de remords devant le contraste perçu entre
sa condition et celle des pauvres. Quant à faire eux-mêmes ces
distributions, les hommes sont trop occupés à prendre soin de leurs
investissements et les femmes sont trop distinguées pour de telles choses :
elles verraient des spectacles trop déplaisants, elles entendraient des
sons désagréables et sentiraient des odeurs désagréables. Il est
possible que lorsqu'elles étaient plus pauvres, elles convoitaient de
telles occasions favorables de faire le bien comme celles qu'elles possèdent
maintenant, mais l'égoïsme et l'orgueil, les engagements sociaux et la
moralité neutralisent les plus nobles sentiments et empêchent beaucoup de fruit. Comme l'a dit
quelqu'un : « C'est parce que notre Seigneur allait de lieu en
lieu faisant le bien qu'il put compatir aux infirmités de l'homme ».
En présentant ces suggestions pour la mesure de consolation qu’elles
peuvent offrir aux classes les plus pauvres, nous demandons qu'on ne nous
comprenne en aucun sens comme justifiant la prodigalité égoïste des
riches, ce qui est mal, et que le Seigneur condamne comme étant mal
(Jacques 5 : 5). Mais en considérant les divers côtés de ces questions
très discutées, on conserve l'équilibre de l'esprit, le jugement plus
sain et la sympathie plus aimante envers ceux que « le dieu de ce monde »
a aveuglés avec ses richesses jusqu'à pervertir leur jugement au point
de le rendre injuste, et qui sont sur le point de recevoir une réprimande
et un châtiment si rigoureux du Seigneur. Le « dieu de ce monde»
aveugle également les pauvres sur certaines questions afin de justifier
une mauvaise ligne de conduite. De cette manière, il dirige les deux
partis à la fois dans la grande « bataille ».
Il est possible de justifier les accroissements actuels de richesses dans
les mains de quelques-uns ; il est possible de discerner que certains
parmi les riches, et en particulier parmi les modérément riches, sont très
charitables ; il est sans doute vrai que leur richesse a été
acquise sous les mêmes lois, celles-là mêmes qui gouvernent tout le
monde, et que certains des pauvres sont moins généreux par nature, et
moins disposés à être justes que certains des riches, et que s’ils
devenaient riches, ils se montreraient souvent plus exigeants et plus
tyranniques que les riches ; néanmoins, le Seigneur déclare que les
possesseurs de richesses sont sur le point de venir en jugement pour cette
raison que lorsqu’ils ont discerné la tendance des affaires, ils
n’ont pas cherché à leurs dépens un plan plus équitable, plus généreux
que celui en usage aujourd’hui, par exemple dans la ligne du socialisme.
Pour montrer les façons de voir d'un nombre croissant de gens au sujet du
devoir de la société : soit de laisser libre accès à tous aux
occasions favorables et aux richesses de la nature (terre, air et eau),
soit si ces richesses sont monopolisées, de fournir la possibilité d'un
travail journalier à ceux qui ne participent pas aux monopoles, nous
citons ce qui suit d'une publication que nous recevons en échange de la nôtre
:
« IL est rare que soit raconté par écrit un incident de la vie réelle,
plus pathétique que celui que garantit une maîtresse de jardin d'enfants
demeurant à Brooklyn (N.Y.) :
« Une petite fille qui fréquente un jardin d'enfants du côté de l'est,
le district le plus déshérité de la cité de New York, vint récemment
à l'école un matin, légèrement vêtue, les traits tirés et ayant
froid. Après avoir été un moment dans le jardin d'enfants qui était
chauffé, l'enfant regarda bien en face sa maîtresse et lui dit sérieusement
:
« — Mademoiselle C.... aimez-vous Dieu ?
« — Mais oui, dit la maîtresse.
« — Eh bien, moi pas, répondit rapidement l'enfant avec résolution
et véhémence, je le hais.
« La maîtresse, trouvant étrange qu'une telle expression vienne
d'une enfant à qui elle avait essayé à grand-peine d'enseigner que c'était
bien d'aimer Dieu, lui demanda une explication.
« Eh bien, dit l'enfant, il fait souffler le vent, et je n'ai pas de
chauds vêtements ; il fait tomber de la neige, et mes souliers sont troués,
et il provoque le froid, et nous n'avons pas de feu à la maison, il nous
laisse avoir faim, et maman n'avait pas de pain pour notre déjeuner ».
Suivait le commentaire : « Si nous tenons compte des bontés matérielles
de Dieu accordées aux enfants de la terre, il est difficile, après avoir
lu cette histoire, de considérer avec patience la complaisance des riches
blasphémateurs qui, telle l'innocente fillette, accusent Dieu des misères
de la pauvreté ».
Cependant, on ne doit pas attendre beaucoup des mondains car l'égoïsme
est l'esprit du monde. Nous avons plus de raisons de nous tourner vers les
grands et les riches qui se déclarent chrétiens. Pourtant, ceux-ci ne déposent
ni leur vie, ni leur richesse sur l'autel de Dieu au service de l'évangile,
pas plus qu'ils ne les donnent au service du bien-être temporel de
l'humanité. Bien entendu, l'évangile d'abord ! Il devrait prendre
tout notre temps, nos talents, notre influence et nos ressources. Mais là
ou on ne le discerne pas et où il ne dirige pas le cœur à cause de
fausses conceptions venant de faux enseignements, le cœur consacré
trouvera énormément à faire à l'égard de « co-mortels » déchus,
dans l’œuvre de tempérance, de relèvement social, de réforme
municipale, etc. Et il est bien vrai que bon nombre de gens sont ainsi
engagés, mais généralement ils font partie de la classe pauvre ou de la
classe moyenne ; il y a peu de riches, peu de millionnaires. Si
quelques-uns des millionnaires du monde possédaient assez de l'esprit de
Christ, pour y engager leurs talents mentaux et financiers, leur temps
personnel et celui d'assistants capables qui seraient contents de coopérer
si la porte de l'occasion favorable leur était ouverte, quelle réforme
sociale verrait le monde en une seule année ! Combien de privilèges
publics accordés à des corporations et à des trusts seraient limités
ou réformés dans l'intérêt public ; des lois défectueuses seraient
amendées et en général les intérêts du public seraient pris en considération
et sauvegardés ; les membres de coteries financières et politiques
seraient rendus moins puissants contre les intérêts du public.
Cependant, espérer un tel usage de la richesse est déraisonnable ; en
effet, bien que beaucoup d'hommes riches confessent le christianisme, ils
ne connaissent rien, eux comme le reste du monde, du vrai christianisme :
la foi en Christ comme Rédempteur personnel, et une pleine consécration
de chaque talent à son service. Ils désirent être classés comme
« chrétiens », parce qu'ils ne souhaitent pas l'être comme
« païens » ou comme « juifs » et aussi parce que le
nom de Christ est populaire de nos jours, même si ses réels
enseignements ne sont pas plus populaires que lorsqu'il fut crucifié.
En vérité, la Parole de Dieu témoigne que peu de grands de riches ou de
sages ont été choisis par Dieu pour être les héritiers du Royaume,
mais surtout les pauvres et les méprisés au regard de la ligne de
conduite, de la sagesse et de l'estimation de ce monde. Comme il sera
difficile pour ceux qui ont des richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu !
Il est plus facile pour un chameau d’entrer par un trou d'aiguille que
pour un riche d'entrer dans le Royaume du ciel (*). [On dit que « le
trou de l’aiguille » était le nom d’une petite porte dans les
murailles des petites cités, qu’on employait après le coucher du
soleil, quand les plus grandes portes avaient été fermées, par crainte
des attaques ennemies. Ces petites portes étaient si étroites, d’après
les descriptions qu’on en a faites, qu’un chameau ne pouvait passer
que sur ses genoux et après l’avoir déchargé de son fardeau.
L’illustration semblerait impliquer qu’un riche devrait être déchargé
et s’agenouiller avant d’assurer son appel et son élection pour
obtenir une place dans le Royaume] — Matt. 19 : 23, 24.
Mais hélas ! « les pauvres riches » passeront par de terribles expériences.
Non seulement la richesse se prouvera un obstacle à l'honneur et à la
gloire futurs dans le Royaume de Dieu, mais même ici, ses avantages
seront éphémères. « A vous maintenant, riches ! Pleurez en
poussant des cris, à cause des misères qui vont venir sur vous... vous
avez amassé un trésor dans les derniers jours ». On entendra sous
peu les pleurs et les cris des riches ; la connaissance de ceci
devrait enlever toute envie et toute cupidité de tous les cœurs, et les
remplir ensuite de sympathie pour les « pauvres riches » ;
cette sympathie ne devrait pas néanmoins essayer ou désirer faire
changer le jugement du Seigneur ; elle devrait reconnaître sa
sagesse et sa bonté, reconnaître que les pleurs et les cris auront
corrigé le cœur et ouvert les yeux à la justice et à l'amour, de la
part de tous, riches comme pauvres, mais d'une manière plus rigoureuse
sur les riches parce que leur changement de condition sera d'autant plus
grand et plus violent.
Mais pourquoi les conditions ne peuvent-elles pas être changées d'une
manière graduelle afin d'apporter l'égalisation de la richesse et du
confort ? Parce que le monde n'est pas gouverné par la loi royale d'amour
mais par la loi de la dépravation, l'égoïsme.
L’ÉGOÏSME ASSOCIÉ
A LA LIBERTÉ
Les doctrines chrétiennes favorisent la liberté, et la liberté
conduit à la connaissance et à l'instruction qu'elle cherche à saisir.
Cependant, la liberté et la connaissance mettent en danger le bonheur des
humains si ces derniers n'obéissent pas à la lettre et à l'esprit de la
loi royale d'amour. C'est pourquoi la « chrétienté », ayant
accepté la liberté chrétienne et obtenu la connaissance sans avoir
adopté la loi de Christ mais en ayant greffé cette connaissance et cette
liberté sur la disposition déchue, égoïste, a simplement appris à
mieux pratiquer son égoïsme. Comme résultat, la chrétienté est la
portion de la terre la plus mécontente, et d'autres nations partagent le
mécontentement et ses maux dans la mesure où elles adoptent la
connaissance et la liberté du christianisme sans adopter l'esprit de
Christ, l'esprit d'amour.
La Bible, l'Ancien comme le Nouveau Testament, a encouragé l'esprit de liberté,
non directement, mais indirectement. La Loi, en effet, stipulait que les
serviteurs soient soumis à leurs maîtres, mais elle limitait également
ces derniers dans l'intérêt des serviteurs, en les assurant que
l'injustice serait certainement rétribuée par le grand Maître de tous,
l'Éternel. L'Évangile, le Nouveau Testament, inculque les mêmes
principes (voir Col. 3 : 22-25 ; 4 :1). Cependant, la Bible
donne à tous l'assurance que si les hommes peuvent différer dans leurs
facultés mentales, morales et physiques, Dieu a pourvu à un rétablissement
complet ; que, par la foi en Christ, riches et pauvres, esclaves et
hommes libres, hommes, et femmes, lettrés et illettrés, tous pourront
retourner à la faveur divine dans une même mesure : « acceptés
dans le Bien-Aimé ».
Il n'est donc point surprenant que les Juifs d'antan étaient un peuple épris
de liberté et qu'ils portaient le nom de race rebelle ; ne voulant point,
rester soumis à leurs conquérants, ceux-ci en vinrent à la conclusion
qu'il n'y avait pas d'autre moyen pour les subjuguer que de les détruire
entièrement en tant que nation. Il n'est pas surprenant non plus que d'éminents
hommes d'État (même non chrétiens) aient admis que « la Bible est la
pierre angulaire de nos libertés », et que l'expérience prouve que
là où la Bible n'est plus, la liberté a disparu, et, avec elle
l'instruction et en général tous sentiments élevés. Ainsi en fut-il
pendant les deux premiers siècles de l'ère chrétienne : puis l'erreur (l'intrigue
des prêtres et la superstition) domina, la Bible fut mise de côté ou
supprimée, et au lieu de plus de progrès, la politique de la papauté
amena les « siècles de ténèbres ». Avec le retour de la Bible comme
instructeur public, dans les Réformations anglaise et allemande, la
liberté, la connaissance et le progrès refirent leur apparition parmi le
peuple. C'est un fait incontestable que les pays qui ont la Bible
jouissent de plus de liberté, de plus de connaissances, et que dans les
pays où la Bible circule le plus librement, les peuples sont les plus
libres, les plus éclairés, généralement les plus instruits, faisant
les plus rapides progrès dans tous les domaines.
Mais notons maintenant ce que nous avons observé plus haut, savoir que
les influences de la Bible, en fait de lumière et de liberté, ont été
acceptées par la chrétienté, tandis que sa loi d'amour (la loi
parfaite de la liberté — Jacq. 1 : 25) a été généralement
ignorée. Les gens réfléchis prennent seulement conscience du fait que
la connaissance et la liberté constituent ensemble une puissante force
qui peut être exercée, soit pour le bien, soit pour le mal ; que si ce
levier prend pour point d'appui l'amour alors les résultats seront
puissants dans le sens du bien, mais que s’il prend comme point d'appui
l'égoïsme, les résultats seront puissamment mauvais, et d'une portée
considérable. Telle est la condition devant laquelle se trouve
aujourd'hui la chrétienté, et qui est en train de préparer rapidement
les éléments sociaux pour le « feu » du « jour de la vengeance »
et de la rétribution.
En chimie, on découvre fréquemment que certains éléments utiles et
bienfaisants deviennent soudain un poison violent si l'on change les
proportions de leur combinaison. Ainsi en est-il pour les bénédictions
de la connaissance et de la liberté associées à l'égoïsme. Dans
certaines proportions, cette combinaison a rendu de précieux services à
l'humanité, mais l'accroissement considérable récent de la connaissance,
au lieu de l'élever au pouvoir a placé l'égoïsme sur le trône. C'est
l'égoïsme qui domine, et la connaissance et la liberté sont ses
serviteurs. C'est cette combinaison qui gouverne maintenant le monde, et même
ses éléments de valeur sont rendus ennemis de la droiture et de la paix
parce qu'ils sont dominés par l'égoïsme. Dans ces conditions, la
connaissance, servante de l'égoïsme, sert très activement les intérêts
égoïstes, et la liberté dominée par l'égoïsme, menace de dégénérer
en licence sans égard aux droits et aux libertés des autres. Dans les
conditions actuelles, par conséquent, l'égoïsme (à la direction), la
connaissance et la liberté constituent un triumvirat de puissance du mal
qui, par l'intermédiaire de ses agents et représentants, la classe riche
et influente gouverne maintenant la chrétienté et l'écrase. Ce ne sera
pas moins le même triumvirat du mal quand, bientôt, ses serviteurs et
représentants seront les masses humaines.
Dans les pays civilisés, tous, riches et pauvres, lettrés et illettrés,
sages et insensés, hommes et femmes, sont (à de rares exceptions près)
poussés dans presque tous les actes de la vie par cette puissante
combinaison. Elle engendre chez tous ses sujets une frénésie pour
obtenir une place, un pouvoir et un avantage par exaltation personnelle.
Les quelques saints qui ne veulent que le bien présent et futur des
autres, sont une si petite minorité qu'on ne peut guère les prendre en
considération au temps actuel. Ils seront impuissants à opérer le bien
auquel ils aspirent, jusqu'à ce que, glorifiés avec leur Seigneur et Maître,
ils soient avec Lui autorisés et nantis des pouvoirs de bénir le monde
comme Royaume de Dieu. Pendant qu'ils sont dans la chair [écrit en 1897
— Trad.], ils ont encore besoin de veiller et de prier afin que même
leur connaissance et leur liberté plus élevées ne deviennent des maux
en tombant sous la domination de l'égoïsme.
L INDÉPENDANCE
ENVISAGÉE PAR LES RICHES ET PAR LES PAUVRES
Les masses populaires n'ont que récemment quitté l'esclavage et la
servitude pour la liberté et l'indépendance. C'est la connaissance qui
brisa par la force les chaînes de l'esclavage individuel et politique :
l'égalité politique ne fut pas accordée volontairement, mais arrachée
par la contrainte, bribe par bribe. A présent, le monde des égaux
politiques est divisé par l'orgueil et l'égoïsme ; une nouvelle
bataille a commencé de la part des riches et des gens aisés pour
conserver et augmenter leur fortune et leur puissance, et de la part des
classes plus pauvres, pour avoir le droit au travail et pour jouir d'un
bien-être modéré de la vie (voir Amos 8 : 4-8). Voici comment nombre de
gens fortunés sont disposés à penser et à raisonner à l'égard des
classes plus pauvres : eh bien ! à la fin, les masses ont obtenu le droit
de vote et l'indépendance. Que grand bien leur fasse ! Ils
trouveront, pourtant, que, dans toutes les affaires de la vie, les
cerveaux sont un facteur important ; or, c'est l'aristocratie
(la classe « supérieure » — Trad.) qui possède
surtout ces cerveaux. Notre seul souci est que les masses usent de leur
liberté avec modération et légalement ainsi sommes-nous dégagés de
beaucoup de responsabilité. Autrefois, lorsque les masses étaient des
serfs, chaque seigneur, chaque noble, et chaque duc se sentaient quelque
peu responsables de ceux qui dépendaient d'eux mais maintenant, nous
sommes libres de nous occuper uniquement de nos propres plaisirs et
fortunes. Leur indépendance est à notre grand avantage ; chaque « gentleman »
a gagné au changement, et espère qu'il en est de même pour le peuple
qui, bien entendu, fera du mieux qu'il pourra pour son propre bien-être,
pendant que nous en faisons autant pour le nôtre. En se faisant des égaux
politiques et des indépendants, ils ont changé nos rapports : ils sont
à présent nos égaux devant la loi, et par conséquent nos concurrents
au lieu d'être nos protégés. Bientôt cependant, ils apprendront que l'égalité
politique ne rend pas les hommes égaux physiquement ou intellectuellement
; le résultat final de cette situation sera la formation d'une
aristocratie de cerveaux et de fortunes au lieu de l'aristocratie héréditaire
d'autrefois.
Certains de la prétendue « couche inférieure » de la société
répondent étourdiment : nous acceptons la situation ; nous sommes
indépendants et largement capables de prendre soin de nous-même. Prenez
garde que nous ne vous surpassions. La vie est une guerre pour la richesse
et nous avons le nombre pour nous ; nous organiserons des grèves et des
boycottages, et nous réussirons.
Si les prémisses sont acceptées, savoir que tous les hommes sont
indépendants les uns des autres, et que chacun devrait égoïstement
faire de son mieux pour son propre intérêt, sans se soucier des intérêts
et du bien-être des autres, alors on ne pourrait trouver à redire aux
conceptions de la lutte pour la richesse suggérées plus haut. C'est
d'ailleurs certainement sur ce principe d'égoïsme et d'indépendance que
toutes les classes semblent agir, de plus en plus. Les
capitalistes veillent à leurs propres intérêts, et d'ordinaire (bien
qu'il y ait de nobles exceptions) ils paient le travail aussi peu que
possible. De leur côté, les techniciens et les ouvriers également (avec
de nobles exceptions) veillent simplement à leurs propres intérêts,
afin de faire payer, leurs services le plus cher possible. Dès lors,
comment l'une ou l'autre des classes peut-elle trouver à redire à
l'autre, alors que toutes deux admettent les mêmes principes d'indépendance,
d'égoïsme et de force ?
Cette conception a été si bien adoptée par le public que la vieille
coutume qu'avaient les personnes plus instruites, plus douées et plus
favorisées à d'autres égards, de visiter les pauvres et de les assister
d'un conseil ou de biens temporels, a disparu totalement ; à présent,
chacun veille à ses propres affaires et laisse les autres, indépendants,
prendre soin d'eux-mêmes, ou souvent aux généreuses mesures publiques
de prévoyance : asiles, hôpitaux, « maisons » (ou foyers — Trad),
etc. Cela peut être favorable à certaines personnes et à certains égards,
mais peut être aussi de nature à créer des difficultés à d'autres et
à d'autres égards, à cause de l'inexpérience, de l'imprévoyance, du
gaspillage, de l'indolence, de la faiblesse mentale et de l'infortune.
Le fait est que ni les riches ni les pauvres ne peuvent se
permettre d'être égoïstement indépendants les uns des autres,
pas plus qu'ils ne devraient sentir ou agir comme s'ils l'étaient. Le
genre humain est une seule famille : Dieu « a fait d'un seul sang
toutes les races (*) [grec etnos : Ref. Strong n° 1484 (autres
acceptations : nations, peuples, etc.)] des hommes » (Actes 17
: 26-D). Chaque membre de la famille humaine est un frère humain
de chaque autre être humain. Tous sont les enfants du même père, Adam,
un fils de Dieu (Luc 3 : 38), à qui Dieu avait confié la charge de
prendre soin de la terre et de ses richesses. Tous sont donc bénéficiaires
de cette clause divine, car « la terre appartient toujours à l'Éternel,
et tout ce qu'elle contient ». La chute dans le péché, et son châtiment
la mort qui s'est exercée par un déclin graduel physique, mental et
moral, ont laissé tous les hommes plus ou moins affaiblis ; aussi chacun
a besoin de l'aide et de la sympathie qu'il devrait recevoir des autres en
proportion du degré de son affaiblissement et de sa dépendance
qui en résulte sur les plans mental, moral et physique.
Si l'amour était le mobile directeur dans le cœur de tous les hommes,
chacun se réjouirait de faire sa part pour le bien-être commun, et tous
seraient sur un plan d'égalité quant aux besoins communs et à, un
certain bien-être matériel. Cela impliquerait un degré de Socialisme.
Cependant, l'amour n'est pas le mobile qui gouverne les hommes, et c'est
pourquoi un tel plan ne peut être appliqué maintenant. L'égoïsme est
le principe qui dirige, non seulement la majeure partie de la chrétienté,
mais à peu près toute la chrétienté ; il porte ses propres fruits
amers qui mûrissent à présent rapidement pour la grande vendange
d'Apocalypse 14 : 19, 20.
Pour faire changer maintenant la course du monde en le détournant du
canal de l'égoïsme pour lui faire prendre celui de l'amour, il ne faut
rien de moins que (1) soit, une conversion en masse du monde, (2) soit
l'intervention d'une puissance surhumaine. Même ses plus chauds partisans
n'imaginent pas une telle conversion, car si la chrétienté nominale a réussi
à convertir extérieurement un nombre comparativement petit des milliards
de la terre, on peut, par contre, compter seulement un petit nombre de réelles
conversions, celles de l'esprit égoïste du monde en celui de Christ,
aimant, généreux. C'est pourquoi on peut tout aussi bien abandonner
toute espérance de ce côté. Il reste la seule espérance dans
l'intervention d'une puissance surhumaine, et c'est précisément un tel
changement que Dieu a promis dans le Royaume millénaire de Christ et par
lui. Dieu a prévu qu'il faudrait un millier d'années pour bannir l'égoïsme
et pour rétablir l'amour comme mobile directeur même des bien disposés,
d'ou justement la fixation de ces « temps de rétablissement » (Actes 3
: 21). En attendant, cependant, le petit nombre de personnes qui apprécient
réellement et soupirent après la règle d'amour, peuvent en général
discerner l'impossibilité de l'obtenir par des moyens terrestres ; les
riches, en effet, n'abandonneront pas volontairement leurs avantages, et
les masses ne voudraient pas produire suffisamment pour elles-mêmes si
elles n'étaient pas stimulées par la nécessité ou par la convoitise,
tant est inhérent chez certains le manque égoïste d'efforts, et chez
d'autres le luxe égoïste, ruineux et l'imprévoyance.
POURQUOI CERTAINES
CONDITIONS FAVORABLES RÉCENTES
NE
PEUVENT PERSISTER
On pourrait suggérer que les riches et les pauvres ont vécu ensemble
depuis six mille ans, et qu'il n'y a pas plus de danger de calamité
maintenant que dans le passé ; qu'il n'y a plus de danger que les riches
écrasent les pauvres et les laissent mourir de faim ni que les pauvres détruisent
les riches pendant l'anarchie. Mais c'est là une erreur, car il y a, des
deux côtés, un danger plus grand que jamais auparavant.
Les conditions ont bien changé pour les masses populaires depuis l'époque
du servage ; non seulement les conditions matérielles, mais aussi les
conditions mentales. A présent, après avoir goûté à la civilisation
et à l'instruction, il faudrait des siècles d'oppression graduelle pour
assujettir de nouveau les hommes à l'ordre ancien des choses où ils étaient
les vassaux des seigneurs terriens. Cela ne pourrait se faire dans un siècle
seul : ils aimeraient autant mourir ! Le soupçon même d'une tendance
vers un tel avenir pour leurs enfants amènerait une révolution, et c'est
cette crainte qui pousse les pauvres à protester plus énergiquement
que jamais auparavant.
