ÉTUDES
DANS LES ÉCRITURES
VOLUME
IV - LE
JOUR DE LA VENGEANCE
« LA BATAILLE D'HARMAGUEDON »
ÉTUDE
VIII
LES CRIS DES MOISSONNEURS
Les éléments conservateurs de la société. — Paysans, fermiers. —
Conditions nouvelles dans la chrétienté. — Agitation de la classe
agricole. — Ses causes. — L'étalon-or et l'étalon-argent en sont des
facteurs. — La prédiction biblique s'accomplit. — Ces choses ont
rapport à la bataille du grand jour.
«
Ni leur argent ni leur or ne pourront les délivrer au jour de la fureur
de l'Éternel » — Soph. 1 : 18 (Segond).
Le lecteur réfléchi, au courant de l'histoire, qui suit notre thème et
remarque le bien-fondé des faits présentés et le caractère raisonnable
des conclusions tirées, peut encore douter de l'issue finale. Il peut se
dire en lui-même : « L'auteur oublie que dans les pays civilisés aussi
bien que dans ceux qui le sont moins, il y a un important élément social
prédominant qui est extrêmement conservateur et qui a toujours constitué
l'armature sociale : les fermiers ». Mais non, nous n'avons pas
oublié ce fait, et nous reconnaissons son importance. Jetant un regard
sur le passé, nous voyons que l'Europe aurait été fréquemment jetée
dans les convulsions de la révolution s'il n'y avait pas eu cet élément
très conservateur. Nous voyons que les révolutions en France ont été
surtout engagées et poursuivies par la classe ouvrière des plus grandes
villes, et que l'élément qui ramena finalement le calme et la paix fut
le paysan-cultivateur conservateur. Il n'est pas difficile de découvrir
les raisons de cet état de choses : (1) La vie du fermier présente moins
d'excitation et de points de friction sociale. (2) Son esprit est moins
attiré par les avantages de la richesse, et son ambition pour la richesse
et le luxe est, chez lui, relativement à l'état latent. (3) Il est plus
ou moins attaché à la terre et apprend à ne dépendre que d'elle ;
il a cette confiance que la nature récompensera son travail. (4)
La mesure d'instruction, l'éveil et l’activité mentale qui en sont les
conséquences ont toujours été jusqu'ici très limités parmi les
paysans. Le résultat de toutes ces conditions, c'est que la classe
agricole du monde civilisé a longtemps été donnée en exemple de prospérité
modérée et de sobre contentement.
Cependant, les trente dernières années ont vu se produire un prodigieux
changement dans les affaires des fermiers, changement très avantageux à
de nombreux égards. Les fermiers [ou cultivateurs — Trad.] des États-Unis,
du Canada, de la Grande-Bretagne et d'Irlande ont toujours été sur un
pied différent des fermiers du reste du monde. Ils ne sont ni des serfs,
ni des paysans, ni des ignorants, ni des êtres bornés, mais ils sont au
contraire intelligents, même lorsqu'ils ne sont pas instruits. Ensuite,
la Guerre civile aux États-Unis eut pour effet de rassembler des représentants
de chaque partie du pays et des immigrants de toutes les parties du monde ;
ce rapprochement donna un certain genre d'instruction, de connaissance des
choses et des affaires. Il éduqua les idées des fermiers d'une façon
plus complète que ne le fit jamais la routine des siècles, et les mit en
contact et en sympathie avec les sentiments et les ambitions qui animent
la vie des villes. Par suite, la vieille maison d'école en bois ne répondit
plus aux ambitions du petit campagnard et de la petite campagnarde, et
avec le développement des écoles supérieures, des collèges et des
institutions, vint également l'augmentation des publications (en
particulier des journaux) qui ont été un facteur remarquable dans le développement
du peuple des États-Unis, des citoyens nés à l'étranger aussi bien que
des citoyens nés dans le pays. Le résultat, ici, a été qu'on a appliqué
à l'agriculture beaucoup de la méthode et de l'habileté qui sont le
propre de la vie urbaine des affaires, en même temps qu'une multitude
d'inventions tendait à diminuer la vie pénible du fermier et à
augmenter considérablement la production de sa terre. Le résultat de cet
état de choses est que non seulement la population rurale a beaucoup
augmenté, mais la population urbaine a suivi, et pourtant, outre que nous
fournissons la nourriture à nos quatre-vingt-dix millions d'habitants,
nous sommes capables de distribuer au reste du monde la valeur de près de
huit cent millions de dollars en produits agricoles chaque année, soit
environ les huit-dixièmes de la totalité de nos exportations. Jusqu'à
ces vingt-cinq dernières années, cela a valu une grande prospérité aux
agriculteurs américains ; toute cette prospérité permit à
l'agriculteur d'avoir part aux commodités de la vie et de désirer, lui
aussi, la richesse et le luxe ; par contre, il s'ensuit aussi une certaine
mesure de mécontentement à cause de sa situation laquelle, néanmoins,
est bien supérieure de nombreuses manières à celle des cultivateurs des
autres parties du monde.
Pendant ce temps-là, la guerre franco-allemande exerçait une influence
quelque peu semblable sur les peuples de France et d'Allemagne, dans une
mesure beaucoup moins grande toutefois, et leur éveil se fit d'une manière
différente. L'animosité entre les Français, vaincus, et les Allemands,
vainqueurs, a subsisté depuis leur guerre ; elle a poussé ces deux pays,
et indirectement l'Italie, l'Autriche et la Russie, à établir un système
d'éducation militaire qui pèse sur chaque jeune homme de ces pays et
l'oblige à recevoir une instruction dans les manœuvres et la discipline
militaires et, du même coup, à subir le contact de ses compagnons de
service. Tout cela offre une éducation des plus utiles ; en outre, dans
les casernes, certaines heures sont consacrées à des études d'ouvrages.
Le maintien de ces armées permanentes avait d'abord paru être un grand
crime contre les peuples de ces diverses nations ; on enlevait, en effet,
des branches de l'activité domestique chaque homme de la société
pendant une période variant de un à trois ans ; nous croyons, néanmoins,
que cela a aidé merveilleusement à ouvrir les yeux de ces hommes, et les
nations précitées sont maintenant éveillées, stimulées et elles ont
des ambitions comme jamais auparavant. Bien entendu, dans la mesure où
l'instruction s'est répandue et où chacun a pris conscience des
avantages matériels, des commodités et des objets de luxe de la vie et
de la richesse de la ville, dans la même mesure s'est élevé le mécontentement
; les gens ont eu le sentiment que d'autres réussissent mieux qu'eux et
qu'il leur faut être sur leurs gardes pour saisir une occasion favorable
afin d'améliorer leur propre situation. En outre, il s'est produit un relâchement
dans les mœurs.
Pendant ce temps, les chaînes de l'ignorance et de la superstition en
matière religieuse ont également cédé, bien que l'influence de la
Papauté et de l'église grecque soit toujours très grande. Et s'il est
vrai qu'on ne croit guère que le prêtre, l'évêque et le pape ont le
pouvoir d'expédier quelqu'un au purgatoire ou au tourment éternel, ou de
l'admettre au ciel, cependant leur pouvoir est encore, dans une
grande mesure, craint, respecté. Dans l'ensemble, cependant, il s'est
produit un grand changement dans toutes les classes au point de vue
religieux. Parmi les protestants, la tendance, tel un pendule, oscille à
l'extrême opposé, de sorte que si les formes de dévotion et de piété
sont toujours observées, la vraie révérence a, en grande partie, quitté
les masses protestantes. La prétendue « critique supérieure » [ou
haute critique — Trad.] et la théorie de l'évolution ont pratiquement
détruit le respect de la Parole de Dieu. Ces théories, s'associant à présent
avec la théosophie orientale ont causé le naufrage de la vraie foi chrétienne
à des centaines de milliers, à la fois en Europe et en Amérique.