Mais pourra-t-on demander : pourquoi devrions-nous envisager pareille
tendance ? Pourquoi ne pas supposer une continuation, et même un
accroissement de la prospérité générale du siècle écoulé et
particulièrement des cinquante années passées ?
Nous ne pouvons supposer cela, parce que l'observation et la réflexion
montrent que de telles espérances seraient déraisonnables, véritablement
impossibles, pour plusieurs raisons. La prospérité du siècle actuel a
été — sous la surveillance divine, Daniel 12 : 4 — le résultat
direct de l'éveil mental du monde, l'imprimerie, la vapeur, l'électricité
et la mécanique appliquée en étant les agents. L'éveil causa un
accroissement de demandes des choses nécessaires et des choses de luxe de
la part de masses croissantes. Se produisant d'une manière soudaine,
l’augmentation de la demande excéda la production, d'où hausse des
salaires en général. Comme l'offre devint égale et même surpassa la
demande des marchés intérieurs, d'autres nations, longtemps endormies,
s'éveillèrent aussi et demandèrent à acheter. Pour un temps, toutes
les classes en bénéficièrent et toutes les nations civilisées
devinrent soudain beaucoup plus riches aussi bien que beaucoup plus à
l'aise que jamais auparavant. La fabrication des machines exigea des
mouleurs, des constructeurs de machines et des charpentiers ; à leur tour
ceux-ci exigèrent l'assistance de bûcherons et de briquetiers, de
constructeurs de fours et de chauffeurs ; puis, lorsque les machines
furent prêtes, beaucoup d'entre elles exigèrent du charbon, d'où
demande accrue de houilleurs, de mécaniciens, de chauffeurs, etc. Dans le
monde entier, on réclama des bateaux à vapeur et des chemins de fer ;
des milliers d'hommes furent employés rapidement à les construire, à
les équiper et à les faire fonctionner. Ainsi fit-on soudain appel à
l'armée des travailleurs, et les salaires augmentèrent en proportion des
qualifications exigées. D'autres encore en bénéficièrent indirectement
aussi bien que ceux qui étaient employés directement, car les hommes étant
mieux payés, mangèrent mieux, se vêtirent mieux et habitèrent de
meilleures maisons, plus confortablement meublées. Non seulement le
fermier fut, obligé de payer davantage ceux qu'il employait, mais lui-même
reçut proportionnellement davantage pour ce qu'il vendait. Ainsi en
fut-il dans toutes les branches de l'industrie. De même les tanneurs, les
cordonniers, les bonnetiers, les horlogers, les bijoutiers, etc., en bénéficièrent
également parce que plus les masses ouvrières étaient mieux payées, et
plus elles pouvaient dépenser tant pour les choses nécessaires que pour
les objets de luxe. Ceux qui autrefois, allaient pieds-nus, achetèrent
des chaussures ; ceux qui, autrefois allaient sans bas, commencèrent à
trouver que des bas étaient nécessaires, et c'est ainsi que toutes les
branches du commerce prospérèrent. Comme toutes ces demandes affluèrent
subitement, une prospérité générale et rapide était inévitable.
La demande a stimulé l'invention, laquelle n'a cessé de dresser plan après
plan en vue d’économiser de la main-d’œuvre dans l'usine, au foyer,
dans la ferme, partout, si bien que maintenant, il est difficile pour
quelqu'un de gagner sa vie sans l'aide de machines modernes. Toutes ces
conditions combinées au commerce avec des nations extérieures qui se
sont éveillées d'une manière analogue, mais plus tard, ont continué à
maintenir une situation prospère pour les classes laborieuses,
tout en enrichissant d'une façon fabuleuse, les commerçants et les
industriels de la chrétienté.
Maintenant pourtant, nous sommes près des derniers jours de prospérité.
Déjà, dans de nombreuses branches, l’offre du monde dépasse la
demande, ou plutôt dépasse
la capacité pécuniaire de satisfaire ses désirs. La Chine, l'Inde et le
Japon, après avoir été d'excellents clients pour les fabriques
d'Europe et des États-Unis, utilisent maintenant, d'une manière générale,
leur propre main-d’œuvre (à six ou douze « cents », (*) [1
« cent » = 1/100 dollar — Trad.] par jour) pour copier ce
qu'ils ont déjà acheté ; en conséquence, à partir de maintenant ils
achèteront proportionnellement de moins en moins. Les pays d'Amérique du
Sud se sont lancés dans les affaires plus vite que ne leur autorisait
leur intelligence, et quelques-uns d'entre eux ont déjà fait banqueroute
; maintenant, ils doivent économiser, jusqu'à ce qu'ils soient dans une
meilleure condition financière.
Il est donc, évident qu'une crise s'approche, crise qui aurait atteint
son point culminant plus tôt que celle d'Europe, n'eût été la prospérité
sans précédent de la Grande République, sous la protection d'un tarif
douanier ; cette prospérité a attiré ici l'investissement de
millions du capital européen, en même temps que des millions
d'immigrants européens venus pour participer aux bienfaits de cette prospérité
; incidemment, elle a produit aussi de gigantesques sociétés et trusts
qui maintenant, menacent le bien-être public.
La prospérité générale et des salaires élevés vinrent également en
Europe. Non seulement la classe des travailleurs en Europe a été soulagée,
mais des guerres ont également diminué la pression de la concurrence sur
le marché du travail en tuant un million d'hommes dans leur prime
jeunesse, et par une destruction de biens et une interruption générale
du travail. Depuis vingt-cinq ans, le maintien toujours croissant des armées
soulage l'Europe d'autres millions d'hommes pour le service militaire,
lesquels, autrement seraient des concurrents ; en outre, remarquez le
nombre considérable de ceux qui sont employés à préparer des armements
militaires, des canons, des navires de guerre, etc.
Si, malgré toutes ces conditions si favorables à la prospérité et à
la demande de main-d’œuvre à salaires élevés, nous trouvons à présent
que le point culminant a été atteint, et que les salaires ont plutôt
une tendance à baisser, nous sommes justifiés à affirmer, d'un point de
vue humain, aussi bien que du point de vue de la révélation de Dieu,
qu'une crise s'approche — la crise de histoire de ce monde.
Il convient de noter également que, tandis que les salaires ont, dans les
récentes années accusé une élévation sans précédent, le coût de la
vie a augmenté davantage encore, exerçant ainsi une influence
compensatrice. Quel sera le résultat ? et combien de temps l'attendrons
nous ?
L'écroulement aura lieu rapidement et violemment. Tout comme le marin qui
a atteint péniblement le sommet du mât peut tomber soudainement, tout
comme une grosse pièce de machine soulevée lentement par des engrenages
et des poulies retombera, si la prise est lâchée, en écrasant et en démolissant,
bien plus que si on ne l'avait jamais soulevée, ainsi l'humanité, élevée
à un niveau jamais atteint, par les engrenages et les leviers de
l'invention et du progrès, et aussi par la poulie et le treuil de
l'instruction et de la connaissance générales, a atteint un point où (à
cause de l'égoïsme) ces moyens ne peuvent l’élever davantage, un
point où quelque chose est en train de céder. Elle s'accrochera et
s'affermira pour un temps (quelques années) sur un plan inférieur, avant
que les engrenages et les leviers qui ne peuvent aller plus loin ne
cassent sous la tension, et l'écroulement final en résultera.
Quand, pour la première fois, on introduisit les machines, on craignit
les résultats de la concurrence avec le travail et les capacités de
l'homme, mais les facteurs contraires auxquels on a déjà fait allusion (l'éveil
général, dans la chrétienté et en dehors, la fabrication des machines,
les guerres, les armées, etc.) ont jusqu'à présent plus que compensé
la tendance naturelle, au point que beaucoup de gens ont conclu que cette
affaire s'accomplit contrairement à la raison, et que les machines qui économisent
la main-d’œuvre, ne sont pas en lutte avec le travail humain. Mais il
n'en est rien le monde est toujours soumis à la loi de l'offre et de la
demande ; la loi agit d'une manière sûre, que n'importe quel esprit
raisonnable peut comprendre. La demande de main-d’œuvre et de capacité
humaine ne fut augmentée que temporairement afin de préparer la
production encore plus abondante de machines destinées à remplacer la
main-d’œuvre ; ensuite, le point culminant étant atteint, la réaction
ne peut être autrement que soudaine, écrasant ceux sur lesquels tombe le
fardeau déplacé.
Supposez que la civilisation ait augmenté les demandes du monde cinq
fois ce qu'elles étaient il y a cinquante ans (et il est certain que
cette estimation doit être considérée comme très libérale), qu'en
est-il de la production ? Tous seront d'accord que l'invention et le
machinisme ont augmenté la production plus de DIX fois ce qu'elle
était il y a cinquante ans. Même un homme au mental aveugle peut
discerner qu'aussitôt atteint le nombre suffisant de machines construites
pour satisfaire les demandes, désormais il y aura une course, une
compétition entre l'homme et la machine, parce qu'il n'y aura pas assez
de travail pour tous, même si d'autres hommes ou d'autres machines
venaient s'ajouter. Cependant, il y a toujours plus de compétition ; la
population du monde s'accroît rapidement, et la machine dirigée avec
toujours plus de capacité, crée chaque jour davantage et de meilleures
machines. Qui ne peut voir que, dans l’actuelle organisation égoïste,
aussitôt que la production excédera la demande (aussitôt
que nous aurons de la surproduction) la course entre les hommes et la
machine doit être brève et très désavantageuse aux hommes. Les
machines en général sont des esclaves en fer, en acier et en bois, animés
par la vapeur, l'électricité. etc. Elles peuvent faire, non seulement
plus de travail, mais un travail meilleur que ne peuvent en faire les
hommes. Ces esclaves n'ont aucune intelligence à cultiver, aucune
disposition perverse à dominer ; ils ont pas à penser à des femmes
et à des familles ni à pourvoir à leurs besoins ; ils n'ont pas
d'ambition ; ils ne forment pas d'associations, n'envoient pas de délégués
pour s'ingérer dans l'administration de l'affaire pas plus qu'ils ne font
grève ; ils sont prêts à faire des heures supplémentaires sans se
plaindre sérieusement ou sans demander des primes. Comme esclaves, les
machines sont, donc bien plus désirables que des esclaves noirs ou blancs,
et en conséquence, on se passe autant que possible de la main-d’œuvre
et de ses capacités ; c'est pourquoi les propriétaires de ces
machines-esclaves sont bien aise que, sous les lois actuelles et les
usages, leurs prochains soient libres et indépendants, car eux-mêmes
sont ainsi déchargés, de la responsabilité et de la protection à leur
égard que leur asservissement aurait rendu nécessaires.
Les ouvriers du monde ne sont pas aveugles. Ils voient, confusément
au moins, où doit conduire le présent ordre de choses de l'égoïsme ;
ils doivent d'ailleurs admettre qu’eux-mêmes ont contribué à son développement,
et que c’est dans ce même ordre de choses qu'eux-mêmes, aussi bien que
tous les autres, ils continuent à agir. Ils ne discernent pas encore
clairement la servitude inévitable et abjecte à laquelle, si on ne la détourne
pas, cet ordre de choses les conduira sûrement et rapidement. Ils
comprennent bien pourtant que la concurrence parmi eux pour être les
serviteurs des machines-esclaves (comme machinistes, mécaniciens,
chauffeurs, etc.) devient chaque année de plus en plus âpre.
LA
MACHINE EST UN FACTEUR DANS LA PRÉPARATION DU « FEU »
CES
DERNIÈRES ANNÉES NE SONT QU'UN AVANT-GOÛT
DE
CE QUI D0IT ARRIVER
Nous citons certaines personnes qui se sont éveillées et qui se rendent
compte des possibilités de l'avenir. Un écrivain inconnu déclare :
« La splendeur des anciennes démocraties des villes grecques,
brillant comme des points de lumière sur le sombre arrière-plan de la
barbarie environnante, a été une source de disputes parmi les avocats
modernes des différentes formes de gouvernement. Les adversaires du
gouvernement par le peuple ont maintenu l'affirmation que les villes
anciennes n'étaient pas du tout de vraies démocraties, mais des
aristocraties, puisqu'elles reposaient sur le travail des esclaves, ce qui
donnait aux seuls citoyens libres le loisir de s'adonner à la politique.
Selon ces penseurs, il doit y avoir une classe inférieure pour faire les
corvées de la communauté, et une politique qui accorde aux ouvriers
ordinaires une part au gouvernement est une politique qui ne peut durer.
« Ce raisonnement spécieux reçut une réplique ingénieuse de M.
Charles H. Loring dans son discours présidentiel qu'il fit devant la Société
américaine des Ingénieurs techniciens, en 1892. Il admit que la
civilisation moderne avait tous les avantages de l'antique esclavage sans
sa cruauté. « La honte de la civilisation ancienne », dit-il « était
qu'elle manquait absolument d'humanité. La justice, la bienveillance et
la miséricorde n'avaient que peu de puissance ; la force, la
tromperie et la cruauté les supplantaient. On ne pouvait d'ailleurs
attendre rien de meilleur d'une organisation basée sur le pire système
d'esclavage qui ait jamais choqué la sensibilité de l'homme. Aussi
longtemps que l'esclavage humain fut à l'origine de la civilisation et
son soutien, celle-ci devait être brutale, car un cours d'eau ne peut pas
s'élever plus haut que sa source. Une telle civilisation, après une élévation
rapide devait décliner, et l'histoire, bien que d'une manière imprécise,
montre sa chute dans une barbarie aussi sombre que celle dont elle était
issue ».
« La civilisation moderne a également à sa base un travailleur esclave,
mais qui diffère largement de son antique prédécesseur. Il n'a pas de
nerfs et ne connaît pas la fatigue. Il n'y a aucune pause dans son
travail, et il accomplit, dans un faible espace, davantage que le labeur
de nations d'esclaves humains. Non seulement il est considérablement plus
fort, mais aussi meilleur marché qu'eux. Il peut travailler sans arrêt,
et s'occupe de toutes choses ; on peut aussi bien s'en servir pour la
chose la plus délicate que pour la chose la plus grossière. Il produit
toutes choses en abondance telle, que l'homme, déchargé de la plus
grande partie de sa besogne servile, se rend compte pour la première fois
de son titre de Seigneur de la Création. Les produits de tous les grands
arts de notre civilisation, l'emploi de moyens de transport bon marché et
rapide sur terre et sur l'eau, la presse, les instruments de paix et de
guerre, l'acquisition du savoir de tous genres sont à la portée de tous
grâce au travail de l'esclave obéissant, que nous appelons la machine à
vapeur ».
« Il est exactement vrai que la machine moderne est un esclave à la
puissance productive des centaines de fois supérieure à celle des
esclaves humains de l'antiquité, et par conséquent que nous avons à présent
le fondement matériel pour une civilisation dans laquelle la population
entière constituerait une classe de loisir, correspondant aux citoyens
libres d'Athènes ; en vérité, cette classe ne serait pas libre de
dissiper son temps dans l'indolence, mais elle serait déchargée des corvées
les plus pénibles et serait capable de pourvoir elle-même à ses besoins
de bien-être sans recourir désormais à plus de travail manuel qui ne
soit compatible avec une bonne santé, une culture mentale et un
divertissement raisonnable. Dans la seule Grande-Bretagne, on estime que
la vapeur fait le travail de 156 millions d'hommes, nombre qui est au
moins cinq fois celui des hommes qu'il y avait dans le monde entier
civilisé de l'antiquité, en comptant ensemble les esclaves et les hommes
libres. Aux États-Unis, la vapeur fait le travail de 230 millions
d'hommes, représentant presque toute la population actuelle du globe, et
nous sommes en train d'équiper des chutes d'eau avec des moteurs électriques
à une allure qui semble vraisemblablement devoir estomper même cette
masse numérique d'hommes.
« Malheureusement, si nous avons un fondement matériel pour une
civilisation de bien-être, de loisir et d'intelligence universellement répandue,
nous n'avons pas encore appris comment en tirer profit. Nous faisons des
progrès, mais nous avons encore des citoyens qui s'estiment heureux s'ils
peuvent trouver l'occasion de passer tout leur temps à faire un travail
épuisant ; ce sont des citoyens qui, selon notre conception
politique, sont les égaux de n'importe quels autres hommes pour décider
de la politique du gouvernement, mais qui n'ont aucune occasion d’acquérir
des idées sur aucun autre sujet, que celui de la perspective des
prochains repas.
« La science physique nous a donné les moyens d'édifier la plus
grande, la plus splendide, la plus heureuse et la plus durable
civilisation dont l'histoire ait jamais eu connaissance. Il reste à la
science sociale le soin de nous enseigner comment employer ces matériaux.
Chaque expérience faite dans cette direction, qu'elle soit un succès ou
un échec, est précieuse. En chimie, chaque découverte nécessite un
millier d'expériences infructueuses. Si Kaveah et Altruria ont échoué,
nous sommes néanmoins reconnaissants à leurs inventeurs de nous aider
par leur échec à en prendre note et à éviter de commettre des erreurs
analogues dans la marche du progrès humain ».
Un journal de la branche commerciale du charbon, The Black Diamond,
dit :
« Nous n'avons qu'à jeter un regard sur la rapidité de transport et de
communication que la houille a développée pour apprécier le fait
qu'elle nous a vraiment assuré une position sans l'aide de laquelle il
est difficile de saisir comment le commerce moderne pourrait être dirigé
maintenant. Un seul point à propos de l'extraction mécanique de
la houille, et qui est un sujet d'une sérieuse importance, est que l'on
peut compter sur la machine pour fournir un travail soutenu. Les
perspectives de grèves sont donc grandement diminuées, et c'est un fait
à noter que partout où une grève survient maintenant, elle est souvent
suivie d'une extension de l'emploi de la machine dans un nouveau domaine.
L'application accrue des méthodes mécaniques de tous les côtés aligne
graduellement les rapports entre des affaires analogues sur une base de règlement
qui continuera à converger vers un point tel que des grèves puissent
devenir presque impossibles.
« L'électricité est encore dans sa première enfance, mais là où elle
s'est un jour installée, il apparaît que c'est d'une manière permanente
; les mineurs de « diamants noirs » se trouveront bientôt devant le
fait implacable que là où ils n'ont pas été chassés par la main-d’œuvre
européenne à bon marché, ils ont à se mesurer avec un ennemi plus
invincible, et que, dans quelques années, là où des milliers sont occupés
dans la mine, des centaines feront la même somme de travail grâce aux
machines d'extraction électriques ».
The Olyphant Gazette dit :
« La prodigieuse marche de la science et les innombrables inventions de
cet âge inventif, chassent rapidement le travailleur manuel d'une foule
d'industries, et des milliers d'ouvriers qui, il y a quelques années,
trouvaient un emploi rémunérateur, cherchent maintenant en vain a faire
quelque chose. Là où des centaines d'hommes étaient occupés dans une
usine ou dans une manufacture, à présent une vingtaine d'hommes feront
une plus grande somme de travail, aidés par un moyen mécanique. La
linotype a jeté sur le pavé des milliers d'imprimeurs, et il en est
ainsi dans les divers métiers manuels, la machine fait le travail d'une
manière plus rapide, avec moins de frais et d'une façon plus
satisfaisante qu'avec le travail à la main.
« Quelles sont les perspectives ? Dans quelques années, l'extraction de
l'anthracite se fera en grande partie par des machines électriques ;
l'homme et le mulet, dans la mine, ne seront plus que les accessoires d'un
système électrique où la force motrice qui doit se substituer à la
main-d’œuvre est en jeu.
Un autre auteur fait remarquer les faits suivants :
« Un homme et deux jeunes aides peuvent faire le travail qui exigeait
1100 tisserands il n'y a que quelques années.
« Un seul homme fait maintenant le travail de cinquante tisserands au
temps de son grand-père.
« Les machines à imprimer les étoffes de coton ne demandent qu'un
ouvrier là où il en fallait cinq cents.
« Une machine dirigée par un seul homme fait autant de fers à cheval en
un jour que 500 hommes dans le même laps de temps.
« Dans les scieries, 499 ouvriers sur 500 ont été renvoyés depuis
l'introduction des machines modernes.
« Une machine à fabriquer des clous fait le travail de 1100 ouvriers.
« Dans les fabriques de papier, 95 % de la main-d’œuvre a été
supprimée.
« Dans les poteries, un seul ouvrier peut maintenant faire le travail de
1 000 ouvriers avant l'emploi des machines.
« Pour charger et décharger des bateaux, avec les appareils
modernes, un seul homme peut actuellement faire le travail exécuté
autrefois par 2000 hommes.
« Un horloger expert peut fabriquer 250 à 300 montres par année à
l'aide de machines ; 85 % du travail manuel d'autrefois sont ainsi supprimés ».
Le Pittsburg Post notant, il y a des années, le remarquable progrès
dans la fabrication du fer par des hauts fourneaux perfectionnés, dit :
« Il y a vingt ans, en 1876, la production du fer en gueuse était, aux
États-Unis, de 2 093 236 « tons » [1 « ton » = 907,20 kg —
Trad.]. En 1895, la production de fer en gueuse fut, dans le County
d'Allegheny, de 2 054 585 tons. En 1885, la production totale du pays était
de 4 144 000 tons, tandis qu'en 1895 nous étions en tête de la
production mondiale avec 9 446 000 tons ».
Les Canadiens remarquent les mêmes conditions et les mêmes effets. The
Montreal Times dit :
« Avec les meilleures machines d'aujourd'hui, un seul homme peut produire
des vêtements de coton pour 250 personnes. Un seul homme peut produire du
tissu de laine pour 300 personnes. Un seul homme peut produire des
chaussures et des souliers pour 1000 personnes. Un seul homme peut
produire du pain pour 200 personnes. Et pourtant des milliers de personnes
ne peuvent se procurer des vêtements de coton, de laine, des chaussures
ou des souliers ou du pain. Il doit y avoir quelque raison à un tel état
de choses. Il doit y avoir quelque remède à cet honteux état d'anarchie
dans lequel nous sommes. Alors, quel est ce remède ? »
Le Topeka State Journal dit :
« Le Prof. Hertzka, économiste et homme d'État autrichien, a découvert
que pour faire fournir par les diverses branches de l'industrie toutes les
choses nécessaires à la vie de 22 000 000 d'Autrichiens, grâce aux méthodes
et aux machines modernes, il ne faudrait que le travail de 615 000 hommes
occupés pendant le nombre habituel d'heures. Pour leur fournir à tous
les objets de luxe, il ne faudrait que 315 000 ouvriers de plus. Il
calcule en outre que la population ouvrière actuelle de l'Autriche,
comprenant toutes les femmes et tous les hommes âgés de 16 à 50 ans, s'élève
en chiffres ronds à 5 000 000. Il fut de plus amené par ses calculs à
affirmer que ce nombre d'ouvriers, tous employés et pourvus de machines
et de méthodes modernes, pourrait fournir les choses nécessaires et les
choses de luxe à toute la population en travaillant trente-sept jours par
an, avec le même nombre d'heures que maintenant. S'ils choisissaient de
travailler 300 jours par an, ils n'auraient à le faire qu'une heure et
vingt minutes par jour.
« Les chiffres du Prof. Hertzka concernant l'Autriche, s'ils sont exacts,
sont applicables à peu de chose près, à tous les autres pays, sans
excepter les États-Unis. Il y a, en Californie, une moissonneuse à
vapeur en service, qui fauche et lie une récolte sur quatre-vingt-dix
acres [1 « acre » — 40,4672 a — Trad.] par jour, sous la
surveillance de trois hommes. Avec des socs multiples attachés derrière,
l'appareil à vapeur de cette machine peut labourer quatre-vingt-huit
acres par jour. A Brooklyn, un boulanger emploie 350 hommes et produit 70
000 pains par jour, soit à raison de 200 pains par homme employé. En
fabriquant des souliers avec la machine Mc Kay, un seul homme peut en
produire 300 paires dans le même temps qu'il en ferait cinq paires à la
main. Dans une fabrique de matériel agricole, 500 hommes font maintenant
le travail de 2 500.
« Avant 1879, il fallait dix-sept hommes habiles pour produire 500
douzaines de balais par semaine. Maintenant, neuf hommes peuvent produire
1 200 douzaines dans le même temps. Un seul homme peut, par jour,
fabriquer et achever 2 500 boîtes de fer-blanc contenant chacune 1 kg
environ. A New York, une fabrique d'horlogerie peut produire plus de 1 400
montres par jour, 511 000 par an, soit à la cadence de deux ou trois
montres par minute. Dans l'industrie des vêtements sur mesures, un seul
homme peut, à l'aide de l'électricité, couper 500 vêtements par jour.