On devrait se rendre compte que toutes ces influences ont déjà, depuis
quelques années, eu une tendance à changer l'attitude de la classe
connue jusqu'ici sous le nom de « la classe conservatrice des
fermiers-propriétaires de la chrétienté ». A présent, dans une
conjoncture critique, nous discernons une certaine influence puissante
qui, graduellement mais assidûment a été au travail, et maintenant est
au travail, détruisant lentement la prospérité de cette classe
conservatrice. Durant ces vingt dernières années, des fermiers des
diverses nations civilisées ont trouvé de plus en plus difficilement à
obtenir une aisance ou à avoir part aux commodités et aux objets de luxe
de la vie. Il est vrai que, récemment, les prix de leurs produits ont
augmenté quelque peu. Mais cela est plus que compensé par le prix de
machines perfectionnées, etc. Néanmoins, ces fermiers espèrent que
l'augmentation de la production fera plus que compenser, et également que
d'une manière ou d'une autre, les prix garderont un équilibre convenable
au lieu de varier à leur continuel désavantage.
Tandis que le fermier américain a été aux prises avec de telles
conditions, son frère européen s'est trouvé dans une situation pire
encore parce que ses conditions étaient moins favorables : (1) Pour débuter,
il avait plus souvent à louer une ferme, en comparaison plus petite. (2)
Il ne disposait pas des mêmes moyens pour s'assurer des machines
perfectionnées. Pour ces raisons, le fermier européen n'a pas été du
tout capable de compenser chaque chute du prix de son blé par une
production supérieure en quantité, et en proportion, il a souffert
davantage que son frère américain sauf s'il s'adonnait à la culture de
la betterave sucrière.
Des philosophes, des hommes d'État et des savants ont étudié le sujet
avec une certaine attention, et très généralement, sont arrivés à la
conclusion hâtive que chaque chute du prix du blé est dû entièrement
à la surproduction. Croyant avoir trouvé la vraie réponse, ils en sont
restés là. Cependant, certains plus appliqués ont étudié la question
plus à fond, examiné les statistiques et trouvé qu'il n'est pas vrai
que les greniers du monde soient approvisionnés d'immenses quantités de
blé pour les besoins des années suivantes. Ils trouvent au contraire
qu'il y a comparativement peu de blé en réserve d'une année à l'autre
et que, pratiquement, le monde ne produit guère plus de blé qu'il n'en
consomme.
M. Robert Lindblom, membre de la Chambre de commerce de Chicago, a fait
une étude sur ce sujet, et dans une communication au ministère de
l'Agriculture du gouvernement des États-Unis, en date du 26 décembre
1895, déclara :
« La production collective du blé, dans les principaux pays producteurs,
n'a pas augmenté, car s'il est vrai que certains de ces pays accusent une
augmentation occasionnelle de blé, il est également vrai que
d'autres pays accusent une diminution correspondante. Pour observer une
totale impartialité, prenons la dernière récolte dont nous avons le
rapport complet, savoir celle de 1893.
« En ce qui concerne les récoltes à l'étranger, j'utilise les
chiffres fournis par le correspondant spécial à l'étranger de la
Chambre de commerce, et compilés par le secrétaire de la Chambre de
commerce de Chicago, et en ce qui concerne les exportations et les récoltes
du pays, j'utilise les chiffres de votre ministère. Je suis obligé
d'omettre la comparaison touchant l'Autriche-Hongrie parce que je ne possède
pas les chiffres pour 1893, mais en dehors de cela, j'ai l'honneur de vous
soumettre un rapport montrant la production de blé dans tous les
principaux pays pour l'année 1893, comparée avec celle de 1883 :
|
1893
|
1883
|
Angleterre
|
053
000 000
|
076
000 000
|
France
|
277
000 000
|
286
000 000
|
Russie
|
252
000 000
|
273
000 000
|
États-Unis
|
396
000 000
|
421
000 000
|
Allemagne
|
116
000 000
|
094
000 000
|
Italie
|
119
000 000
|
128
000 000
|
Inde
|
266
000 000
|
287
000 000
|
Total.........
|
1
479 000 000
|
1 565 000 000
|
[ces chiffres représentent des « bushels », mesure de capacité
américaine valant 35,2361 litres — Trad.]
« D'après ce tableau, on verra qu'en 1893 les principaux pays
producteurs de blé dans le monde ont récolté 86 000 000 de bushels de
moins que dix ans auparavant, tandis que, d'après vos chiffres, la
production en Argentine a augmenté seulement de 60 000 000 de bushels
dans le même temps. En 1871, la Grande-Bretagne a produit plus de 116 000
000 de bushels et, dans l'année qui a précédé et dans celle qui a
suivi 1871, la récolte fut de 105 000 000 de bushels, soit une moyenne de
109 000 000 de bushels pour les trois années, tandis que cette année, la
récolte dépasse légèrement 48 000 000 de bushels, d'après les
chiffres fournis par le correspondant spécial de la Chambre de Commerce
à l'étranger, résidant à Londres.
« S'il était vrai que les États-Unis étaient supplantés par la
concurrence de producteurs de blé, il s'ensuivrait alors, en toute
logique, que les exportations de ce pays vers l'Europe
accuseraient une diminution, mais antérieurement à 1890 et en 1890 même,
les exportations furent en moyenne de 119 000 000 de bushels, tandis qu'en
1891 elles furent de 225 000 000 de bushels, en 1892 de 191 000 000 de
bushels, en 1893 de 193 000 000 de bushels et en 1894 de 164 000 000 de
bushels ; il ne semble donc pas que nous ayons conservé notre blé
pendant que d'autres pays auraient disposé du leur. Les faits sont contre
cette affirmation, et s'il fallait encore autre chose pour le prouver,
votre ministère fournit l'information qu'en mars dernier les stocks entre
les mains des fermiers étaient petits. Je n'ai pas les
statistiques qui concernent la récolte de l'Australie dont on a tant parlé
il y a quelques années, mais j'ai les exportations de ce pays en 1893 :
elles furent de 13 500 000 bushels, alors que dix ans auparavant, elles étaient
de 23 800 000 bushels et en 1894 et en 1895 l'Australie importait du blé
de l'Amérique.
« Je n'ai rien dit au sujet de l'augmentation de la consommation
qui, dans les dix dernières années, s'élève en Angleterre à 18 000
000 de bushels ; ici dans notre pays, pendant la même période,
l'augmentation ne s'élève pas à moins de 50 000 000 de bushels, et dans
chaque pays, sauf en France, la consommation a augmenté d'une manière
plus que suffisante pour absorber toute augmentation de production à
travers le monde ».
Quelle que soit la cause de ces baisses de prix du blé, il est
certain que les fermiers en ont été presque réduits à la dernière
extrémité, tant en Europe qu'en Amérique (Nous pourrions noter que,
dans les trois dernières années, la hausse temporaire du blé est
probablement due au fait que les fermiers, trouvant le prix du blé
relativement inférieur à celui d'autres céréales, ont cultivé
davantage d'avoine, de maïs, de riz etc.). Nombre de fermiers américains
qui avaient contracté des dettes pour se procurer des machines agricoles,
ou qui travaillent en ayant une hypothèque sur leur ferme et sur leur
foyer, sont dans l'impossibilité de faire face à leurs engagements
financiers, même dans les années de récoltes assez bonnes. Tous
protestent énergiquement contre leurs créanciers hypothécaires, et
aussi, souvent injustement, contre les tarifs de transport des chemins de
fer fixés pour transporter leurs récoltes. Les fermiers européens font
appel à leurs gouvernements respectifs afin d'obtenir des tarifs
douaniers protecteurs contre l'importation des blés étrangers pour
qu'ils puissent maintenir ou élever leurs prix et ainsi faire
raisonnablement face aux frais de production ; ils prétendent, non sans
raison, que cinquante ou soixante « cents » pour un « bushel »
de blé est inférieur au prix de revient si l'on admet qu’une rémunération
satisfaisante soit accordée à l'agriculteur pour son temps et son énergie.