Dans les aciéries de Carnegie, avec l'aide de l'électricité, huit
hommes font le travail de trois cents. Une seule machine à faire des
allumettes, servie par un garçon, peut couper 10 000 000 de bûchettes
par jour. La plus récente machine à tisser peut fonctionner sans
surveillance pendant toute l'heure du dîner, et une heure et demie après
la fermeture de l'usine, tisse automatiquement.
« Nous présentons ici le problème du temps actuel qui attend une
solution : comment unir nos forces, et nos besoins de telle manière qu'il
n'y ait pas de perte d'énergie et que personne ne manque de quelque chose ?
Si ce problème est bien résolu, il est clair qu'il n'est pas besoin de
fatiguer, de surmener les gens ; plus de pauvreté, plus de famine, plus
de privation, plus de vagabonds. Des solutions sans nombre ont été suggérées,
mais jusqu'à présent, aucune ne semble applicable sans causer à
quelqu'un quelque injustice, réelle ou apparente. L'homme qui apportera
au peuple la lumière sur ce sujet sera le plus grand héros et le plus
grand bienfaiteur de sa race que le monde ait jamais connu ».
LA
CONCURRENCE DU TRAVAIL FÉMININ, UN FACTEUR SÉRIEUX
Il est bon aussi de considérer la concurrence féminine. En 1880, selon
le recensement aux États-Unis, 2 477 157 femmes étaient engagées dans
un travail rétribué. En 1890, les statistiques accusèrent le nombre de
3 914 711, soit une augmentation de plus de cinquante pour cent. Des
femmes en grand nombre avaient littéralement envahi le domaine de la
comptabilité, de la machine à écrire et de la sténographie. Le
recensement de 1880 accusait le nombre de 11 756 femmes employées ainsi,
celui de 1890 en accusait 168 374. On peut à coup sûr dire que,
maintenant (1912), le nombre total des femmes engagées dans un travail rétribué,
s'élève à plus de dix millions. Et maintenant, voici qu'elles aussi
sont chassées par la machine. Par exemple, à Pittsburg, un établissement
de torréfaction de café a installé deux machines empaqueteuses récentes
surveillées par quatre femmes, ce qui a amené le renvoi de cinquante-six
autres femmes.
Ainsi, chaque jour, la concurrence devient plus intense, et chaque
invention de valeur ne fait qu'ajouter à la difficulté. Des hommes et
des femmes sont vraiment déchargés de besogne pénible, mais qui les
soutiendra, eux et leurs familles, pendant leur chômage ?
CONCEPTIONS
ET MÉTHODES, RAISONNABLES ET DÉRAISONNABLES,
DE
LA CLASSE OUVRIÈRE
Tout indique — nous ne pouvons que le confesser — qu'il y a un plus
grand besoin de travail pour une armée plus grande encore de chômeurs,
et en conséquence, des salaires plus bas et encore plus bas. Pour empêcher
cela, des syndicats ouvriers ont été formés ils ont sûrement aidé
quelque peu le maintien de la dignité, du salaire et de la respectabilité
de la classe ouvrière ; ils en ont préservé beaucoup de la puissance d'écrasement
des accapareurs. Mais ils ont eu leurs mauvais aussi bien que leurs bons
effets. Ils ont amené les hommes à se confier en eux-mêmes et en leurs
Syndicats pour recevoir conseil et assistance touchant ce dilemme, au lieu
de s'attendre à Dieu et de chercher dans sa Parole à apprendre quelle
est sa voie, afin qu'ils puissent y marcher et ne pas trébucher. S'ils
avaient suivi cette dernière ligne de conduite, l'Éternel leur aurait
donné, comme à ses enfants, « l'esprit de sobre bon sens », et
les aurait guidés de son conseil. Mais tel n'a pas été le résultat,
plutôt le contraire : ils n'ont confiance ni en Dieu ni en leur
prochain ; leur mécontentement et leur agitation, l'irritation et l'égoïsme
se sont intensifiés. Les syndicats ont cultivé le sentiment d'indépendance
égoïste et de vantardise ils ont rendu les ouvriers plus arbitraires et
fait détacher d'eux la sympathie des hommes bien disposés et
bienveillants parmi les employeurs ceux-ci sont arrivés rapidement à la
conclusion qu'il est inutile d'essayer d'avoir des rapports conciliants
avec les Syndicats, et que les ouvriers doivent apprendre par une dure expérience
à être moins arbitraires.
Les ouvriers ont raison quand ils déclarent que les bénédictions et les
inventions actuelles, à l'aurore du matin millénaire, devraient être
utilisées au bénéfice de toute l'humanité et non pas seulement au
profit de ceux dont la cupidité, le discernement pénétrant, la prévoyance
et la position privilégiée ont permis de s'assurer pour eux-mêmes et
pour leurs enfants la propriété des machines, et les terrains, ainsi que
la richesse supplémentaire de leurs revenus quotidiens. Les ouvriers
pensent que ces heureux ne devraient pas garder égoïstement pour eux
seuls tout ce qu'ils peuvent acquérir, mais qu'ils devraient partager généreusement
tous ces avantages avec eux ; selon eux, ils devraient le faire, non à
titre de don, mais comme un dû ; que des riches devraient
suivre non la loi de la concurrence égoïste, mais la loi
divine de l'amour pour le prochain. Ils appuient leurs revendications
sur les enseignements du Seigneur Jésus et citent fréquemment ses préceptes.
Les ouvriers paraissent cependant oublier qu'ils demandent aux gens fortunés
de se conformer à la loi d'amour à l'égard des moins fortunés qui, eux,
désirent toujours vivre selon la loi de l'égoïsme. Est-il raisonnable
de demander aux autres ce qu'ils ne désirent pas eux-mêmes leur accorder
? Et quelque désirable et recommandable que cela puisse être, est-ce
sage de l'espérer ? Sûrement pas. Ceux-là mêmes qui réclament à
grands cris que ceux qui sont plus fortunés qu'eux
devraient partager avec eux, sont tout à fait peu disposés à
partager ce dont ils disposent avec d'autres moins fortunés qu'eux-mêmes.
Un autre résultat de la loi de l'égoïsme dans les affaires humaines est
qu'une majorité du nombre, comparativement petit, des hommes qui ont un
bon jugement, est absorbée par les grandes entreprises commerciales, les
trusts, etc., d'aujourd'hui, tandis que ceux qui donnent des conseils aux
syndicats ouvriers sont souvent des hommes de jugement ordinaire ou médiocre.
D'ailleurs, il est peu probable qu'un bon conseil, un avis sage, soit
accepté quand on l'offre. Les ouvriers ont appris à être soupçonneux,
et beaucoup d'entre eux maintenant présument que ceux qui présentent un
avis sensé sont des espions et des émissaires du parti des employeurs.
La majorité d'entre eux sont déraisonnables et ne sont soumis
qu'aux rusés qui flattent les lubies des plus ignorants afin d'être
leurs conducteurs confortablement payés.
Que ce soit du fait de l'ignorance ou d'un mauvais jugement, une bonne
moitié des conseils donnés et suivis se sont prouvés mauvais, peu
sages, et défavorables pour ceux qui auraient dû en bénéficier. Nul
doute que la difficulté vient en grande partie de ce que, se reposant sur
le bras de la force humaine, les ouvriers négligent la sagesse d'en haut
qui est « premièrement pure, ensuite paisible, modérée, traitable,
pleine de miséricorde et de bons fruits, sans partialité, sans
hypocrisie ». C'est pourquoi ils n'ont pas « l'esprit [disposition]
de sobre bon sens », pour les guider. Jacq. 3 : 17 ;
2 Tim. 1 : 7.
Ils s'imaginent que, par des syndicats, des boycottages, etc., ils peuvent
maintenir dans quelques branches le salaire du travail au double et au
triple de celui qui est payé pour d'autres genres de travaux. Ils
oublient d'observer que dans les nouvelles conditions de la mécanique, il
ne faut plus, comme autrefois, des années pour apprendre un métier ; que,
par l'instruction générale donnée à l'école primaire et par les
revues, des milliers peuvent apprendre rapidement à faire ce que peu
comprenaient autrefois ; ils oublient d'observer que le surplus de main-d’œuvre,
en faisant s'effondrer les prix dans un commerce ou dans une industrie,
fera entrer ce surplus en compétition pour obtenir un emploi plus facile
ou plus rémunérateur dans d'autres directions, et cela, finalement,
d'une manière irrésistible par la pression du nombre. Les hommes ne
refuseront pas sous peine d'avoir faim et de voir leur famille également
affamée, d'accepter pour un ou deux dollars par jour une situation qui
est payée maintenant à un autre trois ou quatre dollars.
Aussi longtemps que les conditions sont favorables — la main-d’œuvre
produisant moins que la demande ou la demande de marchandises étant supérieure
à la production — les Syndicats ouvriers peuvent accomplir et
accomplissent un bien considérable pour leurs membres, en maintenant de
bons salaires, un travail à des heures favorables et dans des conditions
saines. Mais, sur ce sujet, c'est une erreur de juger l‘avenir un se
basant sur le passé, et de compter sur les Syndicats pour contrecarrer la
loi de l'offre et de la demande. Que le travailleur considère sa seule
espérance, l'Éternel, et qu'il ne s'appuie pas sur le bras de chair.
LA
LOI DE L'OFFRE ET DE LA DEMANDE
REPOSE
INEXORABLEMENT SUR TOUS LES HUMAINS
La base sur laquelle reposent actuellement les affaires, pour les petits
et pour les grands, pour les riches et pour les pauvres, est comme nous
l'avons vu, dépourvue de tout sentiment d'amour ; elle est oppressive, égoïste.
Les produits manufacturés sont vendus par les fabricants et les marchands
au prix le plus élevé qu'ils peuvent en tirer ; d'autre part, ils sont
achetés par le public au prix le plus bas que ce dernier peut se les
procurer. La question de valeur réelle de la marchandise est même
rarement prise en considération, sauf d'un point de vue égoïste. Les céréales
et les produits de la ferme sont vendus par le fermier au plus haut prix
possible, et sont achetés par les consommateurs au plus bas prix
possible. La main-d’œuvre et le savoir-faire, également, se font payer
au prix le plus élevé possible de la part de leurs possesseurs, et sont
rétribués au prix le plus bas possible par les fermiers, les négociants
et les fabricants selon leurs besoins.
Le fonctionnement et l'application de cette « loi de l'offre et de
la demande », sont absolus : personne ne peut les modifier ;
personne ne peut les ignorer entièrement et vivre dans les conditions
sociales présentes. Supposez, par exemple, qu'un fermier dise : « Je
mets au défi cette loi qui gouverne maintenant le monde. Le prix du
froment est de soixante « cents » le boisseau [1 « cent »
= 1 centième de dollar ; 1 boisseau = 35,23 l environ — Trad.],
mais il devrait être de un dollar le boisseau afin de rétribuer
convenablement mon travail
personnel et la main-d’œuvre que j'emploie ; je ne vendrai donc
pas mon froment au-dessous d'un dollar le boisseau ». Quel serait le
résultat ? Son froment pourrirait, sa famille n'aurait pas d'argent
pour se vêtir, ses ouvriers seraient privés de leur salaire à cause de
sa lubie, et l'homme à qui il a emprunté de l'argent s'impatienterait de
ne pas se voir rembourser et lui ferait vendre sa ferme, et son froment,
et tous ses biens, pour couvrir la dette.
Ou bien, considérez l'exemple d'un autre point de vue. Supposez
que le fermier dise : « Actuellement, je paie mes ouvriers de ferme
trente dollars par mois, mais j'apprends que dans une ville voisine, des
ouvriers qui ne font pas un travail plus pénible et qui font même moins
d'heures, sont payés de cinquante à cent dollars par mois. Je suis décidé,
à partir de maintenant, à avoir des journées de travail de huit heures,
et de donner des salaires mensuels de soixante dollars toute l'année ».
Que résulterait-il d'une pareille tentative de défier la loi de l'offre
et de la demande ? Il se trouverait probablement sous peu dans les dettes.
Bien sûr, ce serait possible si tous les fermiers des États-Unis
payaient les mêmes salaires, et si tous vendaient à juste prix ; mais à
la fin de la saison, les silos seraient pleins de blé, car l'Europe achèterait
ailleurs. Et puis après ? Eh bien, la nouvelle serait télégraphiée à
l'Inde, à la Russie et à l'Amérique du Sud, et les producteurs de blé
là-bas enverraient ici par mer leurs cargaisons de blé, rompraient ce
qu'on appellerait l'Union des Fermiers, et fourniraient aux pauvres du
pain à bon marché. Évidemment, un tel arrangement, s'il pouvait avoir
lieu, ne pourrait guère durer plus d'une année.
Cette même loi du présent ordre social des choses — la loi de l'offre
et de la demande régit — également toutes les autres productions du
travail ou de la capacité de l'homme, variant selon les circonstances.
Dans cette grande République, les conditions ont été favorables à une
demande considérable, à des salaires élevés et à de gros bénéfices,
en raison des tarifs douanier protecteurs contre la concurrence européenne ;
la tendance a été l'entrée ici de capitaux européens pour être
investis à cause de meilleurs profits, et la main-d’œuvre et le
savoir-faire des étrangers sont également arrivés ici parce qu’ils
pouvaient être mieux rétribués que chez eux. Tout cela n'était que la
conséquence de la loi de l'offre et de la demande. Les millions qui ont
été placés dans l'industrie et dans les chemins de fer, dans des
immeubles de rapport et dans les produits courants de première nécessité,
tous ces capitaux ont depuis des années fait des États-Unis le pays du
monde le plus remarquable pour sa prospérité. Toutefois, le point
culminant de cette prospérité est passé, et nous sommes sur la pente
descendante. Rien ne peut l'empêcher, sauf s'il y avait dans d'autres
nations civilisées la guerre ou d'autres calamités qui, pour un temps,
passeraient les affaires du monde aux nations en paix. La guerre entre la
Chine et le Japon a soulagé légèrement la tension, non seulement à
cause des armes et des munitions achetées par les belligérants, mais également
à cause des indemnités payées par la Chine au Japon lequel, à son
tour, dépensa cet argent à l'achat de navires de guerre construits dans
divers pays, en particulier en Grande-Bretagne. De plus, se rendant compte
que le Japon est maintenant une « puissance maritime », les
gouvernements européens et les États-Unis ont été amenés à augmenter
leur équipement naval. Rien ne pouvait être plus à courte vue que le
meeting monstre récent que tinrent les travailleurs à New York pour
protester contre les dépenses supplémentaires pour la défense navale et
côtière des États-Unis. Ils devraient discerner que de telles dépenses
aident à maintenir le plein emploi. Bien que nous soyons opposés à la
guerre, nous n'en sommes pas moins opposés à ce que des hommes meurent
de faim, faute d'emploi et nous prendrions le risque d'augmenter le danger
de guerre. Laissez convertir les dettes du monde en bons (du trésor). Ils
vaudront exactement ce que vaudront l'or et l'argent dans le grand temps
de détresse qui approche — Ézéchiel 7 : 19 ; Soph. 1 : 18.
Beaucoup de gens se rendent compte que la concurrence est le danger ; en
conséquence, le « Projet de loi concernant l'exclusion des Chinois »
a été voté, non seulement pour arrêter l'immigration des millions de
Chinois, mais pour prendre des mesures en vue d'expulser de ce pays tous
ceux qui ne deviennent pas des citoyens. Pour arrêter l'immigration en
provenance de l'Europe, une loi fut votée interdisant le débarquement
d'immigrants ne sachant pas lire une langue, etc. Beaucoup discernent que
sous la loi de l'offre et de la demande, la main-d’œuvre sera bientôt
au même niveau dans le monde entier ; aussi désirent-ils empêcher
autant que possible, et aussi longtemps que possible, la dépréciation de
la main-d’œuvre aux États-Unis au niveau soit de la main-d’œuvre en
Europe, soit de la main-d’œuvre en Asie.
D'autres cherchent un remède sous forme de loi il serait décidé que les
fabricants paieront des salaires élevés et vendront leurs produits avec
un faible bénéfice marginal. Ceux-là oublient que si le Capital ne
rapporte pas ici, il s'en ira ailleurs pour construire, employer et
fabriquer, là où les conditions sont favorables, où les salaires sont
moins élevés ou les prix plus avantageux.
Cependant, la perspective du proche avenir dans les conditions présentes
apparaît plus sombre encore, lorsque nous prenons une vue plus large
encore du sujet. La loi de l'offre et de la demande, régit le capital
aussi bien que le travail. Le Capital est aussi vigilant que le Travail
pour chercher un emploi avantageux. Lui aussi se tient informé et il est
sollicité çà et là à travers le monde. Mais le Capital et le Travail
suivent des routes opposées et sont dirigés par des conditions opposées.
Le Travail, habile, cherche les localités où les salaires sont les plus
élevés ; le Capital cherche les régions où les salaires sont les
plus bas, afin de pouvoir ainsi retirer les plus grands profits.
Les machines ont bien servi le Capital et continuent à le servir avec fidélité,
mais au fur et à mesure que le Capital s'accroît et que les machines se
multiplient, il s'ensuit une « surproduction » ; autrement dit,
on produit plus qu'on ne peut vendre avec bénéfice ; et la concurrence,
des prix plus bas et de moins gros bénéfices, en résulte. Tout cela
aboutit à des unions qu'on appelle des « trusts », pour le
maintien des prix et des profits, mais il est douteux qu'on puisse
longtemps maintenir ces prix et ces profits, sauf en ce qui concerne des
articles brevetés, ou des marchandises dont l'offre est très limitée,
ou soutenue par la législation et qui, tôt ou tard, sera corrigée.
PERSPECTIVE
EFFRAYANTE
DE
LA CONCURRENCE INDUSTRIELLE ÉTRANGÈRE
Or, c'est dans ce même temps que s'ouvre un nouveau champ pour l'esprit
d'entreprise et pour le capital, mais non pour la main-d’œuvre. Le
Japon et la Chine s'éveillent à la civilisation occidentale après un
sommeil qui a duré des siècles ; ils apprécient maintenant la
vapeur, l'électricité, la machine et les inventions modernes en général.
Nous devons nous souvenir que la population du Japon correspond à peu près
à celle de la Grande-Bretagne ; et que la population de la Chine est
plus de cinq fois celle des États-Unis. Souvenons-nous aussi que ces
millions de gens ne sont pas des sauvages, mais des gens qui, en général,
peuvent lire et écrire leur propre langue, et que leur civilisation, bien
que différente, est bien plus vieille que celle de l'Europe, qu'ils étaient
civilisés et fabriquaient des vases de Chine et des objets de soie, alors
que la Grande-Bretagne était peuplée de barbares. C'est pourquoi nous ne
devons pas être surpris d'apprendre que le Capital cherche à faire des
affaires en Chine, et au Japon en particulier : y construire des
chemins de fer, y transporter des machines, y bâtir de grandes usines,
afin qu'ainsi, il puisse utiliser l'habileté, l'énergie, le sens de l'économie,
la patience et la soumission de ces millions habitués au travail pénible
et à la frugalité.
Le Capital envisage de grands profits dans un pays ou il peut avoir de la
main-d’œuvre avec un salaire de six a quinze « cents » par jour,
salaire accepté sans murmure et avec remerciements. Des capitaux considérables
sont déjà partis au Japon, et d'autres attendent leur admission en
Chine. Qui ne peut discerner qu'il ne faudra que le court espace de
quelques années à peine pour amener le monde industriel tout entier en
concurrence avec ces millions de gens déjà habiles et doués pour
apprendre ? En Europe, on trouve les salaires actuels insuffisants ; aux
États-Unis, à cause des généreux salaires d'autrefois (en comparaison
avec l'Europe et l'Asie) des idées et des habitudes de prodigalité
cultivées ici, nous considérons les salaires actuels comme des «
salaires de famine » (bien qu'ils soient encore le double de ce qui
est payé en Europe et huit fois ce qui est payé en Asie) ; quelle
sera la condition déplorable des travailleurs à travers le monde civilisé
après trente années de plus d'inventions et de fabrication de machines-outils,
et après que tous les travailleurs du monde auront été étroitement mis
en compétition avec la main-d’œuvre à bon marché de l’Extrême-Orient ?
Il s’agira, non seulement de salaire quotidien de quinze « cents »
mais en outre de six hommes pour chaque besogne avec cette ration congrue.
Il y a quelques années, la presse publique remarqua le transfert d'une
filature de coton du Connecticut au Japon, et depuis d'autres fabricants y
sont partis, afin de s'assurer un champ de main-d’œuvre à meilleur
marché et, en conséquence, de plus gros bénéfices.
L’Empereur d'Allemagne a certainement vu s'approcher cette guerre
industrielle ; il l'a représentée symboliquement dans le tableau célèbre
peint sous sa direction par un artiste et offert au Tsar de Russie. Le
tableau représente les nations d'Europe sous des personnages féminins
revêtus d'armures, qui se tiennent debout sous la lumière jaillissant
d'une croix dans le ciel, au-dessus d'eux ; sur l'instruction d'un
personnage angélique représentant Micaël, ces personnages féminins
regardent, s'élevant de la Chine et flottant vers eux, un nuage noir,
duquel des formes et des visages hideux sont révélés par la lueur d'un
éclair. Sous le tableau, on lit ces mots : « Nations d'Europe
! Unissez-vous pour défendre votre Foi et vos Foyers ».
L'HOMME JAUNE AVEC
L'ARGENT BLANC
(*)
[ou la monnaie d’argent — Trad.]
Voici un extrait tiré d'un excellent article paru dans le Journal of
the Imperial Colonial Institute
(anglais) de la plume de M. Whitehead, membre du Conseil législatif à
Hong-Kong (Chine ). Il écrivait :
« Jusqu'ici, les Chinois n'en sont qu'au début de la construction de
filatures et d'usines de tissage. Sur le fleuve Yang-Tsé et aux environs
de Changhaï, quelque cinq usines fonctionnent déjà, et d'autres sont en
voie de construction. On estime qu'elles contiendront environ 200 000
broches et certaines ont commencé à travailler. Le capital employé est
entièrement indigène, et la paix étant revenue dans ces régions, il
n'y a, avec une honnête et compétente administration tant que notre système
monétaire actuel continue, réellement aucune limite à l'expansion
et au développement des industries dans les pays orientaux ».
A ce propos, nous mentionnons dans le même ordre d'idées, une dépêche
de Washington (D.C.) qui parut déjà, en 1896, annonçant un rapport fait
au gouvernement par le Consul général Jernigan, placé au poste de
Changhaï. Dans ce rapport, il fait état du grand intérêt réservé à
l'industrie cotonnière, de l'introduction et de la prospérité des
filatures de coton depuis 1890, du commencement de plantations de graines
à huile de coton : il indique également qu'en Chine, la zone propre à
la culture du coton étant presque aussi illimitée que l'embauche d'une
main-d’œuvre à bon marché, « il ne peut y avoir aucun doute que
la Chine sera bientôt un des plus grands pays producteurs de coton
dans le monde ».
M. Whitehead, discutant de la guerre de 1894 entre la Chine et le
Japon, déclare que c'est en elle que repose le principal espoir de la résurrection
industrielle de la Chine. Il continue :
« L'issue de la guerre actuelle peut aider le peuple chinois à se libérer
de l'étreinte des mandarins. On sait que les ressources minérales et
autres de la Chine sont énormes, et à leur porte, les Chinois ont des
millions d' « acres » de terrains admirablement adaptés à la
culture du coton, lequel, bien que de courte fibre, est approprié au mélange
avec d'autres qualités. En décembre 1893, sur le fleuve de Changhaï, il
n'y eut, à un moment donné, pas moins de cinq transatlantiques qui
prirent en cargaisons, du coton chinois pour le transporter au Japon où
il devait être transformé par des filatures et par des mains japonaises
en fil et en tissu. A présent, les Japonais importent directement leur
coton pour leurs filatures d'Amérique et d'ailleurs. Après ce terrible réveil,
si la Chine, avec ses trois cents millions d'habitants intensément
laborieux, ouvrait ses vastes provinces intérieures par l'introduction de
chemins de fer, ses cours d'eau intérieurs à la navigation des vapeurs
et ses ressources illimitées au développement, il est impossible d'en
mesurer les conséquences. Cela signifierait la découverte en pratique
d'un nouvel hémisphère, abondamment peuplé de races laborieuses, et
abondant en ressources agricoles, minérales et autres ; mais, loin que
l'ouverture de la Chine que nous pouvons raisonnablement espérer comme
devant être, l'un des résultats de la guerre actuelle, soit au bénéfice
des fabricants anglais (à moins de quelque changement, et cela bientôt,
dans notre système monétaire), le Céleste Empire, qui a été le théâtre
de tant de nos victoires industrielles, sera seulement de champ de notre
grande défaite ».
L'opinion de M. Whitehead est purement capitaliste quand il parle de
« défaite » car en fait, la
« défaite » se fera sentir plus lourdement encore sur
les travailleurs anglais. Il continue en faisant allusion au japon, comme
suit :
« Les environs d'Osaka et de Kyoto offrent maintenant le spectacle
surprenant d'une activité industrielle. Dans un laps de temps très bref,
pas moins de cinquante-neuf filatures et usines y ont fait leur
apparition, avec l'aide de plus de vingt millions de dollars d'un capital
entièrement national. Elles comportent maintenant 770 874 broches, et en
mai dernier, des autorités compétentes ont estimé le rendement annuel
de ces filatures à plus de 500 000 balles de coton filé , d'une
valeur approximative de quarante millions de dollars, soit au change
actuel, disons quatre millions de livres sterling [de l'époque Trad.]. En
bref, les industries japonaises, non seulement de filage et de tissage,
mais de tous genres, ont progressé par sauts et par bonds. D'ores et déjà,
elles ont porté leur succès à un point tel qu'elles peuvent, dans une
large mesure, faire peu de cas de la concurrence industrielle britannique
».
M. Whitehead se met ensuite à démontrer que les capitalistes d'Europe et
des États-Unis, ayant démonétisé l'argent, ont presque doublé la
valeur de l'or, et que cela a presque doublé l'avantage de la Chine et du
Japon. Il déclare :
« Permettez-moi d'expliquer que l'argent continuera à employer le même
nombre d'ouvriers orientaux qu'il y a vingt ou trente ans. Par conséquent,
l'imperfection de notre étalon monétaire permet aux pays orientaux
d'employer maintenant au moins cent pour cent de plus de main-d’œuvre
pour un total donné d'or qu'ils ne pouvaient le faire il y a vingt-cinq
ans. Pour rendre tout à fait claire cette importante déclaration,
permettez-moi de donner l'exemple suivant : en 1870, dix roupies étaient
l'équivalent d'un souverain sous l'étalon associé de l'or et de
l'argent, et constituaient le montant des salaires de vingt hommes par
jour. Aujourd'hui, vingt roupies sont environ l'équivalent d'un souverain,
de sorte que pour vingt roupies, on peut employer quarante hommes pour une
journée, au lieu de vingt hommes comme en 1870. Contre un tel handicap,
aucune concurrence de la main-d’œuvre britannique n'est possible.
« Dans les pays orientaux, l'argent servira encore à payer le même
nombre d'ouvriers qu'auparavant. Cependant, par rapport à l'or maintenant,
l'argent vaut moins de la moitié de l'or qu'il équivalait autrefois. Par
exemple : il y a vingt ans, en Angleterre, on pouvait employer un certain
nombre d'ouvriers pour disons, huit shillings. Aujourd'hui, en Angleterre,
on ne pourra pas employer plus d'ouvriers qu'alors pour vingt shillings,
les salaires étant à peu près les mêmes ; par notre loi, ces vingt
shillings ont exactement la même valeur monétaire qu'autrefois, bien que
leur valeur en tant que métal, ait été par rapport à, l'appréciation
de l'or, réduite à moins de six pence pour un shilling [1 livre sterling
— autrefois souverain en or — = 20 shillings ; 1 shilling = 12 pence,
en valeur monétaire — Trad.]. Les deux dollars exactement semblables
aux anciens, peuvent employer le même nombre d'ouvriers qu'auparavant,
mais pas davantage, et cependant, au prix actuel de l'or, ils ne
correspondent qu'à la valeur de quatre shillings. Par conséquent, il est
possible maintenant d'employer autant d'ouvriers en Asie pour quatre
shillings de notre monnaie, ou l'équivalent de cela en argent, qu'il
pouvait en être employé il y a vingt ans pour huit shillings, ou leur équivalent
en argent. La valeur de la main-d’œuvre orientale ayant ainsi été réduite
de plus de 55 % en monnaie d'or, comparée à ce qu'elle était autrefois,
elle sera capable de produire des produits manufacturés et des
marchandises au même pourcentage moins cher que la main-d’œuvre des
pays à l'étalon or. En conséquence, à moins que notre loi monétaire
ne soit amendée, ou à moins que la main-d’œuvre britannique ne
soit prête à accepter une forte réduction de salaires, les affaires
industrielles britanniques doivent inévitablement quitter les rives
britanniques, parce que leurs produits seront supplantés par l'établissement
d'industries dans les pays d'étalon d'argent ».
M. Whitehead aurait pu, en vérité, ajouter que bientôt les pays d'étalon
argent seront non seulement prêts à pourvoir à leurs propres besoins,
mais également à envahir les pays d'étalon or. Par exemple, le Japon
pourrait vendre en Angleterre des marchandises à des prix inférieurs
d'un tiers à ceux qui ont cours au Japon, et en échangeant en monnaie
d'argent la monnaie d'or reçue, il pourrait rapporter au Japon de larges
bénéfices. Ainsi, les techniques américaine et européenne seront non
seulement forcées d'entrer en concurrence avec la main-d’œuvre
asiatique bon marché, patiente et habile, mais en plus, elles seront désavantagées
dans cette compétition à cause de la différence entre les étalons or
et argent du change financier.
Commentant la conférence de M. Whitehead, le Daily Chronicle (Londres)
attire l'attention sur le fait que l'Inde a déjà grandement
supplanté l'industrie cotonnière de l'Angleterre. Il écrit :
« La conférence de l’Hon. T. H. Whitehead à l'Institut colonial, hier
soir, a attiré l'attention sur quelques chiffres étonnants en rapport
avec notre commerce occidental. On ne peut malheureusement contester en
rien le fait que, durant les quatre dernières années, nos exportations
accusent une diminution de 54 000 000 de £. Les statistiques des
soixante-sept compagnies de filatures du Lancashire pour 1894 accusent une
balance défavorable totale de 411 000 £. Contre cela, l'augmentation
dans l'exportation du fil et du tissu indiens au Japon a été simplement
colossale, et les filatures de coton à Hiogo (Japon) pour 1891, ont montré
en moyenne un bénéfice de dix-sept pour cent. Sir Thomas Sutherland a déclaré
que, sous peu, la Compagnie péninsulaire et orientale pourra construire
ses navires sur le Yang-Tsé, et M. Whitehead croit que les pays
orientaux seront bientôt en compétition sur les marchés d'Europe. Quelles
que soient nos divergences au sujet des remèdes proposés, des déclarations
comme celles-ci de la bouche d'experts fournissent matière à sérieuses
réflexions ».
Un journal allemand, Tageblatt, de Berlin, a examiné de près la
question de la victoire décisive du Japon sur la Chine, et fut surpris de
l'intelligence qu'il y a trouvée. Il déclara que le comte Ito le Premier
ministre japonais, était un autre Bismarck, et que les Japonais, en général,
étaient, parfaitement civilisés. Il conclut par une remarque très
significative touchant la guerre industrielle que nous sommes en
train d'examiner, disant :
« Le comte Ito montre beaucoup d'intérêt au développement industriel
de sa patrie. Il croit que la plupart des étrangers sous-estiment les
chances du Japon dans la lutte internationale pour la suprématie
industrielle. Les femmes japonaises, pense-t-il, valent les hommes dans
tous les champs du travail, et elles doublent ainsi la capacité de
travail de la nation ».
Le rédacteur en chef de l'Économiste français (Paris),
commentant à propos du Japon et de ses affaires, dit d'une manière
significative :
« Le monde a franchi une nouvelle étape. Les Européens doivent compter
avec de nouveaux facteurs de civilisation. Les Puissances doivent cesser
les querelles entre elles et doivent montrer un front uni ; elles doivent
se souvenir que, désormais, des centaines de millions d'ouvriers en Extrême-Orient
— sobres, durs au travail et à l'esprit prompt — seront nos rivaux ».
M. George Jamison, consul général britannique à Changhaï (Chine), a écrit
sur le sujet de la Concurrence orientale, en montrant que la démonétisation
et par conséquent la dépréciation de l'argent, en laissant dans les
pays civilisés l'or comme étalon monétaire, est un autre point qui déprécie
le Travail et profite au Capital. Il déclarait :
« L'élévation continuelle de la valeur de l'or, comparée à celle de
l'argent, a changé toutes choses. Les marchandises britanniques sont
devenues si chères dans leur valeur-argent que l'Orient a été obligé
de fabriquer pour lui-même, et la chute de la valeur de l'argent-métal
l'a tellement aidé dans son travail que non seulement il peut se suffire
à lui-même, mais qu'il est capable d'exporter avantageusement ses
propres marchandises. La hausse de la valeur de l'or a doublé le prix en
argent des marchandises britanniques en Orient et a rendu leur utilisation
presque prohibitive, tandis que la chute de la valeur de l'argent a fait
baisser de plus de la moitié le prix‑or
des marchandises orientales dans les pays utilisant l'or, en
provoquant continuellement l'augmentation dans la demande de ces
marchandises. Les conditions sont si inégales qu'il paraît impossible,
de continuer longtemps la lutte. C'est comme si on handicapait un champion
en donnant à son adversaire la moitié de la distance à courir.
« L'impossibilité pour l'Europe de concurrencer l'Asie sur le marché
ouvert, a été prouvée en Amérique. Là, les chinois, grâce leurs bas
salaires, ont monopolisé la main-d’œuvre à tel point qu'on dut les
exclure du pays, sinon les travailleurs européens seraient morts de faim
ou auraient été expulsés. Mais les pays européens ne sont pas menacés,
comme le furent les Américains, par le travailleur lui-même (il
connaissait le prix de la main-d’œuvre européenne, et pouvait
apprendre, comprendre combien il pourrait obtenir pour lui-même), mais
par les produits de cette main-d’œuvre fabriqués au prix de salaires
orientaux. En outre, il serait relativement facile de refuser d'employer
un Oriental pour faire votre travail, tandis qu'il est difficile de
refuser d'acheter des marchandises fabriquées par lui, en particulier si
leur qualité s'améliore et si leur prix est bon marché. La tentation de
les acheter devient d'autant plus grande que l'argent gagné par le
travailleur britannique perd de sa valeur. IL est d'autant plus enclin à
le faire et à refuser d'acheter ses marchandises fabriquées par lui mais
plus chères. Les pays partisans du protectionnisme sont en meilleure
position. Ils peuvent imposer des droits plus élevés sur les
marchandises orientales, et ainsi les empêcher d'inonder leurs propres
marchés. Mais l'Angleterre, avec son libre-échange n'a aucune défense,
et le poids du fardeau retombera sur ses ouvriers. Le mal s'aggrave.
Chaque farthing [1/4 de penny, soit le 48e d'un shilling —
Trad.] d'augmentation du prix de l'or comparé à celui de l'argent
augmente de 1 % le prix des marchandises anglaises en Orient, tandis que
chaque farthing de baisse dans la valeur de l'argent fait baisser de 1% le
prix des marchandises orientales dans les pays qui emploient l'étalon-or.
Ces nouvelles industries se développent très rapidement au Japon, et ce
qui est en train de se faire là-bas peut se faire et se fera en Chine, en
Inde et en d'autres lieux. Une fois bien établies, l'Orient les
maintiendra, en dépit de toute opposition, et si quelque remède n'est
pas rapidement trouvé pour changer le système monétaire du monde, leurs
produits se répandront dans le monde entier à la ruine des industries
britanniques et au désastre incalculable de milliers et de milliers de
travailleurs ».
M. Lafcadio Hearn qui, pendant plusieurs années, enseigna au Japon, a écrit
un article dans l'Atlantic Monthly, en octobre 1895, où il fait
ressortir l'une des raisons pour lesquelles la concurrence japonaise est
si âpre : c'est que les pauvres peuvent vivre et déménager et avoir
leur existence, d'une manière confortable, selon leurs idées de confort,
à très peu de frais. Il explique qu'une ville japonaise est faite de
maisons de boue, de bambou et de papier, bâties en cinq jours et destinées
à ne durer, avec de continuelles réparations, qu'aussi longtemps que
leurs propriétaires ne désireront pas changer de lieu de séjour. En
fait, il n'y a pas de grands bâtiments au Japon, excepté quelques
forteresses colossales construites par les nobles au temps du féodalisme.
Au Japon, les usines modernes, ne sont que des cabanes allongées, quelle
que soit l'importance de leurs affaires ou quelles que soient la beauté
et la somptuosité de leurs produits. Leurs temples mêmes doivent, en
raison d'une coutume immémoriale, être taillés en morceaux tous les
vingt ans et distribués aux pèlerins. Un ouvrier japonais ne s'enracine
jamais ni ne désire s'enraciner. S'il a quelque raison de changer de
province, il le fait immédiatement, démantèle sa maison, la hutte de
papier et de boue qui est si pittoresque et si propre, emballe ses
affaires sur son épaule, dit à sa femme et à sa famille de le suivre et
s'en va à pied d'un pas léger et le cœur plus léger encore pour une
destination lointaine, peut-être à cinq cents miles [800 km environ —Trad.]
de là, où il arrivera, après avoir dépensé au maximum 5 s. (1 dollar,
22). Là, Il se construit immédiatement une maison qui lui coûte
quelques shillings de plus, et tout de suite, il est de nouveau un citoyen
respectable et responsable. M. Hearn déclare :
« Tout le Japon est toujours en mouvement de cette manière, et le
changement constitue le génie de la civilisation japonaise. Dans la
grande concurrence industrielle du monde, la fluidité est le secret de la
force japonaise. L'ouvrier change sans aucun regret son habitation pour le
lieu où il est le plus demandé. L'usine peut être déménagée dans
l'espace d'une semaine, l'artisan en l'espace d'une demi-journée. Il n'y
a aucuns bagages à transporter, il n'y a pratiquement rien à construire,
il y a peu de dépenses à faire qui puissent retarder le voyage.
« L'homme du peuple japonais — l'ouvrier habile capable d'offrir sans
efforts des conditions plus avantageuses que n'importe quel artisan
occidental dans le même genre d'industrie — demeure heureusement indépendant
tant du cordonnier que du tailleur. Ses pieds sont beaux à voir, son
corps est sain et son cœur est libre. S'il désire parcourir mille miles
[1 « mile = 1,6093 km] il peut être prêt pour son voyage en cinq
minutes. Le trousseau complet qui lui est nécessaire ne coûte pas
soixante-quinze « cents » [1 « cent » = 1/100 de dollar], et tout son
bagage peut être placé dans un mouchoir. Avec dix dollars, il peut
voyager pendant un an sans travailler, ou il peut simplement voyager tout
en travaillant, ou il peut voyager en pèlerin. Peut-être répondrez-vous
que n'importe quel sauvage peut en faire autant. D'accord, mais n'importe
quel civilisé ne le peut pas, et le Japonais a été un homme de haute
civilisation depuis au moins un millier d'années. C'est pourquoi sa
capacité présente menace les fabricants occidentaux ».
Commentant ce qui précède, le Spectator, de Londres, dit :
« C'est là une esquisse tout à fait digne d'attention, et nous
reconnaissons franchement, comme nous l'avons toujours reconnu, que la
concurrence japonaise est une chose formidable qui pourrait un jour
affecter profondément toutes les conditions de la civilisation
industrielle européenne ».
On se rendra compte du caractère de la concurrence à attendre de ce côté
en lisant l'extrait suivant du Literary Digest sur
« LA CONDITION DU
TRAVAIL AU JAPON »
Le Japon a réalisé des progrès étonnants dans le développement de ses
industries. Ceci est dû dans une mesure non négligeable à
l'intelligence et à l'activité de ses ouvriers qui travaillent souvent
quatorze heures par jour sans se plaindre. Malheureusement, leurs
employeurs abusent grandement de cette complaisance ; leur seul but semble
être de triompher de la concurrence étrangère. Tel est, en particulier
le cas dans l'industrie cotonnière qui emploie un grand nombre de mains.
Un article de l'Écho, de Berlin, décrit comme suit le
fonctionnement des usines japonaises :
« Le temps habituel de commencer le travail est six heures du matin, mais
les ouvriers acceptent de venir à n'importe quelle heure, et ne se
plaignent pas si on leur ordonne d'arriver à quatre heures. Les salaires
sont étonnamment bas ; même dans les centres industriels les plus
importants, les tisserands et les fileurs ne gagnent en moyenne que quinze
« cents » par jour, et les femmes reçoivent seulement six « cents
». Les premières usines furent bâties par le gouvernement qui les remit
plus tard à des compagnies par actions. L'industrie la plus prospère est
la manufacture de tissus de coton. Un seul établissement, celui de
Kanegafuchi, emploie 2 100 hommes et 3 700 femmes. Ils sont divisés en équipes
de jour et de nuit et n'interrompent leur travail de douze heures qu'une
seule fois, pendant quarante minutes, pour prendre un repas. Près de l'établissement
se trouvent des cantines où les ouvriers peuvent également obtenir un
repas au prix de moins d'un « cent » et demi. Les filatures d'Osaka
sont semblables. Tous ces établissements possèdent d'excellentes
machines anglaises, le travail se poursuit jour et nuit, de gros bénéfices
sont réalisés. Nombre des usines créent des filiales, ou bien
augmentent leur outillage, car la production n'est pas encore au niveau de
la consommation.
« Les statistiques, qui montrent que trente-cinq filatures emploient 16
879 femmes et seulement 5 730 hommes, prouvent que les fabricants ont
appris rapidement à préférer la main-d'œuvre féminine moins payée à celle des hommes. Les employeurs forment
un syndicat puissant et abusent souvent de l'indulgence des autorités qui
ne désirent pas paralyser les industries. Des petites filles de huit et
neuf ans sont forcées de travailler de neuf à douze heures. La loi exige
que ces enfants soient à l'école et les maîtres se plaignent, mais les
officiels ferment les yeux devant ces abus. La grande obéissance et
l'humilité des ouvriers ont conduit à un autre abus qui les place complètement
à la merci de leurs employeurs. Aucune usine n'emploiera un travailleur
qui vient d'un autre établissement s'il ne peut produire un certificat de
son dernier employeur. Cette règle est imposée si strictement que toute
nouvelle main est étroitement surveillée, et s'il est prouvé que
l'ouvrier connaît déjà quelque chose du métier mais n'a pas de
certificat, il est immédiatement renvoyé ».
Le British Trade Journal a également publié un compte rendu
touchant les industries d'Osaka, d'après une lettre d'un correspondant de
l'Observer d'Adélaïde (Australie). Ce correspondant qui écrit
directement d'Osaka, est si impressionné par la variété et la vitalité
des industries de la ville qu'il l'appelle « La Manchester de l'Extrême-Orient »
:
« On se fera quelque idée de l'importance de l'industrie manufacturière
d'Osaka quand on saura qu'il y a un grand nombre d'usines au capital de
plus de 50 000 yens [1/3 de « cent », soit 1/300 de dollar — Trad.]
et de moins de cette somme, plus de trente ayant chacune un capital de
plus de 100 000 yens, quatre de plus de 1 000 000 de yens, et une de 2 000
000 de yens. Ces industries portent sur la soie, la laine, le coton, le
chanvre, le jute, le filage et le tissage, les tapis, les allumettes, le
papier, le cuir, le verre, les briques, le ciment, la coutellerie,
l'ameublement, les parapluies, le thé, le sucre, le fer, le cuivre,
l'airain, le saké [boisson japonaise alcoolisée faite avec du riz —
Trad.], le savon, les brosses, les peignes, des articles de fantaisie,
etc. C'est, en fait une grande ruche d'activité et d'entreprise, dans
laquelle le génie imitatif et la persévérance opiniâtre des Japonais
ont amené ces derniers à égaler, et, si possible, à surpasser les
ouvriers et artisans des vieilles nations civilisées de l'Occident.
« Il y a, à Osaka, dix filatures de coton qui marchent ;
l'ensemble de leurs capitaux s'élève à environ 9 000 000 de $ en or ;
toutes sont équipées de machines les plus modernes et complètement éclairées
à l'électricité. Elles sont toutes sous direction japonaise, et, dit-on,
toutes paient de beaux dividendes, certains allant jusqu'à 18 % du
capital investi. Sur 19 000 000 de $ de coton importé au Japon, dans une
année, les filatures de Kobé et d'Osaka se sont réservé et ont
travaillé environ les 79 % ».
Un « yen » en argent vaut maintenant 50 « cents »
environ en or.
Notez également le télégramme suivant envoyé à la presse publique :
« San Francisco (Calif.), le 6 juin. — L'Hon. Robert P.
Porter, rédacteur du World, de Cleveland, et ex-inspecteur du
Recensement des E.U. de 1890, est revenu hier du Japon, sur le vapeur
« Peru ». La visite de M. Porter dans l'Empire du Mikado avait pour
but d'enquêter sur les conditions industrielles de ce pays en ce qui
concerne les conséquences de la concurrence japonaise sur la prospérité
américaine. Après une enquête approfondie des conditions réelles au
Japon, il exprime l'opinion que c'est l'un des problèmes les plus
importants que les États-Unis seront obligés de résoudre. Le danger est,
tout proche, tel que le manifestent l'énorme accroissement de
manufactures japonaises dans les cinq dernières années, et les
prodigieuses ressources du Japon en main-d’œuvre capable et à bon
marché. L'exportation japonaise des seuls textiles a augmenté de 511 000
$ à 23 000 000 de $ dans les dix dernières années, et leurs
exportations totales ont passé de 78 000 000 de $ à 300 000 000 de $
dans la même période, déclara M. Porter. L'an dernier, le Japon a acheté
pour une valeur de 2 500 000 $ de notre coton brut, mais nous avons acheté
au Japon diverses marchandises pour un montant de 54 000 000 de $.
« Pour illustrer l'accroissement rapide, il fait mention des allumettes
que le Japon fabriquait, il y a dix ans, pour une valeur de 60 000 $,
surtout pour la consommation intérieure, tandis que l'an dernier, la
production totale fut d'une valeur de 4 700 000 $ destinée presque en
totalité à l'Inde. Il y a dix ans, des paillassons et des tapis furent
exportés pour une valeur de 885 $ ; l'an dernier, les mêmes articles le
furent pour une valeur de 7 000 000 de $. Ils sont capables d'arriver à
un tel résultat grâce, à la fois, à des machines modernes et à la
main-d’œuvre la plus docile du monde. Ils n'ont pas de lois sur les
usines et peuvent employer des enfants de n'importe quel âge. Des enfants
de sept, huit et neuf ans travaillent une journée entière pour un ou
deux « cents » américains par jour .
« En raison de la demande croissante de notre coton et
l'accroissement de leurs exportations de marchandises manufacturées dans
notre pays, un syndicat japonais s'est formé pendant que j'étais là-bas,
au capital de 5 000 000 de $, en vue de créer et d'exploiter trois
nouvelles lignes maritimes entre le Japon et ce pays-ci, les ports américains
choisis étant Portland, Oregon, Philadelphie et New York ».
Le reporter eut une entrevue avec M. S. Asam, de Tokio (Japon), délégué
du syndicat maritime susmentionné, qui arriva en même temps que M.
Porter, sur le même vapeur, afin de faire des contrats pour la
construction desdits vapeurs. Il expliqua que, récemment, le gouvernement
japonais avait offert une importante subvention pour des bâtiments de
plus de 6 000 tonneaux entre les États-Unis et le Japon, et que leur
syndicat s'était formé pour obtenir le même avantage, et que tous les
bateaux qu'il construirait seraient plus importants encore — de 9 000
tonneaux environ. — Le syndicat se proposait de faire une très grosse
affaire, et à cette fin, il réduirait considérablement les tarifs «
fret » et « passager ». On envisage pour un voyage entre le
Japon et notre côte du Pacifique un tarif de 9 $ pour les passagers.
LE CONGRÈS DES ÉTATS-UNIS
ENQUÊTE SUR LA CONCURRENCE
JAPONAISE
Il est hors de doute que l'extrait suivant du rapport d'un Comité du
Congrès des E.U. doit être
considéré comme digne de foi, et qu'il confirme pleinement ce qui a été
dit plus haut :
« Washington, le 9 juin 1896. — Le Président Dingley, du Comité des
Finances de la Chambre des députés a fait aujourd'hui un rapport sur la
menace que présente pour les fabricants américains l'invasion annoncée
des produits bon marché de la main-d’œuvre orientale, et sur l'effet
qu'aura la différence de change entre les pays d'étalon-or et ceux d'étalon-argent,
sur les intérêts industriels et agricoles des États-Unis, ces questions
ayant été étudiées par le comité.