Ces faits reportent notre attention sur une prophétie très remarquable
relative aux derniers jours de l'Age de l'Évangile et écrite par l'apôtre
Jacques (Jacques 5 : 1-9). Après avoir attiré notre attention sur le
temps actuel et sur la prodigieuse accumulation des richesses de notre époque,
après avoir affirmé que ces choses sont sur le point d'amener un grand
temps de détresse, l'Apôtre indique la cause immédiate de cette détresse
; il nous dit qu'elle provient de l'agitation parmi la classe de la société
jusqu'ici conservatrice, celle des fermiers. Il semble montrer avec précision
la condition actuelle des agriculteurs comme peuvent la voir maintenant
tous les observateurs attentifs, ajoutant pour expliquer la chose,
qu'elle est la conséquence d'une tromperie. Il déclare :
« Voici, le salaire des ouvriers qui ont moissonné vos champs [à vous
« riches »] et duquel ils ont été frustrés par vous, crie, et
les cris de ceux qui ont moissonné sont parvenus aux oreilles de l'Éternel
des armées ».
Nous avons vu, dans le chapitre précédent, que les ouvriers et artisans
des diverses industries actuelles et, d'une manière générale, les
ouvriers des villes souffrent déjà dans une certaine mesure, mais que
jusqu'ici leurs souffrances réelles proviennent surtout de la crainte
des conditions qui empirent chaque jour à cause de l'augmentation de la
connaissance, du machinisme et de la population, dans les conditions
sociales actuelles. Le fermier civilisé, lui, a non seulement à lutter
contre toutes ces influences défavorables, mais comme nous allons le
montrer, il est maintenant victime d'une « tromperie » qui lui
fait un tort considérable, mais qui, par contre, procure des avantages à
son frère l'ouvrier.
Si nous considérons de près la réalité et les faits, nous ne pouvons
pas dire que les ouvriers en général, et les ouvriers agricoles en
particulier, sont frustrés de leurs salaires par leurs patrons dans ces
« derniers jours », c'est-à-dire à la fin de l'Age
présent. Au contraire, nous constatons que les lois sont plus équitables
que dans le passé en protégeant le salarié contre tout préjudice.
L'ouvrier a le droit de faire saisir et vendre les biens de son employeur,
et vraiment, dans de nombreux cas, il a la priorité parmi les créanciers.
Nous croyons que la prophétie s'applique plutôt aux agriculteurs en général.
Ce sont eux qui produisent la nourriture du monde, qui sont les «
moissonneurs », et nous devrions nous attendre à trouver dans le
monde entier quelque législation générale qui s'appliquerait
partout de la même façon à tous ces « moissonneurs ». Nous
devrions nous attendre à ce qu'une telle législation ait été obtenue
par fraude ou par tromperie ; nous devrions nous attendre à trouver
qu'une telle législation frauduleuse ou qu'une telle « tromperie » légalisée
ait été obtenue, et à leur avantage, par les riches de ce monde. Seule,
une telle législation, et rien d'autre, répondrait aux conditions
requises par cette prophétie. Nous
croyons, et allons essayer de le prouver, que toutes ces conditions
requises par la prophétie se trouvent dans la démonétisation de
l'argent.
Cependant, que personne ne pense un instant que nous réclamons ou que
nous espérons le retour de l'argent à la place qu'il occupait autrefois
comme unité monétaire dans le monde ; encore moins, que nous préconisons
cela comme une panacée pour empêcher les troubles actuels et futurs !
Bien au contraire, nous sommes fermement convaincu, d'après la prophétie
de Jacques, que l'argent ne reprendra pas son pouvoir monétaire. C'est
bien notre désir de montrer l'accomplissement de cette prophétie et de
faire bénéficier chacun de la lumière qu'elle projette sur les
difficultés présentes du monde et sur celles qui viennent.
La démonétisation de l'argent par la chrétienté apporte des avantages
à certaines classes et des désavantages à certaines autres classes de
la « chrétienté ».
Elle est au désavantage des producteurs de blé, de riz et
de coton, parce qu'ils doivent vendre les fruits de leur labeur en
concurrence avec les produits des pays dont le système monétaire a comme
base l'étalon-argent. De ce fait,
en pratique, ils les vendent pour de l'argent déprécié, alors
que leur terre, leurs outils, leurs vêtements, leur main-d’œuvre et
l'intérêt des hypothèques sur leur propriété sont tous payables en or
renchéri. S'ils reçoivent le paiement en argent et qu'eux paient la
même somme en or, ils perdent exactement la moitié quand la valeur de
l'or est le double de celle de l'argent. En 1873, avant que l'argent ne fût
démonétisé par les nations de la chrétienté, un dollar-argent valait
deux « cents » [1 « cent » = 1/100 de dollar —
Trad.] de plus qu'un dollar-or ; tandis qu’aujourd'hui, par suite de
cette législation, il faut deux dollars-argent pour égaler un dollar-or
(en valeur réelle, en ne tenant pas compte de la valeur arbitraire
et nominale de l'argent monnayé que l'État fixe comme s'il s'agissait de
billets de banque). Ce changement intervenu peut être considéré, ou
bien comme une hausse du dollar-or qui aurait doublé de valeur, ou bien
comme une baisse du dollar-argent qui aurait diminué de moitié, ce qui
revient exactement au même.
En 1872, un « busheI » [35,2361 litres — Trad.] de blé
valait en monnaie d'argent 1,51 dollar et en monnaie d'or 1,54 dollar ; en
1878, il valait respectivement 1,34 dollar-argent ou 1,19 dollar-or, et en
1894 1,24 dollar-argent ou 0,61 dollar-or.
Il apparaît ainsi que, durant ces années, le blé n'a que peu baissé
dans les pays qui ont encore l'étalon-argent, tandis qu'il a perdu de sa
valeur en or dans la chrétienté. L'Angleterre est le principal acheteur
de blé ; elle l'achète naturellement là où elle l'obtient au plus bas
prix. En convertissant un dollar-or en deux dollars-argent, elle peut
acheter aujourd'hui à l'Inde le double de blé qu'au temps ou l'argent n'était
pas démonétisé. C'est ainsi que le prix-or du blé s'est effondré. Les
producteurs de riz et de coton des États-Unis subissent les mêmes préjudices
pour les mêmes raisons. Le riz et le coton sont cultivés dans des pays
à étalon-argent et peuvent être achetés par des pays à étalon-or sur
la base de la moitié du prix primitif d'avant la démonétisation de
l'argent.
Incidemment, les producteurs d'autres récoltes agricoles ont subi les mêmes
difficultés, car après avoir en vain essayé de compenser la baisse des
prix par un accroissement de production, les producteurs de blé, de coton
et de riz, se sont en fin de compte tournés vers d'autres cultures dont
les prix n'avaient pas baissé autant, et furent frappés par la
surproduction. Incidemment aussi, de petits magasins sont également touchés,
et finalement, ce sont toutes les classes qui doivent, dans une certaine
mesure ressentir le fardeau du cultivateur.
Mais quelles sont les classes de la Société qui bénéficient de la démonétisation
de l'argent ? Plusieurs : (1) spécialement et surtout les banquiers,
les prêteurs d'argent, les créanciers hypothécaires, car chaque dollar
de leur fortune a doublé de valeur, et chaque dollar qu'ils reçoivent
maintenant en intérêt vaut le double de ce qu'il valait auparavant —
il vaut le double dans le sens qu'il permettra d'acheter deux fois plus
de choses nécessaires à la vie et d'objets de luxe. (2) Tous ceux
qui ont des revenus fixes, tels que les parlementaires, les juges, les
employés et tous les travailleurs qui reçoivent un salaire en bénéficient
pour des raisons semblables. Qu'ils reçoivent dix dollars par semaine ou
par jour ou par heure, les dix dollars achèteront deux fois plus de coton,
de laine, de blé, etc., et par conséquent, près de deux fois plus des
produits dérivés de ces matières premières.