« Le rapport dit que le réveil soudain du Japon est suivi d'une
occidentalisation également rapide de ses méthodes industrielles, que si
les Japonais n'ont pas le génie inventif des Américains, leurs facultés
d'imitation sont merveilleuses. Leur standard de vie serait considéré
par les travailleurs des États-Unis comme étant pratiquement l'inanition,
et leurs heures de travail sont, en moyenne de douze par jour. Des
ouvriers habiles comme forgerons, charpentiers, maçons, compositeurs
d'imprimerie, tailleurs et plâtriers reçoivent dans les villes
japonaises de 26 à 33 « cents » seulement, et des ouvriers d'usine
de 5 à 20 « cents » par jour dans notre monnaie — près du
double dans la monnaie d'argent japonaise — tandis que les ouvriers
agricoles reçoivent 1,44 $ par mois.
« Le rapport continue : les Européens et les Américains se rendent
compte du champ avantageux qui s'offre à, l'investissement et à
l'installation d'usines. Soixante et une filatures de coton, dirigées
ostensiblement par des compagnies japonaises mais aidées par des Européens,
et plusieurs petites soieries fonctionnent, avec un peu plus d'un demi-million
de broches. Le Japon fabrique la plupart des marchandises en coton nécessaires
aux besoins limités de son propre peuple, et il commence à exporter des
tissus et des mouchoirs de soie à bon marché.
« Récemment, une fabrique de montres a été installée par des Américains
avec des machines américaines, bien que le fonds soit aux noms de
Japonais ; jusqu'en 1899, en effet, il ne sera pas permis aux étrangers
de faire marcher des affaires en leurs propres noms. Le progrès réalisé
indique que l'entreprise se prouvera un succès.
« Il est probable que l'introduction rapide des machines au Japon
produira, en quelques années, de belles cotonnades, de belles soieries et
d'autres articles, dans lesquels le coût de la main-d’œuvre ici est un
élément important dans la production, un concurrent plus grave sur nos
marchés que ne l'ont été les productions de la Grande-Bretagne, de la
France et de l'Allemagne.
« D'après M. Dingley, la concurrence différera, non en genre, mais en
degré, avec la concurrence européenne. Le comité ne connaît aucun remède,
en dehors de l'interdiction absolue appliquée rigoureusement contre les
marchandises provenant du travail forcé, sauf l'imposition de droits de
douane sur des marchandises de concurrence, égaux à la différence entre
le prix de revient et le prix de vente. On avance l'argument suivant pour
justifier cette politique : ce faisant, on atteint un double but, la
perception de revenus pour soutenir le gouvernement et l'introduction de
la concurrence dans nos marchés sur la base de nos salaires plus élevés.
On ne fait pas cela, dit-on, pour le bénéfice du fabricant dans ce pays,
car le fabricant n'a qu'à aller tout simplement en Angleterre ou au Japon
pour se mettre sur la même base où il est placé ici sous le poids des
droits de douane frappant les importations de concurrence, droits équivalents
à la différence des salaires ici et là ; mais on le fait pour procurer
à tout le peuple les bénéfices qui proviennent de l'intérieur plutôt
que de la production étrangère ».
Le gouvernement japonais n'accorde aucune protection aux brevets étrangers.
Il achète les machines-outils les plus précieuses du monde civilisé et
les fait ensuite reproduire à bon marché par ses artisans peu payés
qui, bien que manquant d' « originalité » sont, à
l'instar des Chinois, de merveilleux imitateurs. De cette manière ses
machines coûteront moins de la moitié de ce qu'elles coûtent ailleurs,
et bientôt, le Japon sera prêt à vendre à la chrétienté soit ses
propres machines brevetées, soit ses produits manufacturés.
Sous le titre « Concurrence japonaise », le San Francisco
Chronicle écrivait :
« Une autre paille (ou « indication » — Trad.) qui montre
de quel côté souffle le vent de la concurrence japonaise est le
transfert d'une grande manufacture de paillassons de Milford (Ct.), à Kobé,
l'un des centres industriels du Japon. Ceux qui affectent de faire fi de
la concurrence japonaise et de parler d'un ton cavalier de la supériorité
de l'intelligence occidentale, négligent entièrement le fait que la
mobilité des capitaux est telle qu'on peut aisément les transférer dans
les pays où l'on peut trouver de la main-d'œuvre à bon marché, de
sorte que tout ce qui est nécessaire c'est, pour les intelligences supérieures
de l'Amérique et de l'Europe, d'inventer des machines ; alors les détenteurs
de capitaux peuvent les acheter et les transférer dans les pays où l'on
peut les faire fonctionner à meilleur marché ».
l'Hon. Robert P. Porter, don, il a été question plus haut, a écrit, il
y a quelque temps, un article dans le North American Rewiew, dans
lequel il fait remarquer que, malgré les tarifs douaniers des États-Unis
contre les marchandises de fabrication étrangère, les Japonais empiètent
rapidement sur les manufactures des États-Unis. Ils peuvent le faire (1)
à cause de leur main-d’œuvre à bon marché et patiente, et (2) à
cause de l'avantage de un cent pour cent de leur étalon-argent sur
l'étalon-or des pays civilisés, qui peut plus que compenser n'importe
quel tarif douanier considéré comme possible.
Nous donnons ci-dessous quelques extraits de l'article en question :
« Les Japonais ont, métaphoriquement parlant, lancé leurs chapeaux
dans le marché américain et mis au défi notre capital et notre travail
avec des marchandises qui, du point de vue de l'excellence et du bon marché,
semblent pour le moment, braver la concurrence, même en ayant à sa
disposition les instruments les plus perfectionnés ».
Après avoir donné un tableau-statistique des divers articles japonais
importés aux États-Unis, il dit :
« Au cours des quelques derniers mois, j'ai visité les régions du Japon
et inspecté les industries qui figurent au tableau ci-dessus.
L'accroissement des exportations de textiles, qui a été, en dix ans,
quarante fois ce qu'il était autrefois, est dû au fait que le Japon est
une nation de tisserands ».
Il semble que les Japonais soient en train d'envoyer en Amérique de
grandes quantités de soieries à bon marché et toutes sortes de
marchandises à bon marché, mais ce qu'ils ont fait n'est pour ainsi dire
rien à côté de ce qu'ils s'apprêtent à faire :
« Il semble que les Japonais font tout ce qu'il faut, par le moyen de
guildes et d'associations, pour améliorer la qualité et pour augmenter
l'uniformité de leurs tissus ». Incidemment, M. Porter fit savoir que
les filatures de coton du Lancashire (Angleterre) qui n'ont aucune
protection, sont condamnées. Au Japon, dit-il :
« Le filage du coton, en 1889, n'employait que 5 394 femmes et 2 539
hommes. En 1895, plus de 30 000 femmes et 10 000 hommes étaient employés
dans des filatures dont l'équipement et le rendement sont à la hauteur
de ceux de n'importe quel pays. La future situation de l'industrie cotonnière,
du moins pour approvisionner le commerce asiatique, sera certainement en
Chine et au Japon. L'Angleterre est condamnée pour ce qui concerne ce
commerce, et rien ne peut la sauver, pas même l'emploi des deux étalons,
or et argent, comme certains l'imaginent. Les filatures de coton se développent
rapidement, à la fois a Osaka et
à Shanghaï, et seule, une expérience d'un certain nombre d'années, démontrera
laquelle de ces deux situations est la meilleure. Mon jugement personnel,
d'après un examen attentif de chaque détail dans le coût de la
production, est que ce sera le Japon.
« Si le Japon devait entreprendre la manufacture de tissus de laine peignée,
comme il l'a fait pour le coton, ses tisserands pourraient réserver à
I'Europe et à l'Amérique quelques surprises et confondre ceux qui prétendent
qu'il n'y a rien à craindre de la concurrence japonaise. Un
approvisionnement constant de laine à bon marché venant d'Australie rend
cela possible, tandis que les échantillons de tissus japonais de laine
peignée et d'étoffes pour robes que j'ai examinés là-bas, montrent que,
dans cette branche de textiles, les Japonais se trouvent aussi à l'aise
que pour la soie et le coton. Ils travaillent également bien le fin lin,
bien que jusqu'ici les quantités produites soient petites.
« L'afflux soudain du parapluie [ou de l'ombrelle, ou des deux —
Trad.], quelque chose comme 2
000 000 exportés en une année, a provoqué de l'inquiétude parmi les
fabricants de parapluies aux
États-Unis ».
Les Japonais eux-mêmes n'hésitent pas à se vanter de leur
triomphe prochain dans la «
guerre industrielle ».
M. Porter déclara :
« Au Japon, j'eus le plaisir de rencontrer, parmi d'autres hommes d'État
et officiels, M. Kaneko, secrétaire d'État à l'Agriculture
et au Commerce ; je trouvai en lui un homme intelligent et prévoyant,
ayant une très grande expérience en matières économiques et
statistiques. Il a fait ses études dans l'une des grandes universités
européennes, et il est à la hauteur de l'esprit du siècle pour tout ce
qui a rapport au Japon et à son avenir industriel et commercial ».
Plus tard, M. Kaneko fit un discours à une Chambre de Commerce, dans
lequel, il déclara :
« Les filateurs en coton de Manchester [Angleterre] passent pour
avoir dit que s'il a fallu aux Anglo-Saxons trois générations avant de
devenir des ouvriers habiles et compétents pour le filage du coton, les
Japonais ont acquis l'adresse nécessaire dans cette industrie en dix ans
de temps, et ils sont arrivés maintenant à un degré tel qu'ils
surpassent les ouvriers de Manchester en habileté ».
D'une dépêche, venant de San Francisco, nous citons ce qui suit :
« M. Oshima, directeur technique des futures aciéries au Japon et quatre
ingénieurs japonais, sont arrivés sur le vapeur « Rio-de-Janeiro »,
venant d'Yokohama. Ils sont en tournée d'inspection pour visiter les
grandes aciéries d'Amérique et d'Europe, et sont chargés d'acheter une
usine au prix de 2 000 000 de $. Ils déclarent qu'ils achèteront la où
ils trouveront au mieux et le moins cher. L'aciérie doit avoir une
capacité de 100 000 « tons » [1 « ton » = 1016 kg en Angleterre et
908 kg aux E.U. — Trad.]. Elle sera construite dans les bassins
houillers au sud du Japon, et l'on y fabriquera aussi bien l'acier Martin
que l'acier Bessemer.
« M. Oshima déclara : « Nous voulons placer notre nation au rang qui
lui est dû, à l'avant-garde, comme nation industrielle. Nous aurons
besoin d'une immense quantité d'acier et nous ne voulons pas dépendre
sur ce point de n'importe quel autre pays ».
Juste après le Japon vient l'Inde, avec sa population de 250 000 000
d'habitants, et ses industries qui se développent rapidement ; ensuite
vient la nouvelle République chinoise, avec ses 400 000 000 d'habitants,
devenue par sa récente rébellion consciente de la civilisation
occidentale qui a permis au Japon avec seulement 40 000 000 d'habitants de
la conquérir. Li Hung Chang, le feu Premier ministre de Chine, fit le
tour du monde il y a quelques années, à la recherche d'instructeurs américains
et européens pour son peuple, et il exprima franchement son intention
d'inaugurer des réformes dans chaque ministère. Tel est l'homme qui fit
une si grande impression sur le général Grant des États-Unis lors de sa
tournée dans le monde, et qu'il déclara, selon son jugement, être l'un
des hommes d'État les plus capables du monde.
Ce rassemblement des extrémités de la terre signifie que les fabricants
britanniques, américains, allemands et français vont avoir sous peu
comme concurrents des gens qui, récemment encore étaient d'excellents
clients ; des concurrents dont les talents supérieurs non seulement les
chasseront des marchés étrangers, mais envahiront leurs propres marchés
intérieurs ; des concurrents qui, de cette manière, enlèveront le
travail des mains de leurs ouvriers, et les priveront des objets de luxe,
et même prendront le pain de leur bouche à cause de la concurrence des
salaires. Il n'est donc pas surprenant que l'Empereur allemand ait dépeint
les nations d'Europe comme effrayées par un spectre s'élevant de
l'Orient et menaçant de destruction la civilisation.
Pourtant, on ne peut arrêter ce processus. Il fait partie de l'inévitable,
opérant sous la loi de l'Offre et de la Demande qui dit : achetez ce que
vous pouvez obtenir de mieux au plus bas prix possible — la main-d’œuvre
aussi bien que la marchandise. La seule chose qui peut et qui le fera
couper court et arrêter la pression commencée maintenant et qui doit
devenir plus intense aussi longtemps que continuera la loi d’égoïsme,
c'est le remède que Dieu a préparé, le Royaume de Dieu avec sa nouvelle
loi et sa complète réorganisation de la société sur la base de l'amour
et de l'équité.
Si les peuples de l'Europe et de l'Amérique ont eu pour client le monde
entier, non seulement pour les produits manufacturés, mais également
pour les machines, et que néanmoins, ils sont parvenus à un point où la
production est supérieure à la demande, et où des millions de leurs
habitants cherchent en vain un emploi, même avec de bas salaires, que
peuvent-ils espérer pour le proche avenir, lorsque le nombre des
concurrents aura plus que doublé ? La croissance naturelle de la
population viendra également ajouter au dilemme. Cette perspective ne
serait pas aussi défavorable et si désespérément sombre, s'il n'y
avait pas le fait que ces presque sept cent millions de nouveaux
concurrents sont les gens les plus dociles, les plus patients et les plus
économes qu'on puisse trouver dans le monde Si les travailleurs européens
et américains peuvent être dominés par le Capital, à plus forte raison
peuvent l'être ceux qui n'ont jamais connu autre chose que l'obéissance
obéissance à des maîtres.
LA SITUATION DES
TRAVAILLEURS EN ANGLETERRE
M. Justin Mc Carthy, écrivain anglais bien connu, a déclaré un jour
dans un article paru dans le journal Cosmopolis :
« Les maux engendrés par le paupérisme et le manque d'emploi devraient
inspirer plus de terreur au cœur de l'Angleterre que n'importe quelle
menace d'une invasion étrangère. Mais les hommes d'État anglais n'ont
jamais pris cette erreur au sérieux, et ne s’en sont guère préoccupé.
On a même laissé libre cours aux difficultés provoquées par des
disputes entre patrons et ouvriers, d'un côté la grève et de l'autre le
lock-out, sans essayer réellement d'y remédier par voie législative. La
raison en est que l'on permet à, n'importe quel sujet d'accaparer notre
attention plutôt que celui de la condition de notre propre peuple ».
On rapporte que Keir Hardie (membre du Parlement et Chef travailliste)
aurait dit, au cours d'une interview :
« Le trade-unionisme est dans une mauvaise condition en Angleterre. Je
crains parfois qu'il ne soit pratiquement mort. Nous, travailleurs, sommes
en train d'apprendre que le capital sait se servir de son argent pour
s'organiser, et que de cette manière il arrive à nous battre. Les
industriels ont appris un moyen de l'emporter sur leurs ouvriers et ces
derniers sont pratiquement sans défense. Voici longtemps que les
trade-unions n'ont gagné aucune grève importante à Londres. Nombre des
unions ouvrières autrefois puissantes, sont actuellement sans force. Cela
est particulièrement vrai des dockers. Vous souvenez-vous de la grande grève
des docks ? Eh bien, elle a tué leur union sans venir en aide en quoi que
ce soit aux hommes. La situation des trade-unions à Londres est
affligeante.
« The Independent Labour Party [parti politique travailliste — Trad.]
est socialiste. Nous serons satisfaits seulement lorsque le socialisme
aura triomphé par l'établissement du socialisme municipal, national,
industriel. Nous savons ce que nous voulons et nous le voulons tous. Nous
ne désirons pas combattre pour l'obtenir, mais si nous ne pouvons
l'obtenir sans combattre, nous combattrons, et cela avec la dernière énergie.
Le but avoué du Parti travailliste indépendant est de fonder une république
ou communauté industrielle qui aurait à sa base la socialisation (ou
nationalisation — Trad.) des terres et du capital industriel. Nous
croyons que les divisions politiques naturelles doivent avoir lieu sur le
plan économique.
« Des maux du système actuel, je dois dire que la plus grande oppression
individuelle qui pèse sur les travailleurs britanniques, est causée par
l'irrégularité et l'incertitude de l'emploi. Vous savez peut-être que
je me suis fait une spécialité de cette question, et que je parle de
faits lorsque le dis que, dans les Iles britanniques, il y a plus de 1 000
000 de travailleurs adultes valides qui ne sont ni des ivrognes, ni des
paresseux, ni d'intelligence au-dessous de la moyenne, mais qui sont
encore sans emploi sans qu'il y ait faute de leur part, et totalement
incapables d'obtenir du travail. Les salaires paraissent être plus élevés
qu'ils ne l'étaient il y a un demi-siècle, mais si on prend en considération
la perte de temps due au manque d'emplois on se rend compte que la
condition du travailleur a réellement rétrogradé. Un salaire, petit
mais sûr, produit un confort plus grand qu'une somme plus élevée gagnée
d'une manière irrégulière. Si le droit de gagner un salaire suffisant
pour vivre était assuré à chaque travailleur, la plupart des questions
qui nous affligent seraient résolues d'une manière naturelle. Il est
certain que la situation est triste. Au cours du temps terriblement froid
qu'il a fait récemment, des chantiers de secours furent ouverts où des
hommes purent avoir quatre heures de travail de balayage des rues à
raison de 6 « pence » de l'heure [6 « pence » = 1/2 shilling, soit la
1/40e partie d'une « livre sterling » anglaise — Trad.].
Des milliers se rassemblèrent en dehors des portes du chantier dès 4
heures du matin afin de se trouver parmi les premiers. Ils se tinrent là
debout, frissonnant et tremblant de froid, à demi-affamés et remplis de
désespoir, jusqu'à 8 heures du matin à l'ouverture des portes. La ruée
qui s'ensuivit fût presque une émeute. Des hommes furent piétinés à
mort dans cette horrible bousculade pour avoir l'occasion de gagner deux
shillings (48 « cents »). Les lieux furent saccagés. Une masse compacte
d'hommes affamés, poussés par derrière par d'autres milliers, crevèrent
les murs et les portes dans leur désir ardent de trouver du travail. Ces
hommes n'étaient pas des paresseux.
« Le salaire horaire moyen des manœuvres à Londres, même quand il
se maintient au taux des trade-unions, n'est que de 6 « pence ».
En province, il est moindre. Une étude sérieuse a montré qu'il faut au
moins 3 « guineas » [1 « guinea » = 21 shillings, soit 1 livre
sterling + 1 shilling — Trad.] par semaine à une famille moyenne (deux
adultes et trois enfants) pour vivre convenablement sans luxe. Très peu
d'ouvriers en Angleterre reçoivent cette somme ou à peu près. L'ouvrier
qualifié est privilégié s'il gagne 2 guineas par semaine toute l'année,
et un travailleur a de la chance s'il réussit à gagner 24 shillings
(5,84 dollars — à l'époque — Trad.) par semaine, salaire sur lequel
il doit prélever le tiers pour le loyer. Ainsi, dans les classes de
travailleurs les mieux rétribuées, la famille ne peut que côtoyer la
pauvreté. Une très courte période de chômage, d'oisiveté forcée,
suffit invariablement à la jeter dans une situation très pénible. Voilà
pourquoi nous avons tant d'indigents.
« Londres compte maintenant [à l'époque — Trad.] 4 300 000
habitants. Soixante mille familles (300 000 personnes) ont en moyenne par
semaine un revenu par famille de moins de 18 shillings, et vivent dans une
condition de gêne chronique. Une personne sur huit meurt dans un hospice
ou dans un hôpital. Une personne sur seize de la population actuelle de
Londres est considérée présentement comme indigente. Chaque jour, 43
000 enfants arrivent à l'école primaire sans avoir déjeuné. Trente
mille personnes n'ont d'autres foyers que des réduits à 4 « pence »
par nuit ou autres logements de fortune ».
Les statistiques précitées montrent que quelques années suffiront
amplement pour permettre à cette concurrence de se développer. Ainsi, le
Tout-Puissant amène-t-Il les masse de toutes les nations à se rendre
graduellement compte du fait que, tôt ou tard, les intérêts de l'un
doivent être les intérêts de l'autre, et que chacun doit être le
gardien de son frère s'il veut préserver son propre bien-être.
Il n'est pas non plus sage ni juste d'accuser le Capital de faire la chose
même que fait le Travail et qu'il a toujours fait, cherchant son avantage
personnel. En vérité, nous pouvons tous voir que les aspirations de
certains pauvres sont également aussi égoïstes que celles de certains
riches ; nous pouvons même imaginer que si certains de ceux
qui sont actuellement pauvres obtenaient la position de riches, ils
deviendraient plus durement exigeants et moins généreux que leurs maîtres
actuels. Ne haïssons donc pas et n'accusons donc pas les riches mais plutôt
haïssons et stigmatisation l'égoïsme général et individuel qui est
responsable des conditions et des maux actuels. Et tout en abhorrant complètement
l'égoïsme, que chacun prenne la résolution, par la grâce du Seigneur,
de mettre à mort (de tuer) journellement l'égoïsme qui lui est propre,
et que de plus en plus il cultive l'amour qui s'oppose à I’égoïsme,
qu'ainsi il se conforme à l'image du Fils bien-aimé de Dieu, notre
Sauveur et Seigneur.
LES PAROLES PROPHÉTIQUES
DE L'HON. JOSEPH CHAMBERLAIN
A DES OUVRIERS BRITANNIQUES
Remarquez l'opinion de Joseph Chamberlain, qui fut autrefois le secrétaire
de la Grande-Bretagne aux Colonies, et l'un des chefs d'État les plus
subtils de notre époque. Recevant une délégation d'ouvriers cordonniers
en chômage venus pour soutenir l'idée de fabriques municipales, il leur
montra clairement que ce qu'ils désiraient ne les aiderait pas réellement,
sauf pour un temps seulement ; que de telles fabriques amèneraient
simplement une surproduction et provoqueraient la fermeture d'autres
fabriques, enlevant ainsi le gagne-pain à d'autres ouvriers qui
travaillaient jusqu'alors. La vraie politique, leur montra-t-il, serait de
développer le commerce avec le monde extérieur, et ainsi de trouver des
clients qui achèteraient plus de chaussures, ce qui leur fournirait
rapidement un débouché. Il déclara :
« Ce que vous avez besoin de faire, ce n'est pas de changer
d'atelier où l'on fabrique les chaussures, mais d'augmenter les demandes
de chaussures. Si vous pouvez recevoir de nouvelles demandes de chaussures,
non seulement ceux qui ont du travail maintenant, mais ceux qui n'en ont
pas, pourront en trouver. Tel devrait être notre grand objectif. En plus
du problème spécial que vous m'exposez, vous devez vous souvenir que,
sur un plan plus général, le grand remède à cette difficulté de
manque d'emploi est de trouver de nouveaux marchés. Nous sommes évincés
des anciens marchés (des marchés des pays neutres, autrefois alimentés
par la Grande-Bretagne) par la concurrence étrangère. Dans le même
moment, des gouvernements étrangers n'acceptent plus nos produits sur
leurs propres marchés ; à moins de pouvoir augmenter les marchés que
nous possédons déjà, ou d'en trouver de nouveaux, cette question de
manque d'emploi qui est déjà grave, le deviendra au maximum, et j'ai les
raisons les plus sérieuses pour être dans l’anxiété quant aux
complications qui pourraient s'ensuivre. Je vous expose le problème dans
ces termes généraux, mais lorsque vous entendez des critiques faites
contre la politique de ce gouvernement ou de celui-là, de tel ou tel
chef, à propos de l'expansion coloniale de l'Empire britannique, je vous
supplie d'avoir à l'esprit qu'il ne s'agit pas là d'une question de
Jingo (*) [« personne qui soutient une politique étrangère
agressive pouvant conduire à la guerre avec d’autres nations » (dic.).]
comme vous êtes parfois amenés à le croire, ce n'est pas une question
d'agression déraisonnable, mais c'est en réalité la question de
poursuivre la ligne de conduite que le peuple anglais a toujours observée
: étendre ses marchés et ses relations avec les lieux peu cultivés de
la terre ; si nous ne le faisons, et ne le faisons continuellement, je
suis certain que, les choses étant sérieuses comme elles le sont
maintenant, nous aurons dans un temps très proche à affronter des conséquences
beaucoup plus sérieuses encore ».
RAPPORT ENTRE L'AGRESSION
NATIONALE
ET LES INTÉRÊTS
INDUSTRIELS
Nous avons ici le secret de l'agression britannique et de l'expansion de
son empire. L'Angleterre n'est pas poussée simplement par le désir de
donner à d'autres nations de plus sages administrateurs et de meilleurs
gouvernements, ni simplement parce qu'elle désire étendre son territoire
et sa puissance : elle agit ainsi parce que cette politique fait
partie de la guerre commerciale la « guerre industrielle ».
Les nations sont conquises, non pour les piller comme on le faisait
autrefois, mais pour les servir — pour s'assurer leur commerce. Dans
cette guerre, la Grande-Bretagne a eu un extraordinaire succès ; c'est
pourquoi ses richesses sont considérables et ses capitaux placés un peu
partout. Étant la première nation à avoir une surproduction, elle
chercha la première à avoir des marchés étrangers, et pendant
longtemps elle fut la filature de coton et l'aciérie du monde extérieur
à l'Europe. L'éveil du machinisme qui suivit la guerre civile des États-Unis,
en 1865, fit pour un temps de ce pays le centre de l'attention du monde et
des affaires. L'éveil de toutes les nations civilisées au machinisme fit
tourner leur attention vers la recherche de débouchés extérieurs. C'est
à cette concurrence étrangère que faisait allusion M.
Chamberlain. Tous les hommes d'État saisissent bien ce qu'il signaIe,
savoir que les marchés du monde sont rapidement en train d'être
approvisionnés, et que le machinisme et la civilisation hâtent
rapidement le moment où il n'y aura plus de marchés extérieurs.
Aussi, comme il l'a sagement déclaré « les choses étant sérieuses
comme elles le sont maintenant, nous aurons dans un temps très proche à
affronter des conséquences beaucoup plus sérieuses encore ».
En 1896, M. Chamberlain reçut, à Londres, en qualité de secrétaire aux
Colonies de l'Empire britannique, des délégués des colonies
britanniques, qui avaient parcouru des milliers de « miles » pour
conférer avec lui et entre eux concernant les meilleurs moyens
d'affronter la concurrence industrielle. Depuis que la Grande-Bretagne a
trouvé que ses ateliers produisaient plus d'articles manufacturés que
n'en pouvait consommer sa population, et qu'elle doit chercher des marchés
à l'extérieur, elle est devenue le défenseur du Libre-échange, et bien
entendu, elle a maintenu ses colonies aussi étroitement qu'il était
possible de le faire dans sa politique de libre-échange, sans recourir à
la force. Le but de cette conférence était de prendre des dispositions
par lesquelles la Grande-Bretagne et ses nombreuses colonies pourraient
dresser une barrière douanière autour d'elles afin de supprimer en
partie la concurrence des États-Unis, de l'Allemagne, de la France et du
Japon.
Les conquêtes de la France, de l'Italie et de la Grande-Bretagne en
Afrique ont la même signification ; elles ressentent en effet
cruellement la guerre commerciale, la voient s'amplifier et voudraient, de
toute nécessité, avoir sous leur domination quelques marchés. La
dépêche de presse suivante est parfaitement claire sur ce sujet :
« Washington, le 9 juin 1896. — Prenant comme point de départ
l'annonce officielle de l'annexion par la France de Tombouctou, le
principal centre du pays de Djallon, région plus grande que l'État de
Pennsylvanie et tout aussi fertile, Strickland, consul des États-Unis à
Gorée-Dakar, a adressé un rapport des plus intéressants au Département
d'État touchant les dangers qui menacent le commerce des États-Unis avec
l'Afrique, en raison de l'extension rapide des possessions coloniales des
nations européennes. Il montre comment les Français, en imposant une
taxe arbitraire de 7 % sur les marchandises étrangères, ont monopolisé
les marchés des colonies françaises, et ont ainsi écrasé le commerce
lucratif et croissant dont les États-Unis jouissaient déjà dans cette
partie du monde. Il déclare qu'on a déjà commencé à fortifier le
continent — peut-être tout entier — contre nous par des tarifs
douaniers de protection ; car si une nation peut, même maintenant, agir
ainsi avec efficacité, toutes les autres, en temps voulu, feront en sorte
de normaliser les choses entre elles ».
En vérité, les hommes rendent l'âme de peur et à cause de l'attente
des choses qui viennent sur la terre habitée [la société], et ils se préparent
le mieux qu'ils peuvent à ce qu'ils voient venir.
Mais que personne ne suppose un instant que l' « expansion de
l’Empire britannique » en question, et celles des autres empires
de la terre, ainsi que la guerre commerciale générale, sont entreprises
uniquement dans le but de fournir du travail aux ouvriers britanniques,
italiens et français. Pas du tout ! L'ouvrier n'est qu'un accessoire.
Il s'agit surtout de permettre aux capitalistes britanniques de trouver de
nouveaux débouchés où ils pourront récolter les bénéfices et «
amasser un trésor dans les derniers jours » — Jacques 5 : 3.
LA GUERRE SOCIALE ET
INDUSTRIELLE EN ALLEMAGNE
Herr Liebknecht, chef du parti social démocrate au Reichstag allemand,
visita la Grande-Bretagne en juillet 1896 ; il fut interviewé et ses
paroles relevées dans les colonnes du Daily Chronicle, de Londres,
duquel nous extrayons ce qui suit :
« Notre parti social-démocrate est le parti le plus fort au
Parlement allemand. Aux dernières élections, nous avons recueilli 1 880
000 voix. Nous nous attendons à une dissolution prochaine sur la question
des dépenses que le Reichstag refusera de voter pour la flotte de guerre.
A cette élection, nous comptons recueillir un autre million de voix ».
« — Alors le jingoïsme n'est pas très fort en Allemagne ? »
« — Le jingoïsme n'existe pas en Allemagne. De tous les peuples
d'Europe, les Allemands sont les plus dégoûtés du militarisme. Nous,
socialistes, sommes à la tête du mouvement antimilitariste ».
« — Et pensez-vous que ce mouvement antimilitariste s'étend à
travers l'Europe ? »
« — J'en suis certain. Dans leurs Parlements respectifs, les députés
socialistes (et nous en avons un bon nombre) français, allemands, belges,
italiens et danois combattent le, militarisme à mort. Lorsque le Congrès
international se réunira cette année à Londres, tous les députés
socialistes présents tiendront une réunion en vue de décider une action
commune. En ce qui concerne l'Allemagne, elle est totalement ruinée par
son système militaire. Nous sommes un pays nouveau. Nos industriels sont
tous jeunes, et si nous avons à rivaliser avec l'Angleterre... »
« — Alors, vous aussi, vous réclamez à grands cris à cause de
la concurrence étrangère ? »
« — Bien entendu ! Pour nous, c'est une question vitale. Comme je vais
vous le montrer, nous n'avons aucune liberté de la presse et aucune
liberté de réunion publique. Vous autres, au contraire, avez les deux et
c'est ce qui m'explique que le système économique actuel est plus
profondément et fermement enraciné en Angleterre que partout ailleurs ;
par-dessus tout, nous devons lutter contre la doctrine du droit divin des
rois tandis que vous, Anglais, avez découvert il y a deux cents ans, que
le droit divin des rois et la liberté politique du peuple ne pouvaient
coexister ».
« — Alors, vous vous attendez à de grands changements sous peu ? »
« — Oui. Le système actuel en Allemagne engendre un tel mécontentement
que ces changements doivent arriver ».
« — Et maintenant, pouvez-vous me dire quelque chose au sujet de la
position économique de l'Allemagne ? Vous avez là-bas, comme nous
l'avons ici, un problème agraire ».
« — Nous avons en Allemagne cinq millions de propriétaires
paysans, et tous vont à la ruine aussi vite qu'ils le peuvent. Chacun
d’eux — et je pèse mes mots — est hypothéqué pour la valeur entière,
et même davantage, de ses propriétés. Nos paysans vivent de pain fait
avec un mélange de seigle et d'avoine. En fait, la nourriture de toutes
espèces est meilleur marché en Angleterre qu'en Allemagne ».
« — Et vos industries ? »
« — Comme pays industriel, nous n'en sommes qu'à a nos débuts.
Notre système industriel actuel date seulement de 1850, mais déjà ses résultats
deviennent supérieurs à ceux de votre pays. Nous nous divisons
rapidement en deux classes : les prolétaires, et les capitalistes et les
propriétaires fonciers. Nos classes moyennes sont littéralement balayées
par les conditions économiques qui prévalent. Elles sont rejetées dans
les classes qui travaillent, et c'est à cela plus qu'à n'importe quelle
autre chose que j'attribue le succès extraordinaire de notre parti.
« Vous devez vous souvenir que nous n'avons pas deux partis nettement déterminés
comme vous en avez en Angleterre. Nous autres, socio-démocrates, nous
travaillons avec n'importe quel parti pourvu que nous puissions obtenir
quelque chose pour nous. Nous avons seulement trois grands partis, les
autres peuvent être ignorés. Il y a notre parti, le parti conservateur
et le parti du Centre catholique. Nos conservateurs sont très différents
des vôtres. Ils veulent retourner au régime de la féodalité et de la
pire réaction. Les conditions économiques sont en train de créer une
scission dans le parti du Centre, dont une partie se joindra à nous et le
reste aux conservateurs. Et alors, nous verrons ce qui arrivera ».
« Herr Liebknecht fit l'historique du mouvement socialiste. La rapidité
avec laquelle s'est développée la démocratie sociale en Allemagne a été
provoquée par la nouveauté du commercialisme industriel dans ce pays, et
par la dure concurrence que l'Allemagne a dû affronter pour pouvoir
suivre l'Angleterre et la France dans la lutte pour la suprématie
commerciale ».
On remarquera que les questions reconnues par cet homme capable comme étant
celles qui pèsent sur le peuple et provoquent sa détresse et sa
division en deux classes — les pauvres et les riches — sont ainsi
clairement énoncées comment étant : (1) la question agraire ou foncière,
affectant en particulier les agriculteurs ; (2) la question économique,
ou question monétaire, y compris les rapports entre le Capital et le
Travail ; (3) la question industrielle, ou la question de trouver un
emploi lucratif des machines — associée à la concurrence étrangère
et à la concurrence intérieure, l'offre et la demande, etc. Ce sont là
les mêmes questions qui embarrassent chaque nation civilisée, et préparent
la voie au « trouble » mondial qui approche — révolution, anarchie
— en vue du Royaume millénaire.
Herr Liebknecht assista, comme délégué au Congrès des trade-unions à
Londres, en juillet 1896. A ce Congrès, on adopta la résolution suivante
:
« Le présent congrès international des travailleurs reconnaît que la
paix entre les nations du monde est une base essentielle de la fraternité
internationale et du progrès humain ; il est convaincu que les peuples de
la terre ne désirent pas de guerres, mais que celles-ci sont causées par
la rapacité et l'égoïsme des classes dirigeantes et privilégiées dans
le seul but de mettre la main sur les marchés du monde dans leurs propres
intérêts et contre tous les vrais intérêts des travailleurs. Le congrès
déclare qu'il n'existe absolument aucun différend entre les travailleurs
des différentes nationalités, que leurs seuls ennemis communs sont les
capitalistes et les propriétaires fonciers, que le seul moyen d'empêcher
les guerres et d'assurer la paix est d'abolir le système du capitalisme
et de la propriété foncière de la société dans lequel les guerres ont
leur racine en conséquence, le congrès s'engage à travailler au seul
moyen par lequel ce système peut être renversé — la socialisation des
moyens de production, de distribution et d'échange — ; il déclare en
outre que jusqu'à ce que cela soit réalisé, chaque différend entre des
nations devrait être réglé par l'arbitrage au lieu de l'être par la
brutalité de la force des armes ; ce congrès reconnaît aussi que l'établissement
d'une journée internationale de huit heures pour tous les travailleurs
est l'étape la plus immédiate vers leur émancipation finale, et plaide
avec insistance auprès des gouvernements de tous les pays la nécessité
d'avoir, par voie légale, une journée de huit heures de travail ; de
plus, le congrès considère que la classe ouvrière ne peut obtenir son
émancipation économique et sociale qu'en retirant les rouages politiques
actuels des mains de la classe capitaliste ; considérant que, dans tous
les pays, un grand nombre de travailleurs et de travailleuses ne possèdent
pas le droit de vote et ne peuvent prendre part à l'action politique, ce
congrès de travailleurs s'engage à faire tous les efforts nécessaires
pour obtenir le suffrage universel ».
AUTRES ENNEMIS DE
L’HUMANITÉ
LES GÉANTS DE NOTRE ÉPOQUE
Un autre conséquence de la concurrence a été l'organisation de
puissantes corporations dans le commerce et l'industrie. Ce sont
d'importants éléments en préparation pour le « feu » à venir. Devant
ces corporations géantes, les petits commerçants et industriels sont
rapidement réduits à l'impuissance, parce qu'ils ne peuvent ni acheter
ni vendre dans les conditions aussi favorables que le peuvent les grandes
maisons commerciales et industrielles. A leur tour, ces dernières, voyant
s'ouvrir le champ d'une plus grande activité, s'associent entre elles
pour former des « trusts ». Ces trusts qui, à l'origine,
avaient été organisés pour empêcher la concurrence de les détruire
tous, sauf les plus forts, travaillent à la grande satisfaction des
capitalistes et des administrations qu'ils représentent. Ce mode
d'exploitation commerciale et industrielle se répand partout, la Grande République
dirigeant le monde dans cette direction. Remarquez la liste suivante publiée
dans le numéro du 2 septembre 1896 du journal World de New York,
sous le titre « Le développement des trusts ».
« LISTE DE 139
ASSOCIATIONS POUR RÉGLER LA PRODUCTION,
FIXER LES PRIX, MONOPOLISER
LE COMMERCE
ET VOLER LE PEUPLE AU MÉPRIS
DE LA LOI »
Raison
sociale
|
Capital
|
|
$
|
Dressed Beef and Provision Trust [bœuf préparé]
|
100 000 000
|
Sugar Trust, New York [sucre]
|
075 000 000
|
Lead Trust [plomb]
|
030 000 000
|
Rubber Trust, New Jersey [caoutchouc]
|
050 000 000
|
Gossamer Rubber Trust [imperméables]
|
012 000 000
|
Anthracite Coal Combine, Pennsylvania [anthracite] (*)
[Estimation]
|
085 000 000
|
Axe Trust [haches]
|
015 000 000
|
Barbed Wire Trust, Chicago [fil barbelé] (*)
|
010 000 000
|
Biscuit and Cracker Trust [biscuits]
|
012 000 000
|
Bolt and Nut Trust [boulons et écrous] (*)
|
010 000 000
|
Boiler Trust, Pittsburg, Pa. 1 chaudières] (*)
|
015 000 000
|
Borax Trust, Pennsylvania [borax] (*)
|
002 000 000
|
Broorn Trust Chicago [balais] (*)
|
002 500 000
|
Brush Trust. Ohio [brosses] (*)
|
002 000 000
|
Button Trust [boutons] (*)
|
003 000 000
|
Carbon Candle Trust, Cleveland [bougies] (*)
|
003 000 000
|
Cartridge Trust [papier cartouche] (*)
|
010 000 000
|
Casket and Burial Goods Trust [pompes funèbres] (*)
|
001 000 000
|
Castor Oil Trust, St. Louis [huile de ricin]
|
000 500 000
|
Celluloid Trust [celluloïd]
|
008 000 000
|
Cigarette Trust, New York [cigarettes]
|
025 000 000
|
Condensed Milk Trust, Illinois [lait condensé]
|
015 000 000
|
Copper Ingot Trust [lingots de cuivre] (*)
|
020 000 000
|
Sheet Copper Trust [cuivre en feuilles] (*)
|
040 000 000
|
Cordage Trust, New Jersey [cordages]
|
035 000 000
|
Crockery Trust [poteries] (*)
|
015 000 000
|
Cotton Duck Trust [toile à voiles]
|
010 000 000
|
Cotton-Seed Oil Trust [huile de coton]
|
020 000 000
|
Cotton Thread Combine, New Jersey [fil de coton]
|
007 000 000
|
Electric Supply Trust [fournitures électriques] (*)
|
010 000 000
|
Flint Glass Trust, Pennsylvania [flint-glass]
|
008 000 000
|
Fruit Jar Trust [bocaux à fruits] (*)
|
001 000 000
|
Galvanized Iron Steel Trust, Pennsylvania [acier galvanisé] (*)
|
002 000 000
|
Glove Trust, New York [gants] (*)
|
002 000 000
|
Harvester Trust [moissonneuses] (*)
|
001 500 000
|
Hinge Trust [charnières]
|
001 000 000
|
Indurated Fibre Trust [fibre durcie]
|
000 500 000
|
Leather Board Trust [cuir] (*)
|
000 500 000
|
Lime Trust [chaux] (*)
|
003 000 000
|
Linseed Oil Trust [huile de lin]
|
018 000 000
|
Lithograph Trust, New Jersey [lithographie]
|
011 500 000
|
Locomotive Tire Trust [bande de roue de
locomotive] (*)
|
002 000 000
|
Marble Combine [marbre] (*)
|
020 000 000
|
Match Trust, Chicago [allumettes]
|
008 000 000
|
Morocco Leather Trust [cuir marocain] (*)
|
002 000 000
|
Oatmeal Trust, Ohio [farine d'avoine] (*)
|
003 500 000
|
Oilcloth Trust [toile cirée] (*)
|
003 500 000
|
Paper Bag Trust [sacs de papier]
|
002 500 000
|
Pitch Trust [bitume] (*)
|
010 000 000
|
Plate Glass Trust, Pittsburg, Pa. [glaces] (*)
|
008 000 000
|
Pocker Cutlery Trust [coutellerie de poche] (*)
|
002 000 000
|
Powder Trust [poudre]
|
001 500 000
|
Preservers' Trust, West Virginia [fabriques de conserves] (*)
|
008 000 000
|
Pulp Trust [pâte à papier] (*)
|
005 000 000
|
Rice Trust, Chicago [riz]
|
002 500 000
|
Safe Trust [coffres-forts]
|
002 500 000
|
Salt Trust [sel] (*)
|
001 000 000
|
Sandstone Trust, New York [grès] (*)
|
001 000 000
|
Sanitary Ware Trust, Trenton, N.J. [articles sanitaires]
|
003 000 000
|
Sandpaper Trust [papier de verre] (*)
|
000 250 000
|
Sash, Door and Blind Trust [fenêtres, portes et persiennes] (*)
|
001 500 000
|
Saw Trust, Pennsylvania [scies]
|
005 000 000
|
School Book Trust, New York [livres scolaires] (*)
|
002 000 000
|
School Furniture Trust, Chicago [mobilier scolaire]
|
015 000 000
|
Sewer Pipe Trust [tuyaux d'égout]
|
002 000 000
|
Skewer Trust [brochettes]
|
000 060 000
|
Smelters' Trust, Chicago [fonderie]
|
025 000 000
|
Smith Trust, Michigan (*)
|
000 500 000
|
Soap Trust [savon] (*)
|
000 500 000
|
Soda-Water Apparatus Trust, Trenton, N.J. [appareils à soda]
|
003 750 000
|
Spool, Bobbin and Shuttle Trust [bobines, fuseaux et navettes]
|
002 500 000
|
Sponde Trust [éponges] (*)
|
000 500 000
|
Starch Trust, Kentucky [amidon]
|
010 000 000
|
Merchants' Steel Trust [acier]
|
025 000 000
|
Steel Rail Trust [rails] (*)
|
060 000 000
|
Stove Board Trust, Grand Rapids, Mich. [fourneaux]
|
000 200 000
|
Straw Board Trust, Cleveland, O. [paille] (*)
|
008 000 000
|
Structural Steel Trust [poutrelles d'acier pour construction] (*)
|
005 000 000
|
Teazle Trust [chardons à foulon] (*)
|
000 200 000
|
Sheet Steel Trust [plaques d'acier] (*)
|
002 000 000
|
Tombstone Trust [pierres tombales]
|
000 100 000
|
Trunk Trust [malles]
|
002 500 000
|
Tube Trust, New Jersey [tuyaux]
|
011 500 000
|
Type Trust [caractères d'imprimerie]
|
006 000 000
|
Umbrella Trust [parapluies, ombrelles] (*)
|
008 000 000
|
Vapor Stove Trust [calorifères à vapeur] (*)
|
001 000 000
|
Wall Paper Trust, New York [papiers peints]
|
020 000 000
|
Watch Trust [montres]
|
030 000 000
|
Wheel Trust [roues] (*)
|
001 000 000
|
Whip Trust [fouets] (*)
|
000 500 000
|
Window Glass Trust [verre à vitre] (*)
|
020 000 000
|
Wire Trust [fil de fer] (*)
|
010 000 000
|
Wood Screw Trust [vis à bois] (*)
|
010 000 000
|
Wool Hat Trust, New Jersey [chapeaux de laine] (*)
|
001 500 000
|
Wrapping Paper Trust [papier d'emballage] (*)
|
001 000 000
|
Yellow Pine Trust [bois de charpente] (*)
|
002 000 000
|
Patent Leather Trust [cuir verni]
|
005 000 000
|
Dye and Chemical Combine [teinture et produits chimiques] (*)
|
002 000 000
|
Lumber Trust [bois de charpente] (*)
|
002 000 000
|
Rock Salt Combination [sel gemme]
|
005 000 000
|
Naval Stores Combine [fournitures pour bateaux] (*)
|
001 000 000
|
Green Glass Trust [verre à bouteilles]
|
004 000 000
|
Locomotive Trust [locomotives] (*)
|
005 000 000
|
Enveloppe Combine [enveloppes]
|
005 000 000
|
Ribbon Trust [rubans] (*)
|
018 000 000
|
Iron and Coal Trust [fer et charbon]
|
010 000 000
|
Cotton Press Trust [presses à emballer le coton] (*)
|
006 000 000
|
Tack Trust [broquettes] (*)
|
000 300 000
|
Clothes-Wringer Trust [essoreuses] (*)
|
002 000 000
|
Snow Shovel Trust [pelles à neige] (*)
|
000 200 000
|
The Iron League (Trust) [fer] (*)
|
060 000 000
|
Paper Box Trust [boîtes en papier] (*)
|
005 000 000
|
Bitumious Coal Trust [bitume] (*)
|
015 000 000
|
Alcohol Trust [alcool] (*)
|
005 000 000
|
Confectioners' Trust [confiserie] (*)
|
002 000 000
|
Gas Trust [gaz] (*)
|
007 000 000
|
Acid Trust [acide] (*)
|
002 000 000
|
Manilla Tissue Trust [tissu de Manille] (*)
|
002 000 000
|
Carnegie Trust [Carnegie]
|
025 000 000
|
Illinois Steel Trust [acier] (*)
|
050 000 000
|
Brass Trust [cuivre]
|
010 000 000
|
Hop Combine [houblon] (*)
|
000 500 000
|
Flour Trust, New York [farine]
|
007 500 000
|
American Corn Harvesters' Trust [moissonneuses] (*)
|
050 000 000
|
Pork Combine, Missouri [porc] (*)
|
020 000 000
|
Colorado Coal Combine [charbon]
|
020 000 000
|
Bleachery Combine [blanchisserie] (*)
|
010 000 000
|
Paint Combine, New York [peinture] (*)
|
002 000 000
|
Buckwheat Trust, New Jersey [sarrasin]
|
005 000 000
|
Fur Combine, New Jersey [fourrure]
|
010 000 000
|
Tissue Paper Trust [papier de soie] (*)
|
010 000 000
|
Cash Register Trust [caisses enregistreuses] (*)
|
010 000 000
|
Western Flour Trust [farine]
|
010 000 000
|
Steel and Iron Combine [acier et fer]
|
004 000 000
|
Electrical Combine N°. 2 [électricité]
|
001 800 000
|
Rubber Trust N°. 2 [caoutchouc]
|
007 000 000
|
Tobacco Combination [tabac]
|
002 500 000
|
Total
des capitaux
|
1 507 060 000
|
Le même numéro du même journal note la puissance et la tendance
de l'un de ces trusts dans l'éditorial suivant sous le titre « Que
signifie la hausse du charbon » :
« L'augmentation de 1,50 $ au prix de chaque « ton » d'anthracite
signifie que les onze membres du Trust de la houille n'empocheront pas
moins de cinquante et peut-être plus de soixante millions de dollars. En
se basant sur la concurrence de l'automne dernier et des prix avantageux
qui en ont résulté, cet argent appartient légitimement à ceux qui
utilisent la houille.