Lorsque la question de l'argent fut agitée devant les citoyens des États-Unis
par les agriculteurs qui avaient trouvé, les premiers, la cause de leurs
difficultés, il sembla, pour un temps, qu'elle allait influencer tout le
pays dans les élections de 1896. Mais quand chaque individu examina la
question à la lumière de ses propres intérêts personnels, la classe
des riches, la classe des fonctionnaires, la classe des employés et celle
des ouvriers commencèrent à discerner que le beurre sur leurs tartines
provenait du côté de l'or ; les boutiquiers et les fermiers aisés doutèrent,
en bons conservateurs, de leur propre jugement et suivirent l'exemple de
leurs banquiers — contrairement à leurs propres intérêts — et l'étalon-argent
fut battu dans la nation même où les intérêts dépendaient de lui, la
seule nation qui, en raison du caractère et de la somme de ses
exportations et de ses importations, aurait pu faire pencher la balance et
rétablir l'argent à sa valeur monétaire primitive.
Aujourd'hui, la situation créée par la démonétisation de l'argent est
irrémédiable et ce métal ne sera jamais rétabli à la place qu'il a
perdue en 1873. C'est maintenant une question de pur égoïsme, et si les
agriculteurs, en tant que classe, sont plus nombreux qu'aucune autre
classe, ils ne forment pas, pour autant, une majorité, et presque
toutes les autres classes sont égoïstement intéressées par l'autre côté
de la question. Pauvres agriculteurs ! pauvres moissonneurs des champs !
Vos cris de ces dernières années sont un peu apaisés pour un temps, grâce
à une hausse artificielle des prix, mais ce petit répit sera bientôt
suivi d'une oppression plus grande que jamais et de cris de plus en plus
forts des moissonneurs de la chrétienté. Ainsi la patience et le
conservatisme de la classe de la société la plus patiente et la plus
conservatrice sont-ils en train d'être minés et détruits, ajoutant à
la préparation du temps de détresse, du jour de la vengeance.
Mais comment la démonétisation de l'argent a-t-elle pu se faire ? Qui
avait intérêt à amener une telle catastrophe sur le monde ? Nous répondons
: les financiers en premier lieu. C'est « leur business » (leur
affaire) de manipuler et de travailler l'argent, comme c'est l'affaire du
paysan d'exploiter sa ferme, afin d'apporter pour eux-mêmes, ou pour
leurs syndicats et leurs institutions, le plus important accroissement
possible. Les financiers anglais sont à la tête de la finance mondiale,
car ils ont été plus longtemps dans les affaires, et les ont étudiées
plus à fond.
« Tout est permis pendant la guerre » dit un adage, et les financiers et
les hommes d'État anglais qui paraissent avoir discerné ces sujets
cinquante ans avant le reste du monde, semblent penser que la guerre
commerciale est à l'ordre du jour et bien plus profitable aux vainqueurs
que ne l'étaient la traite des esclaves dans le passé et les expéditions
de pillage. Les Britanniques discernèrent de bonne heure qu'ayant un pays
comparativement petit, leur plus grande prospérité devait résider dans
la fabrication et la manipulation des finances, non seulement pour eux-mêmes,
mais dans toute la mesure permise pour le reste du monde. Les
fonctionnaires britanniques ont avec soin mis en application ce plan, et
étant capables de fabriquer à meilleur marché que le reste du monde,
ils ont adopté la politique la plus favorable à leurs propres intérêts,
le libre-échange, et toujours depuis, l'ont recommandée comme politique
au monde civilisé. Pendant longtemps, les circonstances ont fait de la
Grande-Bretagne non seulement l'atelier du monde, mais également son
centre commercial, monétaire et bancaire.
Il y a près d'un siècle, des financiers britanniques perspicaces
comprirent que puisqu'ils n'étaient pas un peuple d'agriculteurs, leurs
intérêts seraient favorisés en faisant baisser les prix des
produits agricoles qu'ils étaient obligés d'acheter aux nations étrangères.
Ils comprirent également que l'argent était la monnaie universelle, et
qu'il l'avait été dès les premières heures de l'histoire ; en conséquence,
s'il leur était possible de changer l'étalon monétaire, d'adopter pour
faire leurs affaires l'étalon-or pendant que le reste du monde
utiliserait l'argent, ils pourraient ainsi changer les valeurs relatives
des deux métaux en leur propre faveur. C'est pour cette raison que la
Grande-Bretagne, en 1816, démonétisa l'argent. Si elle avait réussi à
empêcher l'industrialisation des autres pays comme elle chercha à le
faire, et si, ayant d'immenses usines, de grandes facilités et des
ouvriers expérimentés, elle avait pu ainsi fabriquer des tissus de coton
et de laine, et des machines à meilleurs prix que le reste du monde mal
outillé ne pouvait en produire, elle aurait réussi à séparer sa
monnaie de celle du reste du monde, et finalement en aurait tiré un très
grand profit pour elle-même. Cependant, elle ne réussit pas entièrement
dans ses desseins : la France et les États-Unis en particulier, et plus
tard l'Allemagne, établirent une protection douanière et encouragèrent
ainsi des industries mécaniques à l'intérieur de leurs frontières ;
graduellement, elles devinrent capables non seulement de fournir la plus
grande partie des choses qui leur étaient nécessaires, mais également
d'entrer en compétition avec la Grande-Bretagne dans le commerce mondial
avec l'Inde, la Chine, I'Espagne, le Portugal, l’Amérique du Sud, la
Russie. A leur tour, ces pays, comme nous l'avons vu, cherchent à suivre
la même politique et à développer leur propre industrie ; néanmoins,
la Grande-Bretagne reste à la tête des nations comme pays industriel et
commercial. La Grande-Bretagne ne réussit pas non plus à séparer l'or
et l'argent qui avaient si longtemps servi conjointement de monnaie dans
le monde. En vérité, alors que le rapport de valeur entre ces deux métaux
avait été pendant des années de seize parties d'argent pour une partie
d'or, l'argent avait plutôt tendance à monter et l’or à descendre
relativement, parce que l'argent était la monnaie surtout en usage dans
le monde et préféré par les gens, sauf en Grande-Bretagne. Il n'est
donc pas surprenant que, selon les statistiques, un dollar-argent valait,
en 1872, plus de deux « cents » qu'un dollar-or.
Se rendant compte que par eux-mêmes, ils ne pourraient avoir la haute
main ni sur l'or, ni sur l'industrie, les financiers britanniques cherchèrent
alors à s'associer avec les États-Unis et l'Europe, espérant que par
leurs efforts combinés, l'or et l'argent seraient séparés comme valeurs,
faisant ainsi monter la valeur de l'or. Quels seraient les résultats des
efforts combinés des nations civilisées pour abolir l'étalon-argent en
démonétisant ce métal ?
(1) L'argent deviendrait une simple denrée marchande dans les pays
civilisés, et serait, de ce fait, meilleur marché que l'or. L'étalon-or,
ainsi adopté, devrait augmenter de valeur dans la proportion même ou
l'argent allait diminuer de valeur. Ce fait permettrait aux pays civilisés
d'acheter tout ce dont ils auraient besoin (coton, blé, caoutchouc et
autres matières premières) aux nations non civilisées en les payant
avec l'argent, monnaie dépréciée, et d'obtenir ainsi tous ces produits
meilleur marché, à moitié prix. Par contre, ces pays civilisés
obligeraient les pauvres païens à payer tous les articles de luxe, les
machines, etc., qu'ils achèteraient aux nations civilisées à un prix
double, par le fait de leur dollar-argent démonétisé et réduit à la
moitié d'un dollar par la législation de ses frères civilisés de la
chrétienté dirigés par des « Shylocks » ou financiers rapaces. On
voudrait justifier comme étant « strictement des affaires » cet
emploi de cerveaux civilisés pour spolier les païens, mais était-ce
justice ou escroquerie du point de vue divin ? Les chrétiens ne faisaient
sûrement pas aux païens (leurs prochains) ce qu'ils auraient voulu que
ces derniers leur fissent.
(2) Bien que cette mesure mettrait toutes les nations civilisées sur un
pied d'égalité avec la Grande-Bretagne touchant le commerce extérieur,
cette dernière espérait néanmoins que, étant à la tête des autres,
elle serait toujours capable de conserver la plus grosse part du commerce
étranger.
Nous n'ignorons pas que la loi de l'offre et de la demande exerce aussi
son influence sur la production et le commerce du blé, mais nous avons
montré que jusqu'ici, le monde n'a nullement de surproduction. Nous avons
même vu, par les statistiques de M. Lindblom, que la production de blé
ne marche pas de pair avec l'accroissement de la population du globe. Nous
constatons de plus que si l'année 1892 a été considérée comme celle
qui a produit la récolte de blé la plus abondante de toute l'histoire du
monde, le prix moyen du blé à New York City pour cette année fut de 90
« cents » le bushel [0,90 dollar les 35 l environ —Trad.], et que,
depuis, malgré des récoltes plus faibles, le prix a baissé régulièrement
jusqu'à la hausse artificielle de ces dernières années.
Il est possible que les écarts dans les prix soient dus à certaines
circonstances extraordinaires qui prévalent dans le monde. Il est
possible que les récoltes de blé en Russie, en République argentine, en
Autriche, en Hongrie et, dans d'autres pays, puissent être notablement
au-dessous de la moyenne, tandis que l'Inde qui, d'ordinaire, a un
important surplus de blé à exporter puisse avoir une famine affectant 35
millions de sa population et exigeant l'aide du blé américain pour
compenser sa déficience. De telles circonstances dans des années antérieures,
même en 1892 avec la récolte la plus abondante que le monde ait jamais
connue, auraient porté le prix du blé à probablement 1,30 dollar le
bushel (car en 1892 une once [31 g environ — Trad.] d'argent valait
encore 87 « cents » en or) tandis que dans les circonstances monétaires
prévalant en 1873, le prix mondial du blé aurait été porté, en 1896,
au prix qu'il est vendu en Inde, environ 1,90 dollar-argent le bushel. De
plus, en examinant ce sujet, nous devons tenir compte du fait que si le
prix du blé est considérablement tombé au cours des trente dernières
années pour une certaine cause autre que la surproduction, ainsi que nous
l'avons vu, les prix de quelques autres articles n'ont presque pas baissé.
Par exemple, comparez l'année 1878 et l'année 1894 qui sont des années
moyennes. Le tableau suivant donne les prix moyens du marché de New York :
|
1878
|
1894
|
Seigle, le bushel (35 l environ).
|
65 c. (0,65 $)
|
68 c.
|
Avoine.
|
33 c.
|
37 c.
|
Maïs.
|
52 c.
|
51 c.
|
Feuilles de tabac de Kentucky, la livre (453 g environ).
|
7 c.
|
9 c. ½
|
Bœuf frais,
en gros.
|
5 c. ¼
|
5c. ½
|
Porc frais, en gros.
|
4 c. ¼
|
5 c. ½
|
Foin, la « ton » (907 kg environ).
|
7,25 $
|
8,50 $
|
Comparez ces prix avec les trois articles — blé, coton et argent
— qui furent spécialement touchés, et touchés de la même façon, et
évidemment par la même cause, la démonétisation de l'argent par la chrétienté.
|
1878
|
1894
|
Coton, la livre.
|
11 c
|
7 c.
|
Blé, le bushel.
|
1,20 $
|
61 c.
|
Argent, l'once.
|
1,15 $
|
63 c. ½
|
Mais, pourrait suggérer quelqu'un : les nations de la chrétienté
n'ont-elles pas été contraintes de démonétiser l'argent par la loi de
l'offre et de la demande ? Cette dépréciation de l'argent ne
provient-elle pas de sa trop grande abondance, et non d'une
intrigue quelconque pour faire hausser la valeur de la monnaie d'or ?
Nous répondons : non. Bien que dans ces derniers temps la production d'or
et d'argent ait été grande, l'accroissement des affaires en général et
de la population a été proportionnellement bien plus grand. Si tout l'or
et l'argent du monde étaient transformés en pièces de monnaie ils
seraient tout à fait insuffisants pour les transactions
commerciales du monde ; il faudrait encore y suppléer par des billets de
banque, des effets de commerce, des chèques, etc. C'est le prêteur
d'argent qui a intérêt a ce que l'argent monnayé ou les espèces métalliques
soient rares, afin que la demande de cet argent soit toujours considérable,
et qu'ainsi il puisse en prêter à un taux élevé et exiger une double
garantie. En 1896 on estimait à moins de 6 milliards de dollars tout l'or
du monde, monnayé et non monnayé, tandis que les dettes publiques et les
dettes privées des États-Unis étaient évaluées à plus du triple de
cette somme. Pendant des années avant 1873, la Russie avait essayé de
changer sa monnaie-papier dépréciée et de revenir à un étalon-argent,
mais comme elle ne put se procurer d'argent en quantité suffisante, elle
a encore sa monnaie-papier. Nous mentionnons ces faits pour montrer que la
chute de l'argent a été préméditée, qu'elle fut causée non
par la loi de l'offre et de la demande (car en 1872 il y eut plus de
demande d'argent que de demande d'or, amenant l'argent à un taux plus élevé
que l'or), mais par la législation.
Pourtant, est-il concevable que les représentants des peuples de toutes
les nations de la « chrétienté » aient ourdi une
conspiration contre les païens et contre leurs propres agriculteurs ? Non
: les faits ne soutiennent pas une telle conclusion ; ils montrent plutôt
que les puissances d'argent [ou haute finance — Trad.] — que nous
nommerons « Shylock » — organisèrent le complot de manière
à tromper les législateurs quant aux résultats à en attendre. Nous
avons, à cet égard, le témoignage du prince Bismarck et de nombreux
membres du Congrès des États-Unis. Ce fut ainsi « par une
escroquerie » qu'un mince « coin » de législation fut
introduit entre les deux moitiés de la monnaie du monde, à l'effet de déprécier
l'argent et de doubler la valeur de l'or ; à présent qu'on discerne le
mal, les hommes d'État sont frappés de stupeur devant l'étendue de la
rupture ; ils se rendent compte que si l'on rétablissait l'étalon-argent,
on causerait des difficultés et des pertes énormes à la classe des créanciers,
en voulant dédommager la classe des débiteurs pour les pertes
qu'elle a, elle, déjà subies, et ce à cause de la démonétisation de
l'argent. En outre, « Shylock » ayant obtenu un avantage si précieux
(la valeur portée au double, de toutes ses possessions et de tous
ses revenus), laisserait plutôt la société entrer dans les convulsions
de la panique ou de la révolution que de lâcher son étreinte sur le
sang vital financier de l'humanité. « Shylock », a le pouvoir
d'imposer ses exigences. Il domine la classe nombreuse des emprunteurs qui
viennent l'implorer aux guichets de ses banques ; il domine les
gouvernements nationaux, lesquels sont tous des débiteurs, et il a la
haute main sur la presse
laquelle encourage avoir confiance en l'honneur et en la bienveillance de
« Shylock » et à craindre sa colère et sa puissance. En
outre, une très importante et très influente classe de fonctionnaires et
d'employés salariés et d'ouvriers spécialistes trouvent que leurs intérêts
concordent avec la politique de « Shylock » ; si toutefois ils
ne sont pas ses défenseurs, ils sont assurément tièdes sinon froids
pour s'opposer à sa politique et penchent plutôt à dire peu de chose ou
à ne rien dire contre elle.