« L'énorme augmentation du prix de la houille signifie que nombre
d'industriels qui allaient repartir cet automne ne peuvent le faire parce
qu'ils ne peuvent procéder à une telle augmentation au prix de leur
produit et rivaliser encore avec ceux qui obtiennent leur charbon à des
prix normaux. Cela signifie que nombre d'industriels vont devoir diminuer
les salaires pour compenser cette augmentation dans le prix de la
production. Cela signifie que chaque chef de famille ayant de modestes
revenus devra se priver de quelque simple objet de luxe ou de douceurs. Il
faut qu'il achète du charbon, et comme les autorités qu'il a aidé à élire
n'appliqueront pas la loi, il doit payer les prix fixés par les trusts.
Cela signifie, en fin de compte, que les pauvres devront acheter moins de
charbon. Les anciens prix étaient déjà suffisamment élevés. Les
nouveaux prix sont nettement prohibitifs. Aussi, les pauvres devront-ils
grelotter l'hiver prochain.
« D'un côté, on trouve plus de luxe pour quelques-uns. De l'autre côté,
c'est le manque de bien-être, et dans des milliers de cas, une misère
certaine pour la plupart. Entre les deux côtés se trouve la loi violée
et déshonorée ».
Prenez un autre exemple de la puissance des trusts au printemps de 1895
fut formé le Trust des liens à coton (ce lien à coton est un ruban plat
en fer qui sert à mettre le coton en balles). A ce moment-là, ces liens
valaient soixante-dix « cents » le cent. L'année suivante, le
trust décida de prélever un petit bénéfice supplémentaire et fixa le
prix à 1,40 $, le cent, presque au moment même de la mise en balles du
coton alors qu'il était impossible d'importer à temps des liens de l’étranger.
Tous les trusts n'ont pas abusé d'une manière semblable de leur
puissance ; il est possible que des occasions favorables ne se soient
pas présentées à tous, mais personne ne contestera que le « commun
peuple », les masses populaires, courent un grave danger de préjudice
des mains de telles corporations géantes. Chacun sait ce que l'on peut
craindre de la puissance et de l'égoïsme d'un individu, et ces trusts «
géants » non seulement ont immensément plus de puissance et
d'influence que des individus, mais en plus, ils n'ont pas de conscience,
d'où le proverbe « Les corporations n'ont pas d'âme ».
Nous découpons la dépêche suivante dans le Pittsburg Post pour
illustrer
LES BÉNÉFICES DES TRUSTS
« New York, le 5 novembre 1896. — Les administrateurs du Trust de la
Standard Oil se sont réunis aujourd'hui et ont déclaré que le dividende
trimestriel de 3 $ par action et 2 dollars par action supplémentaire
serait payable le 15 décembre.
A l'origine, la valeur totale de l'émission des titres du Trust de la
Standard Oil [huile — Trad.] était de 97 250 000 $. Pendant l'année
fiscale qui vient de s'écouler, on a déclaré 31 % de dividendes, ce qui
fait un total de gains de 30 149 500 $. Au cours de la même période, la
Compagnie américaine de raffinage du sucre, connue sous le nom de trust
du sucre, a payé 7 023 920 $ en dividendes. En plus de ces paiements de bénéfices
aux actionnaires, on dit que le trust a un excédent de sucre brut, des créances
et de l'argent en numéraire s'élevant à environ 30 000 000 de $ ».
Par la suite, le même journal déclarait dans un éditorial :
« Le Wire Nail trust [fil pour fabriquer des clous — Trad.] fut
probablement une des combinaisons financières les plus iniques que l'on
vit dans ce pays ; leurs procédés constituaient une véritable extorsion,
un véritable vol d'argent au public. Il brava ouvertement les lois,
corrompit, malmena et ruina des concurrents ; il dirigea ce commerce d'une
manière autoritaire. Puis, ayant fait cela et augmenté les prix de deux
cents à trois cents pour cent, il distribua des millions parmi ses
membres. Bien entendu, dans ce trust, il n'existe pas d'anarchie. En fait,
ce sont les anarchistes qui élèvent des protestations contre un tel
brigandage et un tel mépris de la loi. C'est du moins ce que pense M. A.
C. Faust, de New Jersey, du trust des clous, qui écrit au World
que ses révélations des excès outrageants du trust « alimentent la
flamme du mécontentement populaire ». C'est bien là une façon de
minimiser les choses. On devrait donc, d'après lui, laisser pleine liberté
aux trusts illégaux et pillards, et ne tolérer aucune tentative de les
tenir en échec ; car « cela alimente la flamme du mécontentement
populaire ». D'un côté, nous avons les gens du pays, de l'autre les
voleurs patentés, les trusts. Mais il ne doit y avoir ni révélations,
ni protestations, sinon « la flamme du mécontentement populaire »
rendrait la vie difficile aux trusts. Pourrait-on aller plus loin dans
l'impudence et l'arrogance ?
« Le trust du charbon dans la production de l'anthracite est
maintenant en train de voler les gens à raison de cinquante millions de
dollars par an, en augmentant de 1,50 $ le prix de la « ton ». Le Rév.
Dr. Parkhurst a présenté l'autre jour ses respects à cette bande
particulière dans les termes suivants : « Si les compagnies houillères,
ou les cartels houillers, ou les trusts du charbon usent de leur puissance
pour drainer dans leur propre caisse autant d'argent de l'homme pauvre
qu'ils peuvent ou qu'ils osent lui prendre, avec pour résultat
l'appauvrissement des pauvres, la diminution de leur bien-être et l'épuisement
des courants de la santé et de la vie, alors ces compagnies sont
POSSÉDÉES DU DÉMON DU
VOL ET DU MEURTRE
Et ceci est tout aussi applicable aux trafiquants de charbon qu'à ceux de
n'importe quelle autre denrée ».
« Tandis que le Rév. Dr. Parkhurst les stigmatisait ainsi comme «
étant possédés par le démon du vol et du meurtre », un autre prédicateur
de New York, le Rév. Dr. Heber Newton, s'adressant à des ouailles
millionnaires assises sur des chaises recouvertes de velours, fit la
louange des trusts comme une partie nécessaire et bienfaisante de notre
civilisation avancée ».
A propos de la baisse soudaine des prix des rails d'acier, de 27 $ à 15 $
par « ton », le journal Evening Record, d'Allegheny, dit :
« Le grand « Pool acier », constitué pour soutenir les prix,
est pratiquement écrasé. Cette combinaison gigantesque de capital et de
puissance, faite pour avoir la haute main sur la production de l'une des
plus grandes industries de l'Amérique, pour faire monter ou descendre les
prix sur son simple commandement, pour imposer les consommateurs selon son
bon plaisir, et à la limite de l'opportunité, va être dévorée par une
combinaison plus gigantesque encore, plus puissante encore, plus riche
encore. Rockefeller et Carnegie se sont emparé de l'industrie de l'acier
en Amérique. L'événement fera époque. La réduction sur le prix des
rails d'acier de 25 $ à 17 $ la « ton » [tonne américaine —
Trad.], chiffre le plus bas auquel ils aient jamais été vendus,
marque une nouvelle ère dans l'économie du pays. Jusqu'ici, il s'agit
d'un trust mangé par un autre trust, et ce sont les chemins de fer qui
sont gagnants.
« On
peut dire sans hésitation que ni M. Rockefeller, ni M. Carnegie n'ont été
amenés à cette grande entreprise par des considérations quelconques de
sentiments vis-à-vis du public. Ils ont vu là une chance d'écraser la
concurrence et ils en ont profité. A présent, ils possèdent la source
d'approvisionnement la plus remarquable dans le monde, la région de
Mesaba, au-delà de Duluth (Minnesota) décrite comme une région où il
n'est pas nécessaire de creuser à grands frais, mais simplement de
gratter la surface de la terre pour en extraire le minerai, Rockefeller a
augmenté encore cet avantage qu'il avait de s'être assuré cette source
d'approvisionnement en construisant une flotte de chalands de vaste
capacité pour transporter ses matières premières aux bassins du lac Erié.
Lorsqu'il eut réalisé ses desseins en s'alliant avec Carnegie, avec ses
hauts fourneaux et ses usines, il eut « l'Association des fabricants de
rails » à sa merci. Toute l'affaire avait été mise à exécution
par une combinaison magistrale de facilités existantes. Le résultat
actuel, du moins, est un avantage pour un grand nombre de personnes. Reste
à savoir si MM. Rockefeller et Carnegie, ayant obtenu cette immense
puissance entre leurs mains, se contenteront de récolter des bénéfices
raisonnables et de laisser le public en profiter, ou si, après avoir écrasé
leurs adversaires, ils emploieront cette puissance pour pratiquer
l'extorsion impitoyable. C'est là un grave problème. Le fait qu'ils détiennent
ce pouvoir est une menace en lui-même ».
L'article suivant a été largement répandu en son temps, mais il est bon
de le mentionner ici, à propos de ce sujet :
« Kansas City (Mo.), le 26 novembre 1896. — L'ex-gouverneur David R.
Francis, actuellement Secrétaire à l'Intérieur, adressa la lettre
suivante à un petit groupe de partisans de l'étalon-or qui avaient
organisé un banquet au
Midland Hotel hier soir :
Département
de l'Intérieur,
Washington (D.C.), le 19 nov. 1896.
« Messieurs : je viens de recevoir votre invitation du 25, et je
regrette de ne pouvoir participer ce soir à la célébration de la
victoire de la saine monnaie... Si l'on n'intervient pas, par le moyen de
lois, pour limiter l'influence croissante de la richesse, et pour
circonscrire les pouvoirs des trusts et des monopoles, il y aura un soulèvement
du peuple, avant la fin du siècle, qui fera courir un grave danger à nos
institutions mêmes.
David
R. Francis. »
Voici un extrait du journal Spectator de Londres :
« Nous avons entre nos mains une décision prise par le Juge Russell, de
la Cour Suprême de New York, qui montre à quel point est poussé aux États-Unis
le système des « Trusts » ou méthode d'emploi de capitaux
pour créer des monopoles. Une Association nationale des pharmacies de
gros a été formée, qui comprend presque la totalité des grands
pharmaciens de l'Union et fixe le prix des médicaments. Si l'un
quelconque des pharmaciens privés vend au-dessous des prix fixés,
l'Association avertit l'ensemble de ses membres de ne pas traiter avec lui,
et en règle générale, elle réussit à causer la ruine de la firme réfractaire.
La Compagnie John D. Park and Sons décida de résister à l'avertissement
dictatorial et réclama une interdiction légale auprès des tribunaux ;
cela lui fut refusé dans ce cas particulier, mais accordé en tant que
principe général ; en effet il est enjoint à tous les hommes de
s'abstenir de « conspirer » pour imposer « une gêne dans le commerce ».
C'est là un cas extrême, parce qu'il est clair qu'un trust de ce genre
joue, ou peut jouer avec la vie humaine. Il importe peu qu'ils augmentent
le prix des spécialités (ce qui semble avoir été ici le motif de la
plainte) jusqu'à une guinée [21 shillings — Trad.] ; mais supposez
qu'ils mettent des drogues comme la quinine, l’opium ou les laxatifs
hors de la portée des pauvres. On se souvient que les disciples de M.
Bryan placent le système des trusts au premier rang de leurs accusations
contre le capital, et des cas comme celui-ci leur donnent un point d'appui
à leur argumentation ».
LES TRUSTS EN ANGLETERRE
Bien qu'on puisse dire des trusts qu'ils sont une invention américaine,
nous citons ce qui suit du Spectator de Londres, montrant qu'ils ne
sont pas une exclusivité américaine. L'auteur déclare :
« Les trusts commencent à s'emparer de certaines de nos affaires
commerciales britanniques. Aujourd'hui, il existe un trust dont le siège
social est à Birmingham et qui a accaparé tout le commerce des lits métalliques
à travers toute la Grande-Bretagne. Cette combinaison (ou trust) est si
adroitement organisée qu'il est pratiquement impossible à n'importe quel
individu ne faisant pas partie de cette corporation d'entreprendre une
fabrication indépendante de lits de fer ou de cuivre. Si, cependant, il
essayait de le faire, il serait incapable d'acheter ses matières premières
ou de trouver des ouvriers de la profession, car tous les fabricants de
fer et de cuivre pour lits se sont mis d'accord pour en fournir au trust
seulement, et les ouvriers sont tous engagés par leur Union pour ne
travailler que pour les fabricants de cette Union. Les acheteurs ne
peuvent donc s'attendre qu'à la concurrence étrangère seule pour que
les prix de montent pas. Ce trust des lits est à présent prospère,
c'est pourquoi de nombreux autres commerces locaux suivent maintenant son
exemple ».
Ces trusts disposent de capitaux qui se comptent par centaines de millions
de dollars ; ce sont véritablement des géants. Si, dans ce
domaine-là, les choses continuent pendant quelques années comme elles
l'ont fait ces vingt dernières années, les trusts finiront par gouverner
le monde avec le levier de la finance. Bientôt, ils auront le pouvoir,
non seulement d'imposer les prix des marchandises utilisées par le monde,
mais étant les principaux employeurs de la main-d’œuvre, ils auront la
haute main sur les salaires.
Il est vrai que ces associations de capitaux ont, dans le passé, accompli
de vastes entreprises que des individus seuls n'auraient pu accomplir si
vite et si bien. Vraiment, l’entreprise corporative privée a pris des
risques qu'elle a assumés avec succès et que le public aurait condamnés
et mis en échec s'ils avaient été entrepris par le gouvernement. On ne
doit pas penser que nous condamnons sans distinction de vastes
accumulations de capitaux ; mais nous faisons remarquer que l'expérience
de chaque année non seulement ajoute largement à leur puissance financière,
mais également à leur sagacité, et que nous approchons rapidement, si
nous n'y sommes déjà, le moment où les intérêts et les libertés mêmes
du peuple sont menacés. Chacun dit : on doit faire quelque chose ! mais
personne ne sait ce qu'il faut faire. Le fait est que le genre humain est
irrémédiablement à la merci de ces excroissances géantes du présent
système social égoïste, et, la seule espérance est en Dieu.
Il est vrai, également, que ces géants sont habituellement dirigés par
des hommes capables qui, jusqu'ici, semblent disposés à se servir de
leur pouvoir avec modération. Néanmoins, ce pouvoir se trouve concentré,
et la capacité, guidée dans l'ensemble par l'égoïsme, voudra
vraisemblablement, de temps en temps, serrer la vis sur leurs serviteurs
et sur le public selon les occasions et les circonstances favorables.
Ces géants menacent maintenant la famille humaine comme de vrais géants
la menaçaient il y a plus de quatre mille ans. Ces géants étaient des
« hommes de renom » — des hommes de prodigieuses capacité et
sagacité, supérieurs à la race adamique déchue. C'était une race
hybride, provenant d'une nouvelle vitalité apportée à la souche
adamique (*) [Gen.
6 : 4 : Pour de plus amples renseignements à ce sujet s'adresser au
Mouvement Missionnaire Intérieur Laïque (voir sur la liste des
publications à la fin de l'ouvrage). Ainsi en est-il pour ces géants corporatifs modernes :
ils sont grands, puissants et rusés, à un degré tel qu'il faut
abandonner l'idée de pouvoir les vaincre sans intervention divine. Leurs
moyens prodigieux n'ont encore jamais été mis à contribution. Ces géants,
aussi, sont des hybrides : ils sont engendrés par une sagesse qui doit
son existence à la civilisation et à l'illumination chrétiennes
agissant en combinaison avec les cœurs égoïstes d'hommes déchus.
Cependant, lorsque les hommes sont à bout de ressources, c'est alors que
Dieu intervient, et de même que les géants du « monde qui était
avant le déluge » furent anéantis
dans les eaux du déluge, ainsi ces géants corporatifs doivent être anéantis
dans le déluge de feu qui vient — le « feu » symbolique « de la
jalousie de Dieu », de sa colère, qui s'allume déjà : « un temps
de détresse tel qu'il n'y en a pas eu de pareil depuis qu'il existe une
nation ». C'est dans ce « feu » que seront consumés tous les géants
du vice et de l'égoïsme ; ils tomberont, et ne se relèveront plus
jamais. — Esaïe 26 : 13, 14 ; Soph. 3 : 8, 9.
ESCLAVAGE BARBARE CONTRE
SERVITUDE MODERNE
Mettez pour un temps en contraste le passé avec le présent et l'avenir,
en ce qui concerne l'offre et la demande de main-d’œuvre. C'est
seulement au cours du siècle dernier que la traite des esclaves a cessé
d'une manière générale et que l'esclavage a été aboli. Il fut un
temps où la traite des esclaves était générale, mais graduellement,
l'esclavage se fondit en servage à travers toute l'Europe et l'Asie.
L'esclavage ne fut aboli en GrandeBretagne qu'en 1838, et le
gouvernement général paya aux propriétaires d'esclaves la somme de 20
000 000 de livres sterling, soit près de 100 000 000 de dollars, à titre
d'indemnités. La France émancipa ses esclaves en 1848. Aux États-Unis,
l'esclavage se maintint dans les États du sud jusqu'en 1863. On ne peut
nier que la parole et la plume de chrétiens contribuèrent pour une
grande part à mettre fin à l'esclavage humain ; mais d'autre part, il
faut remarquer que le changement des conditions du marché du travail dans
le monde aidèrent à donner à la majorité des humains une nouvelle
conception de la question, et avec les indemnités versées, aidèrent à
réconcilier les propriétaires d'esclaves avec le nouvel ordre de choses.
Les voix et les plumes des chrétiens hâtèrent simplement l'abolition de
l'esclavage, mais celle-ci, de toutes façons, aurait eu lieu plus tard.
L'esclavage meurt d'une mort naturelle en raison du système moderne compétitif
et égoïste, soutenu par des inventions mécaniques et par la croissance
de la population. En faisant complètement abstraction de considérations
morales et religieuses, ce serait maintenant impossible de généraliser
l'esclavage dans des pays populeux, civilisés : il ne rapporterait rien
du point de vue financier (1) parce que la machine a, dans une large
mesure, pris la place de la main-d’œuvre, tant inintelligente
qu'intelligente ; (2) parce qu'un serviteur intelligent peut faire plus de
travail et le mieux faire qu'un serviteur inintelligent ; (3) parce que
civiliser et même instruire un peu des esclaves rendrait les services de
ces derniers plus coûteux que la main-d’œuvre libre ; en outre, les
esclaves plus intelligents et plus capables, seraient plus difficiles à
diriger et à employer d'une manière plus profitable que ne le sont les
ouvriers soi-disant libres, mais liés mains et pieds par la nécessité.
En un mot, les sages de ce monde ont appris que des guerres faites pour dépouiller
des ennemis et pour avoir des esclaves, sont moins profitables que des
guerres de concurrence commerciale dont les résultats sont meilleurs,
aussi bien que plus considérables ; ils ont appris également que les
libres « esclaves de la nécessité » sont les esclaves les
moins coûteux et les plus capables.
Si la main-d’œuvre intelligente, déjà libre, est moins coûteuse que
la main-d’œuvre esclave ignorante, et si le monde entier a son
intelligence qui s'éveille et sa population qui s'accroît rapidement, il
est évident que le système social actuel est aussi certain de travailler
à sa propre destruction que le ferait une machine fonctionnant à pleine
vapeur et sans frein ni régulateur.
Étant donné que la société est actuellement organisée sur le principe
de l'offre et de la demande, il n'y a ni frein, ni régulateur sur la
concurrence égoïste du monde. Toute la structure est édifiée sur ce
principe : la pression égoïste, la force qui pèse lourdement sur la
société, devient de jour en jour plus puissante. Les choses continueront
ainsi avec les masses, à peser de plus en plus lourdement, degré par
degré, jusqu'à ce que s'accomplisse dans l'anarchie l'effondrement
social.
LES HUMAINS SONT PRIS ENTRE
DEUX PIERRES MEULIÈRES
Il devient de plus en plus évident aux masses des hommes que dans l'ordre
de choses actuel, elles sont entre une meule supérieure et une meule inférieure
dont les tours rapides doivent éventuellement, et sous peu, les écraser
et les réduire à un servage misérable et ignoble, à moins qu'on n'y
porte remède de quelque manière. Telle est vraiment la réelle condition
de choses : les besoins de l'homme constituent le tuyau d'alimentation qui
précipite les masses entre les meules ; la meule inférieure, c'est la
loi inexorable de l'offre et de la demande qui soumet la population du
monde de plus en plus intelligente et en croissance rapide à la pression
de plus en plus rigoureuse de la meule supérieure (l'égoïsme organisé)
actionnée par le pouvoir gigantesque des esclaves mécaniques, assistés
des engrenages, des leviers et des poulies des combinaisons, des trusts et
des monopoles financiers. (Il est à propos que le Bureau des statistiques
à Berlin ait estimé, en 1887, que les machines à vapeur (les esclaves mécaniques)
alors en fonction dans le monde représentaient approximativement un
milliard d'hommes, ou trois fois la population laborieuse de la terre ;
or, les forces de la vapeur et de l'électricité ont probablement plus
que doublé depuis lors. Cependant, ces machines se trouvent presque
toutes dans des pays civilisés dont les populations ne représentent
qu'environ un cinquième du total). La puissance motrice de la meule supérieure
comprend aussi le volant, pesant avec le poids d'une richesse concentrée
inimaginée jusqu'ici, et d'une puissance cérébrale exercée et stimulée
par l'égoïsme. Pour illustrer en partie le résultat du processus d'écrasement,
nous notons un rapport selon lequel à Londres (G.-B.), il y avait 938 293
pauvres, 316 834 très pauvres et 37 610 de la plus grande indigence, soit
un total de 1 292 737 ou près d'un tiers de la population de la plus
grande ville du monde vivant dans la pauvreté. Des chiffres officiels
concernant l'Écosse ont montré qu'un tiers des familles vivait dans une
seule chambre, et plus d'un tiers dans deux chambres seulement ; que dans
la ville de New York, au cours d'un hiver rigoureux, 21 000 hommes, femmes
et enfants furent expulsés faute de pouvoir payer leur loyer, et que,
dans une seule année, 3 819 de ses habitants furent enterrés dans le «
champ du potier » [cimetière des indigents — Trad.] trop pauvres pour
vivre comme pour mourir décemment. Ceci, rappelez vous, dans la ville même
où, comme nous l'avons montré on compte déjà parmi ses citoyens des
milliers de millionnaires.
Un auteur, M. J. A. Collins, a discuté un jour dans The American
Magazine of Civics, du sujet de la décadence de la propriété privée
en Amérique, à la lumière du recensement des E.U. Au début il nous
avertit de nous préparer à des faits frappants et à des indications
menaçantes et dangereuses. Nous citons comme suit :
« Il y a quelques décades, la grande majorité de la population était
composée de propriétaires, et leurs habitations étaient pratiquement
libres de toute charge ; aujourd'hui, la vaste majorité de la population
est composée de locataires ».
Étant donné que l'occupant d'une habitation hypothéquée n'est en fait
qu'un locataire du créancier hypothécaire, il trouve que 84 % des
familles de cette nation sont virtuellement des locataires, et ajoute :
« Songez que ce résultat saisissant s'est produit en un temps très
court, alors que l'Ouest offre le vaste domaine de terres libres à des
colons, que les grands champs industriels s'ouvrent et offrent des emplois
avec de bons salaires, et alors considérez ce qui résultera lorsque le
grand Ouest sera entièrement occupé, ou toutes ses terres accaparées,
une population augmentée de millions de gens, tant par la croissance
naturelle que par l'immigration, les terrains riches en minerais et les
mines sous la mainmise des syndicats de capitaux étrangers, le système
de transports accaparé dans l'intérêt de quelques propriétaires
millionnaires, les usines exploitées par de grandes corporations dans
leur propre intérêt, les terres publiques épuisées et les sites
nationaux accaparés et occupés par des spéculateurs, sans que les
masses industrielles puissent y accéder ».
En comparant ces chiffres aux statistiques européennes, M. Collins
conclut que les conditions sous la République la plus grande sur la terre
sont moins favorables qu'en Europe, sauf dans le pays le plus riche et le
plus éclairé d'Europe, la Grande-Bretagne. Toutefois, les chiffres de M.
Collins sont trompeurs, à moins de rappeler que des milliers de ces
habitations hypothéquées appartiennent à des personnes jeunes (lesquelles,
en Europe, habiteraient avec leurs parents) et par des immigrants qui achètent
par versements. Néanmoins, la vérité toute simple est suffisamment pénible.
Avec la pression croissante du temps, peu des nombreuses hypothèques
actuelles seront un jour levées, sauf par le shérif.
Il y a probablement peu de gens qui se rendent compte quel bon marché on
fait parfois de la force humaine et du temps de l'être humain, et ceux
qui le discernent ne savent pas comment remédier à ce mal, et font ce
qu'ils peuvent pour y échapper eux-mêmes. Dans toutes les grandes villes
du monde, il y a des milliers de gens connus sous le nom de « sweaters »
[des gens qu'on exploite —Trad.] qui travaillent plus durement et
pendant un plus grand nombre d'heures que ne le fit la majorité des
esclaves du sud, et ce, pour avoir tout juste de quoi vivre. Apparemment,
ils ont leur liberté, mais en fait ils sont des esclaves, les esclaves de
la nécessité, ayant la liberté de vouloir, mais peu celle d'agir, pour
eux-mêmes ou pour d'autres.
Sur le même sujet, nous extrayons du Presbyterian Banner
(Pittsburgh) ce qui suit :
« Le système d'exploitation des travailleurs est né et s'est développé
dans des pays étrangers avant d'être transplanté sur le sol américain
où il y a apporté sa malédiction avec lui. Il ne se limite pas aux
rayons des vêtements de confection, mais englobe tous ceux qui sont dirigés
par un intermédiaire. L'intermédiaire ou fournisseur s’engage à
procurer des marchandises au marchand à un certain prix, et afin de
fournir de bonnes affaires au grand public des acheteurs, et en même
temps des bénéfices au marchand et à l'intermédiaire, ce prix doit être
fixé très bas et les pauvres ouvriers doivent souffrir.
« En Angleterre, presque toutes les affaires sont traitées de cette façon.
Le commerce de chaussures et de souliers, celui de la fourrure, le
commerce d'ébénisterie et de tapisserie, et beaucoup d'autres sont tombés
sous la coupe de l'intermédiaire et les gens sont réduits à des
salaires de famine. Mais nous voulons parler du commerce des vêtements de
confection dans notre propre pays. En 1886, il n'y avait à New York que
dix ateliers exploitant leurs ouvriers ; à présent, il y en a de
nombreuses centaines et il en est de même à Chicago, tandis que d'autres
villes ont leur part. Ces ateliers sont pour la plupart entre les mains de
Juifs, et ceux de Boston et de New York ont l'avantage sur leurs frères
des régions plus à l'ouest en ce qu'ils peuvent profiter des étrangers,
fraîchement débarqués qui ne peuvent pas parler la langue et peuvent
donc être facilement trompés. Ces ouvriers sont entassés dans de
petites chambres mal aérées ; ils sont parfois vingt ou trente dans une
chambre assez grande pour huit ouvriers seulement, où ils doivent souvent
faire la cuisine, manger et vivre, peiner dix-huit et vingt heures par
jour pour gagner suffisamment pour ne pas mourir de faim.
« Les prix payés pour ce genre de travail constituent une
honte pour l'humanité. Par un travail pénible, des hommes arrivent à
gagner deux à quatre dollars par semaine. Les chiffres suivants sont
fournis par quelqu'un qui a étudié le sujet et qui a obtenu ses
renseignements de l'un de ces « patrons rapaces » ; les prix
sont ceux qu'il a reçus du marchand :
Pour confectionner des manteaux
|
0,76 $ à 2,50 $
|
Pour confectionner des vestes de travail
|
0,32 $ à 1,50 $
|
Pour confectionner des pantalons
|
0,25 $ à 0,75 $
|
Pour confectionner des gilets (par douzaines)
|
1,00 $ à 3,00 $
|
Pour confectionner des culottes (par douzaines)
|
0,50 $ à 0,75 $
|
Pour confectionner des chemises en calico (par douzaines)
|
0,30 $ à 0,45 $
|
« De cette liste de prix, le « patron rapace » prend un gros
pourcentage de bénéfice, et quand on a déduit le prix du transport que
paie l'ouvrier, on peut aisément imaginer combien il faut que des hommes
et des femmes travaillent durement et longtemps pour obtenir les choses
ordinaires nécessaires à la vie. Pour des culottes, pour lesquelles le
« patron » reçoit du fabricant soixante-cinq « cents » la
douzaine, l'ouvrier exploité ne reçoit que trente-cinq « cents ».
« L'ouvrier reçoit dix « cents » pour confectionner des
pantalons d'été, et s'il veut en faire six paires complètes, il doit
travailler près de dix-huit heures. Les manteaux sont confectionnés par
quinze personnes, chacune faisant sa part. Des pantalons de travail,
soixante « cents » la douzaine de paires. Ce ne sont là que
quelques exemples seulement, et n'importe quelle femme connaissant un peu
la couture ou la confection de vêtements, sait quelle somme de besogne
cela implique.
« Mais il y a rétribution en toutes choses, et parfois, l'innocent ou
l'insouciant doit souffrir aussi bien que le coupable. Ces vêtements sont
confectionnés dans les pires conditions de malpropreté. Le travail se
fait dans des chambres qui ne conviennent pas à l'habitation humaine et
qui sont empoisonnées par des germes de maladies. A Chicago, au cours de
cette année, un visiteur vit dans l'un de ces ateliers quatre personnes
occupées à confectionner des manteaux ; toutes avaient la fièvre
scarlatine ; à un autre endroit, reposait le corps d'un enfant mort de la
même maladie, tandis que le travail se poursuivait autour de lui et que
la contagion se répandait inévitablement ».
« Il
est triste que l’or soit si cher,
Et que la chair et le sang soient si bon marché ».
Le nombre des pauvres misérables croît rapidement, et comme cela a été
montré, la concurrence opprime de plus en plus toute la race humaine,
sauf les quelques privilégiés qui se sont assuré des machines et des
immeubles. Comme leur fortune et leur puissance progressent en rapport, il
semble qu'on puisse s'attendre à voir des milliardaires si les conditions
actuelles continuent.
Il n'est pas possible que pareille condition de choses doive persister à
jamais, car même l'opération de la loi naturelle de cause et d'effet amènerait
éventuellement une rétribution. Nous ne devons pas non plus nous
attendre à ce que la justice de Dieu qui fit cette loi permettrait la
persistance de telles conditions. Dieu, par le moyen de Christ, a racheté
et épousé la cause de notre humanité déchue et le moment de la délivrer
de l'égoïsme et de la puissance générale du mal est proche — Rom. 8 :
19-23.
Voici comment un journal de l'Ouest représentait clairement la situation
il y a quelques années, situation plus terrifiante encore présentement :
« Le nombre des chômeurs dans ce pays s'élève à deux millions.
Ceux qui dépendent d'eux sont probablement quatre fois plus nombreux.
« Peut-être avez-vous entendu parler de cela déjà. Je voudrais que
vous y pensiez jusqu'à ce que vous vous rendiez compte de ce que cela
signifie. Cela veut dire que sous « le meilleur gouvernement du monde »,
avec « le meilleur système bancaire que le monde ait jamais vu »
et toutes autres choses au plus haut niveau, avec une production sans précédent
d'aliments et de tous autres objets de bien-être et de luxe, un septième
de notre population a été réduit à la mendicité absolue si elle ne
veut pas mourir de faim. Des gens ont faim devant des magasins et devant
des silos qui regorgent de grains qu'on ne peut vendre à un prix
suffisant pour rétribuer le producteur. Des gens grelottent, presque nus,
devant des entrepôts remplis à craquer de vêtements de toutes sortes.
Des gens ont froid et n'ont pas de feu, avec des centaines de millions de
tonnes de charbon facilement accessible dans des milliers de mines. Les
cordonniers qui sont inoccupés seraient contents d'aller travailler et de
confectionner des souliers pour les mineurs en échange de combustible. De
même, ces derniers seraient contents de travailler dans les mines pour
pouvoir obtenir des souliers. De la même façon, le fermier à demi-vêtu,
du Kansas, qui est incapable de vendre son blé pour payer les notes de
moissonnage et de battage, serait enchanté d'échanger ce blé avec les
hommes des usines de l'Est qui filent et tissent l'étoffe dont il a
besoin.
« Ce n'est pas le manque de ressources naturelles qui trouble le
pays de nos jours. Ce n'est pas le manque de capacité ou de bonne volonté
de la part des deux millions de chômeurs pour travailler et produire les
choses désirables et utiles. C'est simplement que les instruments de
production et les moyens d'échange sont concentrés [litt. « congestionnés »
— Trad.] dans les mains de quelques-uns. Nous ne faisons que commencer
à nous rendre compte combien est pernicieux un tel état de choses, et
nous le comprendrons de mieux en mieux au fur et à mesure que cette
concentration augmentera. Des gens sont oisifs, ils ont froid et faim
parce qu'ils ne peuvent échanger les produits de leur travail. Devant de
tels résultats, notre prétentieuse civilisation actuelle n'est-elle pas
à la veille d'un échec mortel ? Si les chômeurs de ce pays se mettaient
côte à côte en rangs de quatre et à deux mètres environ d'intervalle,
ils formeraient un cortège de six cents « miles » de long
[environ 965 km —Trad.]. Ceux qui dépendent d'eux pour subsister
atteindraient, dans le même ordre, une distance de 2 400 « miles »
[3 862 km environ — Trad.]. Cette armée, ainsi formée, s'étendrait de
l'Atlantique au Pacifique — de Sandy Hook à Golden Gate.
« Si l'intelligence de la race n'est pas capable d'imaginer un
système industriel meilleur que celui-ci, nous pourrions aussi bien
admettre que l'humanité est le plus grand échec de l'univers. [Oui,
c'est à cette conclusion que porte la providence divine : il faut que les
hommes apprennent leur impuissance personnelle et quel est le vrai Maître,
de même que chaque poulain
doit être « rompu » avant de pouvoir servir.] La chose la plus atroce
et la plus cruelle de tous
les temps est l’essai fait actuellement de maintenir une armée
industrielle chargée de combattre pour nos rois ploutocratiques sans
prendre des dispositions pour la maintenir durant les périodes où ses
services ne sont pas nécessaires ».
Ce qui précède a été écrit pendant la période de la crise la plus
grave à propos de la « manipulation (*) [« tinkering » :
familièrement : le rafistolage.] des barèmes » et ne
constitue pas, heureusement, la condition normale. Toutefois on ignore
quand il est possible qu'elle se répète. Néanmoins, le Harrisburg
Patriot, de la même année, donna les chiffres suivants, sous le
titre « Le nombre des chômeurs » :
« Il existe 10 000 chômeurs à Boston ; 7 000 à Worcester, autant
à New Haven, 9 600 à Providence, 100 000 à New York, 16 000 à Utica
qui est une petite ville ; à Paterson (N.-J.) la moitié des habitants chôment
; il y a 15 000 ouvriers inoccupés à Philadelphie, 10 000 à Baltimore,
3 000 à Wheeling, 6 000 à Cincinnati, 8 000 à Cleveland, 4 000 à
Columbus, 5 000 à Indianapolis, 2 500 à Terre Haute, 200 000 à Chicago,
25 000 à Detroit, 20 000 à Milwaukie, 6 000 à Minneapolis, 80 000 à
St-Louis, 2 000 à St-Joseph, autant à Omaha, 5 000 à Butte City
(Mont.), 15 000 à San Francisco ».
Nous donnons ci-dessous un extrait de The Coming Nation, intitulé
« Un problème qu'il vous faut résoudre ». Il montre à quel point
certains hommes voient clairement la situation. Toutes ces voix qui
mettent en garde ne font que répéter le conseil solennel du prophète
inspiré : « Et maintenant, ô rois [tous ceux qui détiennent une
mesure quelconque d'autorité et de pouvoir], soyez intelligents ;
vous, juges de la terre, recevez instruction ». Il déclare :
« Vous admettrez que des nouvelles machines supplantent les ouvriers.
La prétention que la fabrication et la surveillance de ces nouvelles
machines emploieront le nombre des ouvriers ainsi jetés dehors ne tiendra
pas, car si cela était vrai, il n'y aurait aucun avantage à employer des
machines. Le fait ressort tellement bien que des centaines de milliers
d'ouvriers chôment maintenant parce que des machines font le travail
qu'ils faisaient autrefois ; il faut que tous reconnaissent ce fait pour
peu qu'ils réfléchissent. Ces hommes sans travail n'achètent pas autant
de marchandises que lorsqu'ils travaillaient ; ainsi y a-t-il moins de
demandes de ces marchandises ; par suite, beaucoup d'autres ouvriers ne
peuvent être employés, et cela augmente le nombre des chômeurs et arrête
d'autres achats.
« Qu'allez-vous faire de ces ouvriers sans travail ? Que, dans
leur ensemble les prix des marchandises baissent, cela ne donne pas du
travail à ces hommes. Aucune activité
ne s'ouvre à eux, car tous les marchés du travail regorgent d'hommes
pour la même raison. Vous ne pouvez les tuer (à moins qu'ils ne fassent
grève), et ils ne peuvent aller nulle part. Sérieusement, je demande :
qu'allez-vous faire d'eux ?
Des fermiers expérimentés font faillite, alors quelle preuve de succès
auraient ces hommes dans l'agriculture, même s'ils avaient de la terre ?
« Le nombre de ces hommes se multiplie comme les feuilles de la forêt.
Ils se comptent par millions. Il n'y a aucune perspective d'obtenir du
travail pour beaucoup d'entre eux, ou s'ils y parviennent, ce n'est que
pour prendre la place d'autres qui travaillent maintenant et qui, alors,
viendraient s'ajouter au nombre des sans travail. Peut-être pensez-vous
que leur sort ne vous regarde pas, mais, mon cher monsieur, cela vous
concerne bien, et vous vous en rendrez compte avant peu. C'est un sujet
qu'on ne peut écarter en tournant les talons et en refusant d'écouter.
Le peuple français a pensé cela jadis mais il l'apprit autrement, même
si la génération actuelle a oublié la leçon. La génération présente,
aux États-Unis, doit résoudre la question et la résoudra
de quelque manière. Cela peut être fait dans la paix, l'amour et la
justice, ou bien par un homme violent qui foule aux pieds les droits de
tous, comme vous le voyez maintenant faire, dans l'indifférence, au détriment
de quelques-uns. Nous le répétons, il vous faudra répondre à
ces questions dans les prochaines années.
« Les Français furent avertis, mais ils ne pouvaient écouter à
cause de la vie fastueuse de la royauté corrompue. Et vous, écouterez-vous
? ou bien, permettra-t-on au présent état de choses de continuer ainsi
jusqu'à ce que cinq ou six millions de gens réclament du pain ou de «
l'oxyde de fer » ? L'agitation, lorsqu'elle arrivera, sera intensifiée
au centuple, aux États-Unis, à cause des conditions sociales qui y prévalent
depuis un siècle. L'amour de la liberté est devenu puissant, alimenté
par une haine des rois, des tyrans et des oppresseurs. On ne peut compter
ni sur des soldats, ni sur des marins qui viennent des masses populaires
pour tirer sur leurs propres pères et sur leurs propres frères au seul
signe ou sur l'ordre de rois titrés ou non. Étant donné ce qui doit résulter
d'une oisiveté trop prolongée de millions de personnes dont les
conditions identiques cimenteront bientôt des liens d'amitié, ne
pensez-vous pas que vous devriez vous intéresser à ces conditions ? Ne
serait-ce pas mieux de trouver et d'appliquer un remède, d'employer ces
hommes, même dans des ateliers publics plutôt que d'en arriver à la détresse
finale ?
« Nous savons ce que font les capitalistes : nous les voyons préparer
les munitions de guerre pour gouverner les masses par la force des armes.
Mais ils sont stupides. Ils ne sont sages qu'à leurs propres yeux. Ils
sont en train d'adopter la tactique des rois, et bientôt, ils seront
comme la balle au vent. Le destin est contre leurs tactiques. Des rois,
ayant des armées plus fortes que celles qui peuvent être rassemblées
ici pour défendre le capitalisme, tremblent devant la croissance
constante d'une civilisation plus élevée parmi le peuple, poussée par
la détresse de cette armée de sans travail qui grandit rapidement. La
justice ne fait de tort à personne, bien qu'elle puisse supprimer les
privilèges des voleurs. En qualité de citoyens, résolvons et réglons
le problème légalement, non pas en partisans, mais en citoyens qui
pensent davantage au pays qu'à un parti, et plus à la justice qu'à l'or
du roi ».
Telles sont les fortes paroles de quelqu'un qui, de toute évidence, pense
fortement, et il y en a beaucoup comme lui. Personne ne peut nier qu'il y
ait au moins quelque vérité dans les accusations.
L'ÉTAT DE CHOSES ACTUEL EST UNIVERSEL ;
AUCUN POUVOIR HUMAIN NE PEUT Y REMÉDIER
Cet état de choses n'existe pas seulement en Amérique et en Europe : en
effet, pendant des siècles, les millions d'habitants de l'Asie n'ont
jamais connu d'autres conditions d'existence. Une dame américaine,
missionnaire en Inde, écrit qu'elle fut profondément affligée lorsque
les indigènes lui demandèrent s'il était vrai que, dans son pays, les
gens avaient tout le pain qu'ils désiraient manger, trois fois par jour.
Elle raconte qu'en Inde, la plupart des gens ont rarement assez à manger
pour satisfaire leur appétit.
On raconte que le « Lieutenant-Gouverneur » du Bengale (Inde)
aurait dit, il n'y a pas longtemps : « La moitié de notre population
agricole ne sait jamais ce que c'est que de manger à sa faim ». Ceux qui
produisent le grain ne peuvent pas manger ce qui leur serait strictement nécessaire,
car ils doivent d'abord en tirer le montant des impôts. Dix millions de
la population de l'Inde sont occupés au tissage à la main des cotonnades.
Aujourd'hui, les machines, sur le littoral, ont détruit leur industrie et
il ne leur reste comme occupation que l'agriculture dans les dures
conditions mentionnées plus haut.
En Afrique du Sud, également, où des millions de dollars furent généreusement
investis au cours de ce que l’on a appelé la « Fièvre d'or africaine »,
les temps sont durs pour beaucoup, et certains des intellectuels craignent
le pire. L'extrait suivant d'un journal de Natal (Afrique du Sud), donne
une idée de la situation :
« Ceux qui ne sont pas venus directement en contact avec les immigrants
européens cherchant du travail ne peuvent pas se faire une idée du dénuement
dans lequel se trouvent ces gens-là à Durban. Il est cependant réconfortant
de constater que le Comité de secours du Conseil municipal se rend bien
compte qu'il a un devoir humanitaire à remplir à l'égard des malheureux
qui sont arrivés dans ce pays. Cette semaine au cours d'une conversation
avec M. R. Jameson, l'infatigable promoteur qui est entré, corps et âme,
dans ce mouvement philanthropique, j'ai appris que les œuvres de secours à Point offrent un emploi temporaire à quelque chose
comme cinquante hommes. Il est affligeant de constater que des hommes qui
ont été formés pour des travaux de bureau, aussi bien que d'habiles
artisans, puissent se trouver « si malchanceux » qu'ils en soient réduits
à accepter avec empressement l'allocation de 3 s. par jour et un abri
fournis par la Société contre le maniement de la pelle pendant huit
heures pour enlever du sable sous un soleil brûlant.
« Pendant ce temps-là, il n'y a aucune place vacante et l'on doit
refuser de fréquentes demandes d'emploi. De temps en temps, le Président
du Comité, par le moyen d'annonces ou autrement, trouve de l'emploi pour
tels des hommes qui ont une connaissance suffisante d'une profession ou
d'un métier manuel. Les places vacantes ainsi créées dans l'équipe
sont alors comblées par certains de ceux qui avaient antérieurement
proposé en vain leur candidature. En plus de ceux qui travaillent dans l'équipe,
il y a un nombre important d'hommes qui errent dans la ville après avoir
vainement cherché un emploi. Ils trouvent bientôt le moyen de toucher le
génial député-maire qui fait tout ce qu'il peut pour eux, souvent sans
succès malheureusement. Si des employeurs, ayant besoin de main-d’œuvre,
ont recours à M. Jameson, ils peuvent obtenir sur sa liste tous
renseignements utiles concernant les sans travail. Il faut comprendre
qu'aucun de ces chômeurs n'est un véritable habitant de Durban : tous
sont venus là de toutes les parties de l'Afrique du Sud, en quête d'un
emploi. Durban n'est nullement la seule ville à faire cette expérience ;
il n'y a que trop de preuves évidentes qu'une semblable situation déplorable
existe ailleurs.
« Comme nous l'avons déjà mentionné, nombre de ceux qui
sollicitent un emploi dans l'équipe de secours sont des hommes habitués
uniquement à un travail de bureau. On ne saurait trop souvent ni trop
fortement insister que ceux-là n'ont absolument aucune chance au Natal,
le marché du travail y étant toujours encombré. Si, dans la ville, il
n'y avait pas l'action de la Société qui fournit un travail temporaire,
il y aurait eu une détresse considérablement plus grande. Dans
l'ensemble, les hommes de l’équipe de secours ont eu une conduite
exemplaire, ce qui justifie la poursuite de la politique adoptée par le
conseil municipal. Mais, demandera-t-on peut-être, que fait la Société
de Bienfaisance ? Cette excellente institution ne fournit des secours qu'aux
résidents et à leurs familles, et comme à l'ordinaire, ses « mains
» sont pleines, sinon d'argent, en tout cas de cas dignes de retenir son
attention ».
Mais les gens intelligents qui discernent ces choses ne feront-ils pas le
nécessaire pour empêcher l'anéantissement de leurs semblables, moins
favorisés ou moins intelligents ? Ne s'aperçoivent-ils pas que la meule
supérieure se rapproche très dangereusement de la meule inférieure ? Ne
voient-ils pas que les masses populaires qui doivent passer entre ces deux
meules dans la concurrence souffrent cruellement de cette oppression et en
souffriront davantage encore ? Des cœurs généreux ne chercheront-ils
pas à les secourir ?
Non ; la majorité de ceux qui sont favorisés, soit par la richesse, soit
par la capacité sont tellement occupés pour eux-mêmes à « gagner de
l'argent » à amasser la plus grande quantité possible de « farine »
dans leurs propres sacs, qu'ils ne se rendent pas compte de la véritable
situation. Ils entendent bien les gémissements des gens moins fortunés
qu'eux ; souvent ils donnent généreusement de l'argent pour les
aider, mais comme le nombre des malheureux augmente rapidement, beaucoup
pensent que la situation de ceux-ci est sans espoir, ils s'habituent aux
conditions présentes, s'installent dans la jouissance de leur bien-être
personnel et de leurs privilèges spéciaux, et pour un temps du moins
oublient ou ignorent les afflictions de leurs semblables.
Cependant, il y en a quelques-uns qui se trouvent bien placés pour
discerner plus ou moins clairement la véritable situation. Il n'y a aucun
doute que parmi eux se trouvent des industriels, des propriétaires de
mines, etc. Ils peuvent discerner les difficultés, et désireraient que
les choses fussent autrement ; ils désirent vivement aider à les
changer, mais que peuvent-ils faire ? Ils peuvent faire bien peu de
chose, sauf d'aider à secourir les cas de détresse les plus douloureux
parmi leurs voisins et leurs parents. Ils ne peuvent pas changer le présent
ordre social et détruire en partie le système de concurrence ; ils se
rendent compte que le monde souffrirait d'une abolition complète de la
concurrence si l'on ne remplaçait celle-ci par quelque autre puissance
qui oblige ceux qui, par nature, sont indolents, à être énergiques.
Il est évident qu'aucun homme ni groupe d'hommes ne peuvent changer le présent
ordre social, mais par la puissance de l'Éternel et selon les moyens de
l'Éternel indiqués dans les Écritures, cet ordre peut être et sera
changé bientôt pour être remplacé par un système parfait, basé non
sur l'égoïsme mais sur l'amour et la justice. Pour établir ce règne,
il faut que l'ordre de choses actuel soit entièrement renversé. Le vin
nouveau ne sera pas mis dans de vieilles outres ; il ne sera pas non plus
pris une pièce de drap neuf pour rapiécer un vieil habit. C'est pourquoi,
ayant de la sympathie pour les riches comme pour les pauvres, dans les
malheurs qui sont proches, nous pouvons prier « Que ton règne vienne !
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! » même si le
Royaume doit s'établir dans « le feu de la colère de l'Éternel »,
feu dont nous voyons déjà les « éléments » en préparation.