Parmi les nombreux témoignages à propos de la tromperie et de
l'escroquerie qui furent pratiquées, nous nous contenterons de citer les
suivants :
Le sénateur Thurman a déclaré :
« Alors que le projet de loi était en suspens au Sénat, nous pensions
qu'il s'agissait simplement d'un projet en vue de réformer la frappe de
la monnaie, de régler le système monétaire, d'amender une chose et une
autre ; il n'y avait pas un seul homme, je pense, au Sénat, à moins que
ce fût un membre du comité d'où venait le projet de loi, qui eût la
moindre idée qu'il s'agissait là d'une tentative de démonétisation »
— Comptes rendus du Congrès, volume 7, partie 2, 45e Congrès,
seconde session, page 1 064.
Au Sénat, le 30 mars 1876, au cours des remarques faites par le sénateur
Bogy sur le projet de loi (S. 263) « Pour l'amendement des lois relatives
au cours I'égal de la monnaie d'argent », le sénateur Conkling,
surpris, demanda :
« Le sénateur me permettra-t-il de lui poser, à lui ou à un autre sénateur,
une question ? Est-ce vrai que légalement il n'y a plus maintenant de
dollar américain ? Et si oui, est-il vrai que le but de ce projet de loi
est de faire en sorte que des demi-dollars et des quarts de dollars soient
la seule monnaie d'argent qui puisse avoir un cours légal ? »
Le 15 février 1878, le sénateur Allison déclara :
« Mais lorsqu'on fera connaître l'histoire secrète de ce projet de loi
de 1873, on découvrira le fait que la Chambre des Représentants avait
l'intention de frapper à la fois de la monnaie d'or et de la monnaie
d'argent et qu'elle avait l'intention d'indiquer les deux métaux sur le
rapport français, au lieu de le faire sur le nôtre, ce qui était la
vraie position scientifique touchant ce sujet en 1873, mais que le projet
fut par la suite remanié ».
L'Hon. William D. Kelley, rapporteur de ce projet, déclara au cours d'un
discours qu'il fit à la Chambre des Représentants, le 9 mars 1878 :
« A propos de l'accusation faite que j'ai soutenu le projet de loi
qui démonétisait le dollar étalon-argent, je déclare que, bien que président
du comité de la frappe monétaire, j'étais ignorant du fait que cette
loi démonétiserait le dollar-argent de notre système monétaire, comme
étaient également ignorants du fait ces distingués sénateurs, MM.
Blaine et Voorhees, qui étaient alors membres de la Chambre et qui
s'interrogèrent l'un l'autre quelques jours après : « Saviez-vous que
l'étalon-argent était abandonné quand le projet fut voté ? » « Non
», déclara M. Blaine, « et vous, le saviez-vous ? » « Non »
dit M. Voorhees. « Je ne pense pas qu'il y avait dans la Chambre trois
membres qui le savaient ».
Le 10 mai 1879, M. Kelley dit encore :
« Tout ce que je puis dire, c'est que le comité sur les monnaies,
les poids et les mesures qui rédigea le projet original, fut fidèle et
capable, et qu'il examina de très près les dispositions de ce projet ;
que je fus son porte-parole pour le rapporter, que ce projet contenait des
clauses à la fois pour le dollar étalon-argent et pour le dollar
commercial. N'ayant jamais, sinon longtemps après le vote du projet,
entendu parler de la substitution qui fut faite au Sénat du passage qui
abandonnait le dollar-étalon, je déclare ouvertement ne rien savoir de
son histoire, mais je suis en mesure de dire que dans toute la législation
de ce pays, il n'y a aucun mystère qui puisse égaler celui de la démonétisation
du dollar étalon-argent des États-Unis. Je n'ai jamais trouvé un homme
qui pût dire exactement comment cela s'est passé et pourquoi ».
Le 10 janvier 1878, dans un discours prononcé devant, le Sénat, le sénateur
Beck déclara :
« L'une ou l'autre des Chambres du Congrès n'a jamais compris le
projet de loi sur la démonétisation de l'argent. Je le dis en pleine
connaissance des faits. Aucun reporter de journal — et ils sont les
hommes les plus vigilants que je connaisse pour obtenir des renseignements
— n'a découvert que cela avait eu lieu ».
Si la place nous l'avait permis, nous aurions pu citer de nombreuses
autres déclarations aussi fortes. Le titre même du projet de loi était
trompeur il était ainsi libellé : « Projet de Révision des lois
relatives à l'Hôtel de la monnaie, aux fonctionnaires de contrôle et à
la frappe de la monnaie des États-Unis », et la démonétisation de
l'argent était cachée par (1) la disposition de la section 14, à savoir
que désormais un dollar-or serait « l'unité de valeur », et (2)
par la section 15 qui définit et spécifie les pièces d'argent, mais
omet entièrement de mentionner le dollar « étalon » —
argent. La loi du 22 juin 1874 acheva de tuer le dollar « étalon »
— argent sans le nommer le moins du monde, en disposant simplement
qu'aucune autre pièce que celles mentionnées dans la loi de 1873 ne
serait frappée. Le Président des E.U. Grant dont la signature fit du
projet une loi, n'en connaissait pas, dit-on, le caractère, et le déclara
ainsi quatre ans plus tard, quand l'effet de la loi commença à se
manifester. En vérité, peu de gens, à l'exception des « financiers »
sagaces, prirent grande attention aux pièces de monnaie, car la nation
n'avait pas encore repris les paiements en numéraire, et l'on supposait
que cela serait une étape préparatoire utile dans cette direction.
M. Murat Halstead, rédacteur en chef de la Commercial Gazette de
Cincinnati était l'un des hommes capables de son temps. Voici, cité du Journal
de New York en date du 24 octobre 1877, un passage écrit par lui :
« Ceci — la politique britannique de l'or — fut l’œuvre
d'experts seulement. Le subterfuge était essentiel à son succès, et
c'est peut-être parce qu'aucune pièce n'était en circulation, donc à
l'abri des regards du public, qu'on put toucher à l'étalon-argent sans
attirer l'attention. Le système monométalliste de la grande nation créditrice
fut ainsi imposé sans discussion à la grande nation débitrice ».
On attribue publiquement les déclarations suivantes à feu le Col. R. G.
Ingersoll :
« Je demande avec insistance la remonétisation de l'argent. C'est
par escroquerie que l'argent a été démonétisé. Ce fut une imposition
appliquée à chaque homme solvable, une escroquerie à l'égard de chaque
débiteur honnête des États-Unis. C'est l'assassinat des classes
laborieuses (« labor »). Cette démonétisation a été opérée dans
l'intérêt de l'avarice et de la cupidité. Elle devrait être abolie par
des honnêtes gens ».
Ce que serait l'effet de cette démonétisation, de nombreux hommes d'État
le prédirent dans l'enceinte du Congrès dès qu'on discerna la véritable
situation, de 1877 à 1880. Certains ne discernaient pas les conséquences,
d'autres étaient tranquillisés par leur propre égoïsme, et d'autres
encore s'en rapportaient aux conseils des « financiers » ; pourtant,
certains s’élevèrent vaillamment contre cette injustice.
Dans un discours qu'il prononça devant le Sénat des États-Unis, en
1880, feu l’Hon. James G. Blaine déclara :
« Je crois que la lutte qui est maintenant engagée dans ce pays et
dans d'autres pays à propos d'un seul étalon-or, produirait, si elle réussissait,
un désastre sur une grande échelle dans et à travers le monde
commercial. La destruction de l'argent comme monnaie, et l'instauration de
l'or comme seule unité de valeur, doivent avoir un effet ruineux sur
toutes les formes de propriété à l'exception des investissements qui produisent
un revenu déterminé en espèces. Ces investissements seraient accrus
en valeur d'une manière considérable, et obtiendraient un avantage
disproportionné et injuste sur toutes les autres espèces de propriétés.
Si, comme l'affirment des statistiques les plus dignes de foi, il y a dans
le monde près de sept milliards de dollars en pièces ou en lingots,
divisés également entre l'or et l'argent, il est impossible de rayer
l'argent comme monnaie sans provoquer des résultats douloureux pour des
millions de gens et complètement désastreux pour des dizaines de
milliers. Je crois que les pièces d'or et d'argent sont la monnaie de la
constitution, en fait la monnaie du peuple américain antérieurement à
la constitution, que la grande loi organique reconnut comme étant tout à
fait indépendante de sa propre existence. Le Congrès ne reçut aucun
pouvoir pour déclarer que l'un ou l'autre métal ne constituerait la
monnaie ; par conséquent, et selon mon jugement, le Congrès n'a aucun
pouvoir de démonétiser l'un ou l'autre. Si, donc, l'argent a été démonétisé,
je suis favorable à sa remonétisation. Si son monnayage a été interdit,
je suis partisan qu'on ordonne qu'il soit repris. Je suis partisan qu'il
soit augmenté ».
Feu le sénateur Vance déclara plus tard :
« La puissance d'argent et ses alliés à travers le monde sont entrés
en conspiration afin de perpétrer le plus grand crime de cet âge ou de
n'importe quel âge afin de détruire la moitié de l'argent du monde et
par là même de doubler leur propre fortune en augmentant la valeur de
l'autre moitié qui se trouve entre leurs mains. Les changeurs d'argent
sont en train de souiller le temple de nos libertés ».
Le gouvernement des États-Unis expédia des lettres officielles à ses
représentants à l'étranger, en demandant des rapports sur les affaires
monétaires. Le rapport de M. Currie, ambassadeur en Belgique, largement répandu,
est une remarquable démonstration, en accord avec les expériences du
peuple des États-Unis. Dans son rapport, il mentionne la réponse que lui
fit à ses questions l'Hon. Alfonse
Allard, directeur belge des Finances :
« Depuis 1873, une crise sévit continuellement dans une chute de tous
les prix, et il ne semble pas possible d'arrêter sa progression. Cette
chute des prix, se répercutant sur les salaires, se développe à présent
en une crise sociale et industrielle.
« Vous me demandez pourquoi nous sommes retournés en 1873 au monométallisme,
aussi boiteux qu'il puisse être. Je ne puis concevoir aucune autre raison
que celle que cela devait plaire à une certaine classe de financiers qui
en profitèrent, classe soutenue par des théories inventées et défendues
à cette époque par quelques économistes politiques, notamment par des
membres de l'Institut de France.
« Vous demandez quelle influence ont eue en Belgique ces mesures monétaires
sur l'industrie et sur les salaires ? L'argent (« money ») qui était déjà
rare en 1873, est devenu plus rare encore, et cette chute des prix qui
avait été prédite s'est produite. La chute moyenne dans le prix de tous
les produits du travail est de 50 % depuis 1873, celle des céréales de
plus de 65 % L'industrie n'est plus rémunératrice, l'agriculture est
ruinée ; chacun réclame des droits de douane protecteurs, tandis que nos
citadins ruinés pensent à la guerre. Telle est la triste situation de
l'Europe ».
Dans une lettre à la Ligue républicaine nationale (du 11 juin 1891), le
sénateur J. D. Cameron écrivait :
« Il nous semble que le seul étalon-or est en train d'opérer la ruine
avec une violence que rien ne peu contenir. Si cette influence doit se
poursuivre dans l'avenir à raison de son action durant les vingt années
depuis que l'étalon-or a pris possession du monde, une certaine génération,
pas très éloignée, verra dans le vaste continent de l'Amérique une
demi-douzaine seulement de villes monstrueuses montant la garde sur une
masse de capitaux et les prêtant à une population de travailleurs dépendants,
en hypothéquant leurs récoltes encore sur pied et leur ouvrage inachevé.
De tels spectacles ont été assez fréquents dans l'histoire du monde,
mais nous nous révoltons tous contre cela. Riches comme pauvres ; républicains,
démocrates, populistes ; travail et capital ; églises et collèges —
tous pareillement, et tous fermement unis dans une authentique bonne foi,
nous reculons devant un tel avenir ».
Les financiers anglais savent très bien pourquoi souffrent les
agriculteurs du monde, et en particulier ceux des États-Unis et du Canada
qui exportent du blé ; ils confessent parfois qu'ils en sont, eux,
responsables à cause de leur égoïsme personnel. Par exemple, nous
citons ce qui suit de l'éditorial de Financial News (Londres), du
30 avril 1894 :
« Nous avons fréquemment des différends diplomatiques avec les États-Unis,
mais en règle générale, ils s'accompagnent rarement d'animosité entre
les peuples des deux pays, et les disputes finissent et on les oublie.
Mais à présent nous sommes en train de favoriser le développement d'une
impression que, sur une question qui concerne la prospérité de millions
d'Américains individuels, notre pays est porté à nourrir des intentions
inamicales pour les États-Unis. Nous savons, bien entendu, que l'hostilité
est accidentelle, et que notre politique monétaire est dirigée par des
considérations purement égoïstes, si purement égoïstes que nous ne
nous préoccupons pas de voir l'Inde souffrir de notre action beaucoup
plus que ne le fait l'Amérique...
« Le sénateur Cameron souligne une leçon clairement évidente
quand il fait observer que si les États-Unis se risquaient de rompre les
amarres avec l'Europe et de se tourner résolument vers l'étalon-argent,
ils auraient derrière eux toute l'Amérique et toute l'Asie, et
domineraient les marchés des deux continents. « La barrière d'or serait
plus fatale que n'importe quelle barrière douanière. La confédération
de argent [étalon-argent — Trad.] serait plus puissante que celle du
libre-échange ». Il n'y a aucun doute à ce sujet, savoir, que si les États-Unis
devaient adopter un étalon-argent demain, le commerce britannique serait
ruiné avant que l'année soit achevée. Chaque industrie américaine
serait protégée, non seulement à l'intérieur mais sur tous les autres
marchés. Bien entendu, les États-Unis souffriraient jusqu'à un certain
point parce qu'ils auraient à payer en or leurs obligations à l'étranger,
mais la perte du change sur ce point serait une simple goutte d'eau dans
un seau en comparaison des profits qui seraient récoltés sur les marchés
de l'Amérique du Sud et de l'Asie, sans compter ceux de l'Europe. Ce qui
est étonnant, c'est qu'il n'y a pas longtemps les États-Unis en ont
saisi l'occasion, et s'il n'y avait pas chez eux la conviction que la méthode
employée par l'Angleterre est nécessairement celle qui mène au succès
et à la prospérité, il n'y a aucun doute, qu'ils auraient commencé il
y a déjà longtemps. A présent, les Américains se rendent compte que,
« aussi longtemps qu'ils limiteront leur ambition à devenir une
plus grande Angleterre », ils ne pourront nous battre. Ce fut
vraiment une chance pour nous qu'il ne soit jamais venu auparavant à
l'esprit des Américains de nous chasser de tous les marchés du monde en
recourant à l’étalon-argent, et ce pourrait être bien fait pour nous
si, irrités par la méprisante apathie de notre gouvernement devant la
gravité du problème de la monnaie d'argent, les Américains usaient de
représailles en se débarrassant de l’or. Cela pourrait se faire aisément...
Ce ne sont pas ces derniers temps les indices qui ont manqué d'une
irritation grandissante contre l'Angleterre à cause de son attitude de-chien-de-jardinier
vis-à-vis d'une question (la question de la monnaie d'argent) qui
est en train de bouleverser deux continents et de compromettre gravement
l'avenir des États plus pauvres de l'Europe ».
Le cri des agriculteurs, à savoir que c'est par escroquerie que
l'on ne rétribue pas ceux qui peinent en travaillant, est général dans
tous les pays à étalon-or, dans toute la chrétienté, comme nous le
montre la citation suivante :
A la date du 22 septembre 1896, le Journal new-yorkais World
publiait un long câblogramme signé par des dirigeants agricoles d'Europe,
réunis en Congrès international d'Agriculture à Budapest (Hongrie), et
adressé au candidat présidentiel de l'époque W. J. Bryan. On lisait :
« Nous vous souhaitons le succès dans votre lutte contre la
domination de la classe des créanciers qui, durant les vingt-trois années
écoulées, ont réussi tant en Europe qu'en Amérique à s'assurer une
législation monétaire qui détruit la prospérité de vos agriculteurs
et d'autres... Nous croyons que si l'on ne réussit pas à rétablir
l'étalon-argent, le privilège de l’or à travers toute l'Asie et toute
l'Amérique du Sud continuera à spolier l'agriculteur (de l'Amérique et
de l'Europe) de toute rémunération pour son labeur ; nous croyons
aussi que votre élection peut détourner de l'Europe de graves troubles
agricoles et sociaux qui menacent maintenant ».
Le journal World de New York, du 24 septembre 1896, publia les déclarations
suivantes du prince Bismarck à Herr von Kardof, chef du parti
conservateur libre du Reichtag
allemand :
« Je suis trop âgé pour aller à l'école apprendre les lois régissant
les émissions monétaires mais je reconnais n'avoir pas agi avec assez de
réflexion en 1873, car les résultats n'ont pas été ceux que
j'attendais, quoique je fusse persuadé d'avoir suivi ce que je considérais
comme étant le meilleur conseil.
« La seule classe que nous ne pouvons nous permettre d'indisposer
contre nous, c'est celle des agriculteurs. Si ces gens-là sont convaincus
(et ils vous assurent qu'ils le sont) que la crise agricole provient
de ces changements monétaires, notre gouvernement devra réexaminer
sa position ».
La crise extrêmement grave actuelle de l'argent (« silver »)
et de toutes les marchandises vendues sur la base de l’étalon-argent
survint d'une manière très graduelle pour deux raisons : (1) Il fallut
du temps et des manigances pour déprécier l’argent, matière toujours
très demandée par plus de la moitié de la population du globe ;
(2) Les propriétaires des mines d'argent et d'autres personnes
directement intéressées, ainsi que des hommes d'État qui prévoyaient
le mal qui allait arriver, pesèrent de leurs arguments si vigoureusement
sur le Congrès des États-Unis qu'on eut recours à des expédients, tels
que le décret de remonétisation de 1878 et le décret sur les achats
d’argent de 1890. Mais ces expédients se prouvèrent impraticables. Le
métal argent doit être soit une monnaie, ayant sa pleine valeur d'étalon
monétaire comme l'or, soit être considéré comme une marchandise
ordinaire telle que le diamant, le blé, etc., sujette aux fluctuations de
l'offre et de la demande. Aussi, lorsqu'en 1893 le dernier des expédients
fut abrogé, ce métal tomba à la moitié du prix de l’or ; en 1895, on
sentit dans toute leur ampleur les inconvénients et les malheurs causés
par la démonétisation de l'argent, sans toutefois pouvoir mesurer toute
sa portée, sa marche progressive et sa durée possibles.
Voici donc les faits :
(1) Les moissonneurs des récoltes du monde, Ies agriculteurs de la « chrétienté »,
sont dans la détresse, malgré les machines modernes. Ils réclament
à grands cris l'assistance de leurs concitoyens et des législateurs
(Ces cris ont cessé momentanément, grâce à la hausse du blé
probablement provoquée par de mauvaises récoltes dans le sud-est de
l'Europe, en Russie, en Australie et en Argentine ; mais dès que
changeront ces conditions et que le monde entier aura ses récoltes
moyennes, il est possible que le prix du blé suive celui du métal argent
et tombe à 43 « cents », si toutefois des circonstances ne
viennent pas changer les conditions ; les cris des moissonneurs continueront
à retentir plus désespérés que ,jamais).
(2) Les législateurs comprennent cette difficulté et comment elle est
venue ; ils déclarent qu'elle provient d'une duperie, des supercheries de
financiers, ces docteurs en matière monétaire.
(3) Les législateurs se rendent compte qu'il en coûterait une panique,
et probablement une révolution, pour corriger les conditions défavorables
qui résultent de cette démonétisation ; ils pensent donc que le
remède serait pire que le mal et qu'il est préférable de ne rien faire
de si radical. L'argent ne sera donc jamais rétabli comme étalon monétaire
à sa valeur primitive de 1/16 de l'or.
(4) Chacun admet que cette « escroquerie » (« fraud »)
n'est pas seulement en train d'écraser et de décourager les agriculteurs,
mais également qu'elle irrite et aigrit l'élément de la société
jusqu'ici le plus conservateur.
(5) Tous les gens réfléchis, dans le monde entier, s'accordent à dire
que les classes ouvrière et artisanale de la chrétienté sont mûres
pour une révolution qui balaierait les institutions sociales actuelles
avec le balai de la destruction, et que si l'important élément agricole
jusqu'ici conservateur devait rejoindre les rangs des mécontents et des révolutionnaires,
l'alliance serait irrésistible.
(6) Il existe des preuves, de toutes parts, que quelques années suffiront
pour amener un tel soulèvement.
Quiconque veut comparer tous ces faits avec la prophétie de Jacques doit
être convaincu de son accomplissement précis, point par point ; il doit
y voir là un autre témoignage indubitable que Dieu connaissait d'avance
tout ce qui arriverait au temps actuel, toutes ces choses étant la préparation
du grand temps de détresse qui, lui, doit préparer un grand chemin pour
Emmanuel et son glorieux règne de paix sur la terre et de bonne volonté
envers les hommes.
Relisons la prophétie de Jacques (5 : 1-9) :
« A vous maintenant, riches ! Pleurez en poussant des cris à cause
des misères qui vont venir sur vous. Vos richesses sont pourries et vos vêtements
sont rongés par les vers ; votre or et votre argent sont rouillés, et
leur rouille sera en témoignage contre vous et dévorera votre chair
comme le feu : vous avez amassé un trésor dans les derniers jours. Voici,
le salaire des ouvriers qui ont moissonné vos champs et duquel ils ont été
frustrés par vous, crie, et les cris de ceux qui ont moissonné sont
parvenus aux oreilles de l'Éternel des armées ! Vous avez vécu dans les
délices sur la terre, et vous vous êtes livrés aux voluptés ;
vous avez rassasié vos cœurs au jour de [votre] carnage ; vous [votre
classe] avez condamné, vous [votre classe] avez mis à mort le Juste
[Christ] ; il ne vous a pas résisté [Se peut-il que l'Éternel ait voulu
nous faire remarquer que les banquiers et les financiers juifs, plus que
d'autres, sont grandement responsables de cette escroquerie qui frustre
les moissonneurs de leur salaire ? Dès lors, y a-t-il un sens spécial
dans les paroles : « Vous avez condamné, vous avez
tué le Juste » ?]
« Usez donc de patience, frères, jusqu'à la présence du Seigneur
[qui redressera toutes choses dans la justice, venant en aide à celui qui
est pauvre et à celui qui est sans défense, et il exercera sa vengeance
sur les méchants]. Voici, le laboureur attend le fruit précieux de la
terre, prenant patience à son égard, jusqu'à ce qu'il reçoive les
pluies de la première et de la dernière saison. Vous aussi, usez de
patience ; affermissez vos cœurs, car la présence du Seigneur est
proche. Ne murmurez pas les uns contre les autres, frères, afin que vous
ne soyez jugés [aussi] : voici, le Juge se tient devant la porte ».
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